Je ne me suis plus exprimé sur le conflit israélo-palestinien depuis le 15 octobre, c’est-à-dire dans la foulée immédiate de l’attaque terroriste du Hamas, commise le 7 octobre. (Lire ma chronique du 15/10/2025 : Israël et la Palestine condamnés à la guerre sans fin ?)
Le 15/10/2025, je disais mon horreur et ma condamnation absolue du terrorisme mis en œuvre par le Hamas. Je ne peux que les confirmer aujourd’hui en pensant aux 1 200 victimes israéliennes de cette barbarie et au calvaire vécu par les otages morts ou encore vivants, libérés ou encore détenus dans des conditions atroces.
Le 15/10/2025, je craignais la violence de la riposte israélienne. Celle-ci a été et est encore terrible, faisant dans la population gazaouie plus de 61 000 morts si l’on s’en tient aux évaluations sérieuses de l’ONU.
Le 15/10/2025, je reprenais les mots de l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vasco, dans lesquels il dit : « Je prie et je pleure pour les victimes innocentes gazaouies et israéliennes de cette violence meurtrière sans excuse mais pas sans cause. » Je les reprends fortement à mon compte aujourd’hui.
Puis, comme beaucoup en France, je me suis tu, sidéré à la fois par la barbarie terroriste du Hamas, notamment vis-à-vis des otages, mais aussi par la violence aveugle de la réponse militaire israélienne.
Or, le 24 juillet 2025 dernier, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé la prochaine reconnaissance de la Palestine par la France, dont l’annonce officielle sera faite au cours de l’Assemblée générale des Nations unies qui débutera le 23 septembre 2025 à New York.
Cette décision prolonge de manière cohérente la politique constante de la France en faveur de la reconnaissance des deux États, une politique initiée par le général de Gaulle en 1967.
Cette décision, courageuse, a été saluée par tous les partis politiques de droite comme de gauche, à l’exception notable du Rassemblement national. Elle a créé une dynamique en faveur de la reconnaissance de la Palestine par des pays historiquement très proches d’Israël : la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie s’apprêtent eux aussi à reconnaître l’État de Palestine…
Cette décision a eu le mérite, à titre personnel, de me secouer et d’une certaine manière de me réveiller. Car, comme je le disais dans ma chronique précédente, nous, Français, nous ne pouvons pas nous mettre la tête dans le sable.
« Tête dans le sable, tentation de l’autruche qui considérerait que “pour nous Français, ce que nous aurions de mieux à faire… serait de ne rien voir, de ne rien dire, de ne rien faire et de nous tenir le plus à distance possible de ce conflit”. C’est une tentation d’une partie importante de notre opinion publique. Mais derrière les “de toute façon, c’est indémerdable…” de nos cafés de commerce, il y a le refus de voir la résonance planétaire d’un conflit qui se passe sur une terre trois fois sainte et spécialement pour la France, pays aux racines chrétiennes et aux communautés juives et musulmanes nombreuses. Oui, la France a une influence modeste dans cette partie du monde. Mais, qu’elle le veuille ou non, elle est impliquée… »
Pour prendre position dans ce conflit si douloureux, il faut maîtriser quelques chiffres clés.
Ceux de la démographie d’abord. Il y a 7,1 millions de Palestiniens aujourd’hui : 2 millions vivant dans l’État d’Israël, 2 millions à Gaza, et plus de 3,1 en Cisjordanie. Il y a donc une quasi-égalité démographique entre Palestiniens arabes et Israéliens juifs : 7 millions de chaque côté…
Celle de la géographie ensuite :
La superficie de la Palestine actuelle est de 6 160 km² (soit un peu plus qu’un département français) alors que la superficie d’Israël est de 20 770 km² (environ 4 départements ou une petite région).
La guerre au Moyen-Orient initiée par la tragédie du 7 octobre 2023 place Israéliens et Palestiniens, ainsi que la communauté internationale, devant un choix stratégique ultra-sensible à faire en réponse à la question suivante : « Quelle gouvernance pour les presque 15 millions de personnes vivant sur les 27 000 km² couverts par Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza ? » Trois chemins, tous lourds de sens profond, peuvent être envisagés.
Tout d’abord, celui qu’emprunte aujourd’hui le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et ses alliés d’extrême droite : celui de la colonisation rampante de la Cisjordanie et de la bande de Gaza au profit d’un État d’Israël tel qu’il a été défini en 2018 lors du vote de la loi « Israël État-nation juif » et à la création par Benyamin Netanyahou, le 28 mai 2023, de l’Agence gouvernementale de l’identité nationale juive – deux étapes clés qui signent le caractère discriminatoire de cet État. Ce chemin est et restera une impasse politique tragiquement violente, car construit exclusivement comme un foyer national juif.
Ensuite, le chemin menant à un État unique laïc à structure fédérale à l’image de la Belgique et qui rassemblerait les 15 millions d’Israéliens, de Cisjordaniens et de Gazaouis. Une solution qui, si l’on analyse la situation israélo-palestinienne actuelle d’un point de vue sociologique, est non seulement envisageable, mais pertinente. Il suffit en effet de regarder les cartes d’Israël et des territoires palestiniens pour se rendre compte que le développement ininterrompu de la colonisation en Cisjordanie a rendu difficile la solution à deux États, laquelle pose notamment aussi le problème de l’absence de continuité géographique avec la bande de Gaza et du partage de Jérusalem.
Alors, un seul État laïc ? – Après-demain peut-être ? À court terme, cela me paraît parfaitement illusoire tant la méfiance, la haine et la violence se sont imposées dans cette terre si chère à notre cœur.
Reste donc, comme point de départ, la solution à deux États et donc la reconnaissance de l’État de Palestine telle que décidée par la France. Tous les défauts de cette solution ont été abondamment décrits. Reste que c’est le seul point de départ vers une paix durable entre Israéliens et Palestiniens. Il faudra après beaucoup de courage et d’audace sur ce chemin : installer financièrement et politiquement l’Autorité palestinienne – notamment à la tête de cet État, permettre le retour à sa tête des plus légitimes de ses chefs, y compris certains d’entre eux aujourd’hui en prison en Israël, surtout arrêter la colonisation israélienne dans ces territoires et mettre en place des garanties de sécurité pour chacun de ces deux Etats, Israël et Palestine.
La décision de la France ne surgit donc pas du néant. Selon l’argumentation claire et mesurée de notre ministre des Affaires étrangères, il ne s’agit ni d’une prise de parti contre Israël ni d’une concession à une quelconque pression. C’est la traduction d’un engagement historique pour une solution à deux États, tel que le défend la communauté internationale depuis des décennies. La reconnaissance n’est pas une fin, mais un levier. Elle rappelle que l’existence d’Israël et celle d’une Palestine viable sont intrinsèquement liées – et que la sécurité de l’un ne s’obtient jamais au détriment de la dignité de l’autre.
Nous sommes, collectivement, à la croisée des chemins. Être ami d’Israël et ami de la Palestine, c’est refuser la facilité du camp unique, c’est croire à la possibilité, fragile mais nécessaire, d’un horizon politique partagé.
Par sa reconnaissance de l’État de Palestine, la France invite chacun à faire le pari du dialogue, du courage et de la paix.
Cet acte politique fort de la France, par la voix de son Président, mérite notre soutien.
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Jean Dionis, maire d’Agen