Je suis passé vendredi matin saluer le Président du CNC (Centre national du cinéma), Gaëtan Bruel, de passage à Agen pour échanger avec les responsables de notre cinéma d’art et d’essai « Les Montreurs d’Images » et, au passage, ceux-ci me recommandent chaudement d’aller voir le film : « L’Inconnu de la Grande Arche ».
Je décide de suivre leur conseil et nous voici, samedi soir, devant le générique du film. Écoutons Allociné nous présenter le synopsis de celui-ci (voir sa bande-annonce en cliquant ici) :
« 1982, François Mitterrand décide de lancer un concours d'architecture international pour le projet phare de sa présidence : la Grande Arche de la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe ! À la surprise générale, Otto von Spreckelsen, architecte danois, remporte le concours. Du jour au lendemain, cet homme de 53 ans, inconnu en France, débarque à Paris où il est propulsé à la tête de ce chantier pharaonique. Et si l'architecte entend bâtir la Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique. »
Bien entendu, ce synopsis colle au plus près de l’histoire réelle du chantier de la Défense et, pour notre architecte danois, lauréat du concours d’architecture, c’est véritablement « Bienvenue en France ! Les ennuis commencent » avec :
- un client ô combien puissant, le Président de la République, à l’époque François Mitterrand, mais fragilisé par la défaite de son camp aux élections législatives de mars 1986 ;
- un système de normes de sécurité (lutte contre les incendies, etc.) tentaculaire : avec pour acteurs le ministère de l’Équipement, la DREAL, le CSBT, …
J’ai aimé ce film parce qu’il parle de situations que j’ai vécues et qu’il le fait bien. Tout sonne vrai dans ce film.
D’abord, notre système de concours d’architecture : de gros défauts, notamment en ne permettant pas de comparaison sérieuse entre les coûts des différentes candidatures. Mais une qualité décisive : celle de mettre au centre du choix le parti architectural, c’est-à-dire le respect du cahier des charges du client, la fonction du bâtiment construit en même temps que sa beauté. Et notre système français permet donc de faire émerger, sur ces deux exigences, des femmes et des hommes talentueux et nouveaux, comme en 1982, Otto von Spreckelsen.
Ensuite, le film rend bien les tensions constitutives de tout grand projet. D’abord entre les différentes actrices et acteurs du projet : le client, maître d’ouvrage, l’architecte, maître d’œuvre, les responsables du chantier. Il y a dans ce film des dialogues très profonds entre les personnes qui incarnent ces différents rôles et le film nous enseigne quant aux clés de la réussite de ce type de projet, et notamment sur la régulation des conflits pouvant intervenir entre tous ces membres du projet.
Mais, encore plus fondamentalement, l’histoire de la Grande Arche nous rappelle qu’un projet, c’est toujours des objectifs fonctionnels, des objectifs esthétiques et des objectifs financiers. Et la consolidation ou non, la maîtrise ou non des tensions constitutives entre la fonction, le beau et le coût du projet sont déterminantes pour sa réussite ou son échec.
Le film raconte bien la genèse du projet, celle d’une très ancienne ambition des présidents de la République française de marquer l’axe historique de Paris, la voie royale, de bâtiments-monuments dignes de l’histoire de France. Il raconte aussi qu’au moment de sa réalisation, le client, à savoir en final l’État, présente plusieurs fragilités :
1 - L’usage final de la Grande Arche, initialement vouée à accueillir le siège du Carrefour international de la communication (CICOM ou CIC), une organisation à la vocation floue, voire fumeuse, a finalement été « rayé d'un trait de plume » en avril 1986, après la défaite de la gauche aux élections législatives. Le client lui-même, à savoir l’État, se divise en deux après les législatives perdues par François Mitterrand en 1986.
2 - Le coût enfin ! La Grande Arche fait partie de ces très grands projets dont les coûts sont passés de 2 milliards de francs au début du projet à 3,7 milliards à sa fin.
La France, Paris avaient-ils besoin de la Grande Arche ? Je n’en suis pas sûr.
Paris et la France sont-ils plus beaux avec la Grande Arche ? Sans aucun doute.
Fallait-il faire aussi cher ? (Le débat sur le marbre de Carrare dans le film est révélateur de cette tension entre le beau et le cher.) Là encore, je quitte la salle des Montreurs d’Images en hésitant et en butant sur cette question.
Si vous le pouvez, allez voir ce film !
Il est un révélateur puissant de comment naissent, s’enlisent, s’épanouissent ou échouent les grands projets publics en France aujourd’hui.
Passionnant !
@ +,
Jean Dionis, maire d’Agen
