Notre pays a vécu, la semaine dernière, une violente jacquerie paysanne et Agen, la ville dont je suis le Maire, a été un des épicentres de ce cri de colère national. En vacances à l’étranger, je n’ai pas vécu en direct ce conflit. Je l’ai donc suivi, à distance, jour après jour.
Comme la plupart des responsables (y compris syndicaux) et des observateurs, personne n’avait vu venir l’intensité de cette crise. Quelle en a été l’étincelle ? Les mouvements paysans aux Pays-Bas ou en Allemagne ? L’annonce de la fin du régime de soutien au gazole agricole ? Peut-être, mais j’ai la faiblesse de penser que le feu couvait et le vent pour le raviver, d’où qu’il vienne, serait arrivé.
Comme beaucoup d’autres, j’ai vu grossir les raisins de la colère, pour reprendre l’image forte du roman de Steinbeck.
Parce que je suis d’Agen, au cœur d’un des départements les plus ruraux, et qu’ici, à Agen, nous avons gardé une vraie proximité avec nos paysans.
Parce que je suis le fils d’un arboriculteur de cette vallée de la Garonne, un des plus beaux jardins de France, qui a vu inexorablement reculer les cultures de fruits et légumes, cultures à haute valeur ajoutée, au profit de céréales, cultures plus pauvres mais mieux encadrées ou pire encore au profit de friches abandonnées…
Parce que plus personne ne pouvait ignorer les signes les plus durs des raisins de la colère : recul de notre production agricole dans certaines filières, suicides nombreux chez nos paysans, exaspération devant l’indifférence et parfois le mépris de la profession.
Le mouvement de nos paysans a bénéficié, à son début, d’un exceptionnel soutien populaire (les instituts de sondage le situant à 87%) et ici, à Agen, en Lot-et-Garonne, tout le monde ou quasiment tout le monde (et moi le premier bien-sûr), comprend leur cri de colère.
Tout le monde, chez nous, connaît la dureté du travail agricole.
Tout le monde, chez nous, perçoit l’importance de ce secteur d’activité.
Tout le monde, chez nous, sait qu’il faut redonner de la fierté à nos agriculteurs car le travail de notre terre est un métier noble.
Personne, y compris à Agen, n’est content d’être gêné et retardé dans ses activités personnelles et professionnelles par des barrages routiers.
Personne, y compris à Agen, n’apprécie le fumier, le lisier à sa porte, fut-elle celle de la Préfecture.
Personne, y compris à Agen, n’aime passer des heures et beaucoup d’argent à nettoyer le domaine public (et au passage, un grand merci aux agents et élus territoriaux qui se sont crevés à nettoyer vite et bien…). J’en profite pour répéter que durant ces manifestations nos paysans ont su respecter la ligne rouge à ne pas franchir. Il n’y a eu, à Agen, aucune violence envers les personnes et, malgré des images très spectaculaires, aucune dégradation volontaire des bâtiments publics.
Mais, au fond de nous-mêmes, nous avons compris et nous sommes solidaires de nos paysans.
Et maintenant que faire ? D’abord s’emparer du débat, tous, ne pas le laisser aux spécialistes. Le débat est politique et puisqu’il faut forcer le trait, je préfère que le débat s’égare parfois au café du commerce à ce qu’il soit confisqué par les technocrates.
Le gouvernement a eu l’intelligence de séparer les mesures à portée de main immédiates (l’abandon de la sortie dispositif de soutien au gazole non routier…), annoncées rapidement par le Premier ministre, des mesures plus structurelles qui prendront et du temps et du courage politique.
Deux chantiers majeurs sont incontournables pour toute refondation à la fois économique, sociale et environnementale de notre filière alimentaire :
- Celui du revenu des agriculteurs
- Celui des normes environnementales
C’est sur celui des revenus que nous sommes tous impardonnables. Depuis 60 ans, la filière de l’alimentation de notre pays s’est implacablement structurée autour de la production, de la transformation et de la grande distribution. Cette structuration s’est faite avec des rapports de forces très défavorables au monde de la production, à nos paysans (malgré les efforts du mouvement coopératif et des tentatives de structuration des filières).
L’Etat doit intervenir pour rééquilibrer ce rapport de forces et les maigres efforts faits autour de l’observatoire des prix et des marges et des lois EGAlim sont insuffisants et trop faciles à contourner.
Dans un système où la liberté des prix est la règle en vigueur, ce rééquilibrage ne viendra d’une forte régulation des prix, il doit venir du partage des coûts de la protection sociale de nos paysans (en clair de leurs charges…) par l’ensemble de la filière alimentaire, notamment par les industriels transformateurs et par la grande distribution. Lors de mon deuxième mandat de député, j’avais écrit une proposition de loi (Renforcer durablement la compétitivité de l’agriculture Française) qui exigeait un allégement significatif des charges de nos agriculteurs financé par une contribution des transformateurs et de la grande distribution. Il faut impérativement aller dans ce sens.
Le chantier des normes environnementales est plus complexe. Nous sentons tous, et nos paysans les premiers, qu’il faut concilier efficacité économique et transition écologique. Mais reconnaissons aussi avec nos paysans que nous avons souvent marché sur la tête dans ce domaine et poussé ainsi le monde paysan à la souffrance, la désespérance et l’exaspération.
J’appelle de mes vœux « un grenelle des normes agricoles » sous l’autorité d’une personnalité compétente et déterminée, par exemple Julien Denormandie ancien Ministre de l’Agriculture, rassemblant administrations centrales de l’Etat, responsables des syndicats agricoles et parlementaires, avec une boussole européenne (aucune sur-transposition nationale ou alors compensation financière pour nos agriculteurs). Ce comité aurait la responsabilité de faire le ménage en profondeur, norme par norme, et de proposer le tri nécessaire sous six mois au Premier ministre qui, alors, devra prendre ses responsabilités…
Et, il y a urgence et matière. Chez nous dans le Lot-et-Garonne, un conflit a enflammé, à juste titre, le monde agricole : celui de l’eau, plus exactement celui du stockage des pluies hivernales dans des lacs collinaires. Pas un scientifique sérieux n’a trouvé à y redire et pourtant, sur ce dossier, l’Etat a sombré. Il doit poser maintenant des gestes de réparation symboliques et administratifs forts pour rééquilibrer nos réglementations. La régularisation du Lac de Caussade en est un des gestes attendus.
Trop simpliste, beaucoup plus compliqué que cela. J’entends déjà les commentaires méprisants de tous les sachants de ce dossier. Et bien, non !!
Si nous continuons comme cela, nous aurons et l’explosion violente redoutée et la perte irrémédiable de notre souveraineté alimentaire.
Les raisins de la colère sont là … les américains sont sortis de ces « grapes of wrath » par un « New deal » … un nouvel accord, un nouveau partage.
Oui, c’est bien cela.
Nous avons besoin d’un nouveau partage.
Respectueux de nos paysans.
Vite.
@+,
Jean Dionis, Maire d’Agen
© Crédit photo : Morad Cherchari