J’ai un pacte (presque secret) avec un petit nombre de personnes que j’aime bien, mais qui ne pensent pas comme moi et qui, pour faire rapide, n’ont pas du tout les mêmes opinions politiques que les miennes.
Notre pacte est le suivant : nos convictions sont différentes voir opposées. Mais nous reconnaissons le débat intellectuel contradictoire, tant qu’il est arbitré par la recherche partagée et sincère de la vérité, comme le véritable moteur de nos démocraties.
Aussi, nous nous sommes engagés à proposer à la lecture de « l’autre » ce que peuvent produire d’intéressant les familles politiques et intellectuelles auxquelles nous appartenons.
Et dans le cadre de ce pacte, un de mes contradicteurs bienveillants me proposa de lire : L’âge du capitalisme de surveillance de Shoshana ZUBOFF , professeur émérite à la HARVARD Business School.
A première vue, c’est assez dissuasif : un véritable pavé de 695 pages sur un sujet difficile, à savoir l’emprise des géants du numérique sur nos vies personnelles. Et d’ailleurs, je l’ai mal lu, sur une durée trop longue (plusieurs mois) et de manière beaucoup trop fractionnée pour optimiser l’apport de cet ouvrage.
Mais je l’ai lu. Et je vous recommande de vous attaquer à ce col de troisième catégorie, pour filer la métaphore cycliste.
Pourquoi ai-je fait cet effort ?
Parce que j’ai une bonne culture générale numérique acquise notamment par mes années de parlementaire notamment consacrées au numérique qui m’a permis de ne pas trop « Souffrir » dans les pages un peu techniques.
Parce que j’avais déjà été déniaisé en la matière par la lecture de La civilisation du Poisson rouge de Bruno Patino lire mes notes de lecture en cliquant ici
Parce que, plus simplement, je pressens les pratiques des GAFA et plus largement d’un nombre croissant d’entreprise comme une atteinte majeure à nos libertés (droit d’une vie privée, droit à l’oubli, etc.).
La thèse centrale du livre est la suivante :
1) Depuis les années 2010, le modèle économique des GAFA a radicalement changé : oubliez les stratégies de services payants, elles ont été remplacées par des recettes publicitaires de plus en plus ciblées et des ventes d’informations personnelles de plus en plus qualifiées.
2) Au cœur de ce modèle économique, il y a des pratiques intensives de collecte, de stockage et de traitement de données personnelles par des algorithmes de plus en plus secrets et puissants pour approcher ce que vous allez devenir, souhaiter...
La matière originale de cette collecte est l’ensemble des traces que vous laissez chez un éditeur de services en ligne : mails, vidéos, recherche de sites internet, photos, etc. Toutes vos traces numériques sont donc collectées, stockées, traitées. C’est le fameux concept de « surplus comportemental ».
Vos données personnelles sont donc exploitées en vous rendant toujours très difficile d’interdire ces pratiques. Le travail d’exploitation des données sera élargi à vos interlocuteurs et vos fameux amis sur Twitter, Instagram et Facebook, etc.
3) Ces données sont vendues comme des informations dites prédictives sur qui vous êtes enprofondeur, et donc permettre des publicités plus ciblées sur vos attentes personnelles, et l’envoi de messages ciblés pour influencer votre comportement de consommateur, et de citoyen (notamment, en matière électorale).
Est-ce que cela marche ?
Dès 2016 - date commune de l’entrée en bourse de Facebook et Google - ces deux entreprises n’ont pas cessé de grimper vers les cimes de la capitalisation. Ainsi en 2016, Google atteignait 532 milliards de dollars avec seulement 75 000 emplois alors que Facebook atteignez 332 milliards de dollars pour 18 000 emplois, c’est à dire que bien plus que la capitalisation boursière du géant de l’automobile américaine à son plus haut en 1965 (225 milliards de dollars pour 735 000 employés).
Pourquoi s’en inquiéter, me direz-vous ?
Après tout, si Google ou Facebook ou d’autres nous envoient des publicités toujours plus personnelles, toujours plus ciblées, tant mieux pour les consommateurs que nous sommes.
Eh bien, non ! Je pense vraiment que l’accumulation et le traitement des données personnelles sans aucun contrôle de notre part, ou si peu, posent un problème démocratique majeur
Il y a danger d’abord parce que l’intrusion permanente de ces géants du numérique dans nos données personnelles met en danger notre vie privée, avec ce qu’elle comporte d’exigence de confidentialité.
Mais aussi et surtout, il y a un danger majeur parce que ces sociétés ne limiteront pas leurs activités commerciales aux publicités ciblées.
