L’histoire et les contraintes de nos calendriers locaux ont fait que j’ai « enchaîné » deux anniversaires de 50 ans de jumelage avec nos amis allemands de Dinslaken et nos amis espagnols de Tolède.
Cela fait maintenant plus de 50 ans qu’avec nos amis allemands et espagnols, nous entretenons des échanges culturels, sportifs, scolaires, associatifs. Comme dans toute relation de long terme, ces jumelages ont connu des hauts et des bas en fonction de l’engagement plus ou moins fort des équipes municipales concernées et surtout de celles et de ceux qui font vivre les comités de jumelage dans chacune de nos trois villes.
Mais c’est un fait : les jumelages ont la peau dure. 50 ans après leur naissance, ils sont toujours bien vivaces. Des centaines d’écoliers, de collégiens, de lycéens y ont trouvé des amis devenus très chers et des centaines de citoyennes et de citoyens impliqués dans les vies culturelles, sportives et sociales de nos villes y ont eux aussi trouvé des amis improbables.
Et les municipalités qui ne prendraient pas le soin d’entretenir cette flamme qui brûle maintenant depuis deux générations causeraient un préjudice grave à leurs cités tant ils font maintenant partie du patrimoine immatériel municipal.
À partir de ce constat de réussite, pour ce qui est de cette abondance de petits liens amicaux entre les citoyens des nations européennes différentes, il est bon de se rappeler quel était le projet initial, le fondement de cette initiative. Or, la grande majorité des jumelages se sont créés entre les années 1950 et 1980, à l’initiative de militants de la construction européenne.
Ceux-ci, et à leur tête, Jean MONNET, le grand inspirateur de la construction européenne avaient en tête l’objectif politique de la création des jumelages. Pour lui, et pour la génération qui sortait traumatisée des deux guerres mondiales du vingtième siècle, « la paix était une chose trop sérieuse pour être laissée aux gouvernements nationaux. Il fallait, de manière impérative, à côté des initiatives gouvernementales et diplomatiques, créer des millions de petits liens amicaux qui eux rendraient la guerre impossible ».
Nos jumelages sont tous nés d’une certaine manière de ce beau projet politique.
En étant le témoin privilégié de l’enracinement de nos jumelages, je me faisais à moi-même le constat magnifique du succès de la réconciliation européenne, et en premier lieu de la réconciliation franco-allemande.
80 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, 62 ans après que des chefs d’État d’une stature exceptionnelle, le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, ont eu l’audace folle de ce geste de paix et de pardon, 50 ans de jumelage derrière nous, j’ai la conviction profonde que nous, peuples allemands, français, espagnols et autres peuples européens avons réussi la réconciliation européenne.
Nous pouvons en être collectivement très fiers. Qui d’autre par le monde a su se réconcilier avec son ennemi séculaire ? Personne.
La réconciliation, ça, c’est fait, comme disent nos jeunes…. Faut-il pour cela « ranger au placard » tous les outils diplomatiques, tous les dispositifs, dont les jumelages, qui ont permis ce succès historique ?
Je ne crois pas. Bien au contraire.
Mais je crois qu’il faut leur donner une autre vocation, un autre objectif politique : celui d’enraciner au cœur de nos peuples la volonté d’autonomie et de souveraineté européenne.
L’actualité nous impose de vivre en direct un changement complet d’époque géopolitique :
• Désengagement des États-Unis d’Amérique vis-à-vis de l’Alliance nord-atlantique (OTAN) avec une volonté isolationniste et hégémonique au niveau commercial (c’est le désormais célèbre « Make America Great Again »)
• Agression de la Russie en Ukraine aux portes de l’Union européenne
• Conflit généralisé au Moyen-Orient (Israël contre l’Iran et ses alliés régionaux, le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais)
• Montée en puissance diplomatique et économique de la Chine.
Nous sommes actuellement sous le choc de ce bouleversement, sidérés et hébétés. Or, il faudra bien se réveiller, prendre acte de la nouvelle donne géopolitique, décider de se protéger, de se défendre sans les États-Unis d’Amérique et avec nos voisins européens, ensemble.
Il faudra rendre acceptable par les citoyens européens ce qui est pour moi une évidence stratégique pour l’Europe. Il faudra faire pour cela un immense effort pédagogique.
Non seulement Français et Allemands ne sont plus des ennemis séculaires, mais ils sont appelés à être des peuples frères, et frères d’armes si nécessaire. Même ambition au niveau des 25 autres pays membres et du Royaume-Uni.
L’amitié franco-allemande devra être le moteur de la construction de la future défense européenne, en intégrant dans ce projet politique nos amis anglais, beaucoup plus ouverts à l’Union européenne ces jours-ci depuis qu’ils ont vu le peu de cas fait par l’administration Trump de la fameuse relation spéciale entre le Royaume-Uni et les États-Unis.
Le voilà, le nouveau projet politique de l’amitié franco-allemande ! Une fois réussie la réconciliation, c’est la construction d’une véritable défense européenne économique, diplomatique et finalement militaire…
Et quelle place pour les jumelages dans ce nouveau projet politique ? Celle envisagée par Jean Monnet, de fabrique permanente de millions de petits liens amicaux. Ce sont ces liens qui nous permettront de comprendre que notre intérêt national ne s’arrête pas aux frontières de la nation, mais démarre dès que les frontières européennes sont attaquées.
Ce ne sera pas facile. La construction européenne sera la cible privilégiée à la fois des pacifistes et des nationalistes extrémistes… Mais c’est le seul projet à la fois passionnant, et aussi efficace et raisonnable.
Vivent nos jumelages, véritables fabriques de belles amitiés européennes !
Vivent les peuples et nations européens, construisant une Union européenne solidaire, indépendante et souveraine !
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Jean Dionis, Maire d’Agen