C’est reparti pour une semaine - et plus, si cela se passe mal - de colère agricole. Déjà, en début d’année, dans un mouvement d’une force rare, nos agriculteurs avaient crié leur colère.
J’avais alors porté un regard à la fois bienveillant et pressant sur leurs demandes. Ne sous-estimant pas les raisons structurelles des difficultés de nos agriculteurs, j’en avais appelé à un New Deal fondateur avec eux, et avec toute la filière de transformation agroalimentaire et de distribution commerciale dont ils constituent le maillon faible. (Retrouvez ma chronique de janvier 2024 ici).
Alors, pourquoi nos agriculteurs reprennent-ils le chemin de la colère ? Pour des mauvaises récoltes cette année ? Celles-ci n’ont rien arrangé. Les pluies surabondantes du printemps 2024 ont à la fois diminué les productions et augmenté le coût du travail agricole. Mais nos agriculteurs sont habitués aux alternances de bonnes et de mauvaises années météorologiques. Bref, la météo de 2024 a amplifié le mécontentement, mais elle n’est en rien la cause de l’incendie.
Non, en profondeur, la colère provient du sentiment que rien de significatif n’a été fait après le mouvement et les promesses faites par le gouvernement à l’issue du mouvement de janvier 2024.
Rien ? Ce n’est pas vrai. Le gouvernement est revenu sur le fuel agricol et a prolongé son régime d’exonération fiscale, a simplifié les procédures de nettoyage des fossés et celles de constitution de barrages d’irrigation pour stocker les précipitations hivernales excédentaires, a mis en place un certain nombre de prêts relais pour soutenir financièrement ceux de nos agriculteurs en difficulté financière. Ce n’est pas rien.
Mais là où les agriculteurs attendaient et attendent toujours une refonte de la politique agricole commune, ils n’ont eu qu’une boîte à outils somme toute classique et limitée.
Il y a, dans le mouvement qui démarre, une ambiguïté majeure : les agriculteurs français vont se mettre puissamment en mouvement pour obtenir du gouvernement français une refonte structurelle de la politique agricole de la France, et celui-ci n’est pas en mesure de leur répondre au niveau de réforme attendu. Et ceci pour deux raisons :
La première raison de cette impuissance est la crise politique dans laquelle se trouve notre pays. Le gouvernement actuel - que je soutiens - est fragile politiquement. On peut lui demander de faire en sorte que le pays continue à fonctionner (par exemple, en faisant adopter par le Parlement une loi de finances 2025 sans laquelle le pays serait paralysé), mais je le crois trop fragile pour faire adopter une réforme structurelle de notre politique agricole qui ne pourra pas dégager, dans un premier temps au moins, une majorité politique forte de soutien.
La deuxième raison est que la politique agricole est, pour l’essentiel, une politique commune européenne, c’est même la plus ancienne et la plus intégrée des politiques communes européennes. Toute réforme structurelle devra être approuvée par les instances de gouvernance européenne (Commission, Parlement Européen, Conseil des chefs d’État…). Possible, souhaitable, mais forcément long.
Est-ce à dire que le mouvement qui démarre est forcément condamné à échouer dans la poursuite de ses objectifs ? Non, je ne le crois pas, à condition de s’adapter à la réalité politique française et européenne.
Côté français, je crois que le mouvement agricole devrait concentrer ses demandes à court terme sur des objectifs (report de la siagnature de l'accord MERCOSUR, etc.) et des victoires précises sur des sujets qui exaspèrent et condamnent certaines filières agricoles. De manière générale, nos agriculteurs doivent obtenir la fin immédiate de la surenchère française en matière d’interdiction de produits phytosanitaires, que ce soit par surtransposition nationale de directives européennes ou par des décisions unilatérales françaises.
À titre d’exemple, ce qui se passe sur la filière noisette est scandaleux. La coopérative Unicoque, principal opérateur français et européen, enregistre une chute de 50 % de sa production, sous l’effet d’une météo défavorable (certes) et faute d’insecticides efficaces, dont l’acétamipride, un néonicotinoïde autorisé en Espagne et en Italie.
Et le conflit qui s’annonce doit permettre de faire aboutir la revendication de la filière rappelée ci-dessous :
« Nous, producteurs et salariés de la coopérative Unicoque, demandons toutes les procédures nécessaires face à l’urgence phytosanitaire qui nous emporte ainsi que l’harmonisation primordiale des règles phytosanitaires entre la France, l’Espagne et l’Italie au nom de l’égalité, de la lutte contre la distorsion de concurrence intra-européenne, de la souveraineté alimentaire et de la non-exportation des pollutions. »
De manière générale, il n’est juste pas possible d’avoir une politique agricole commune, plus encore avec un marché commun, et de continuer à gérer, seuls au niveau national (en l’occurrence, la France), ces autorisations et interdits phytosanitaires.
Pour le reste, à savoir un nouveau partage de la valeur ajoutée, le mouvement doit surtout se concentrer sur la bataille de l’opinion publique, et si j’ai un conseil à donner à mes amis agriculteurs, ce serait : « Ne vous isolez pas !!! Vous n’avez pas vocation à être les martyrs de la garde impériale à Waterloo. Il faut absolument que ce mouvement permette d’élargir le soutien de l’ensemble des citoyens en faveur d’une nouvelle politique agricole commune. »
Et parmi les cibles prioritaires de personnes à convaincre, il y a les 35 000 maires de France, qui seront ensuite d’excellents diffuseurs de la nécessité d’une politique agricole commune, plus souveraine, plus saine et plus rémunératrice pour nos agriculteurs.
Cela tombe bien : le cri de colère de nos agriculteurs et le salon des maires se partageront la vedette de l’actualité la semaine prochaine.
Maires, paysans : il faut se parler…
@+,
Jean Dionis, maire d’Agen