Le scandale de Facebook - Cambridge Analytica (utilisation des données Facebook de 87 millions d’utilisateurs à partir de 2014, notamment dans les campagnes du BREXIT et des Présidentielles de Donald TRUMP) a montré très clairement que ces données sont utilisées non seulement pour tenter de nous convaincre commercialement, mais aussi et surtout pour changer un certain nombre de nos comportements, et notamment nos comportements électoraux.
Y aurait-il eu le BREXIT et toutes ses conséquences sans le scandale FACEBOOK - Cambridge Analytica ? Rien n’est moins sûr... À partir du franchissement de cette ligne rouge, il devient parfaitement clair que ces pratiques de collecte et de traitement des données sont dangereuses pour notre vie économique et démocratique.
Pour finir, l’auteure montre très clairement que, pour le moment, les défenses démocratiques de la société, en clair nos lois et nos règlements, ont toujours eu une bataille de retard par rapport aux géants du numérique. Elle en appelle à une révolution citoyenne pour refuser cette emprise des géants du numérique qui pour elle, est une des menaces les plus graves contre L’Humanité pour la deuxième moitié de ce 21ème siècle.
Shoshana ZUBOFF conclut d’ailleurs de manière étonnamment optimiste. Pour elle, il est clair que nous allons dire de manière de plus en plus forte : « Assez ! ».
Elle cite notamment le remarquable travail fait par l’Union Européenne et son Parlement en matière de RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données)
Et je crois qu’elle a raison.
Pour ma part, je sors profondément transformé de cette lecture. Et j’en remercie celui qui m’a suggéré cette lecture que je n’aurai jamais faite sans lui. Je crois qu’il faut absolument modifier le rapport de force entre les Etats démocratiques de droit et les géants du numérique sans savoir encore clairement quels outils juridiques il faut appliquer pour cela : lois anti-trust, lois plus spécifiques pour rendre beaucoup plus difficile l’extraction de données personnelles, etc.
Aussi, je suis désormais sûr que j’accepterai plus facilement de perdre du temps pour déclarer « refuser les cookies » ou autre logiciel de captation dans mes recherches en ligne.
Bref, je crois avoir entendu l’appel de Shoshana ZUBOFF. Pour moi, le temps de la complaisance grégaire en matière numérique a pris fin avec cette lecture. Celui de la vigilance et de la résistance commence. Je vous invite à nous rejoindre dans ce combat capital.
@+
Jean DIONIS
Maire d’Agen
Tout à fait d'accord avec votre analyse
J'ai été démarchée par téléphone ( 05 54 65 29 48 ) se présentant au nom de GROUPAMA , chez qui je suis assurée , en déroulant toutes mes données personnelles et médicales !!! terminant par une question ; à laquelle je réponds : vous devez savoir puisque vous êtes GROUPAMA , je l' ai senti un peu surpris par ma sèche réaction et l'ai abreuvé de mes griefs pour son mode de démarchage déguisé Ces appels peuvent conduire des personnes peu informées à opter pour n' importe quoi . Nous sommes démunis pour arrêter ces intrusions dans notre vie Privée .
Bonjour Jean,
Merci pour ce résumé d'un "pavé dans la mare des GAFA", éclairé par ta grande connaissance scientifique et sociétale du numérique.
Une solution, pour se soustraire au "prêt à penser et à consommer" diffusé par les géants du net et les milliardaires propriétaires des médias, ne serait-elle pas d'équiper les lampadaires solaires de lampes Led permettant la réception du Wifi par la lumière (le LiFi) sans possibilité de capter les données des internautes ?
Je conseille, à ce sujet, un bouquin beaucoup moins volumineux que celui que tu as résumé, mais également visionnaire : "Le LiFi" de Gunter Pauli, l'auteur de "l'Economie Bleue"ouvrage traduit en 52 langues et vendu à plus de 2 millions d'exemplaires de par le monde.
Merci
Dans le même style et avec les memes conclusions mais beaucoup plus vite lu (121 pages), je vous conseille la lecture
L'HOMME NU. LA DICTATURE INVISIBLE DU NUMÉRIQUE
Dugain, Marc (1957-....). Auteur - Labbé, Christophe (19..-....) - journaliste. Auteur
Edité par Plon. Paris ; R. Laffont - paru en 2016
Le big data aspire à travers Internet, smartphones et objets connectés des milliards de données sur nos vies. Les agences de renseignement américaines et les conglomérats du numérique font alliance et enfantent une puissance mutante qui ambitionne de reformater l'humanité. Une nouvelle dictature nous menace et les auteurs, tous deux journalistes, nous incitent à réagir. ©Electre 2020
"L'homme nu, la dictature invisible du numérique" de Marc Dugain et Christophe Labbé, 320 pages est un autre livre passionnant et facile à lire. Merci pour ce partage.
Cordialement
Bonjour,
Pourquoi ne pointer que le Brexit ou l'élection de Donald Trump ? Facebook, a, dans ce cadre, été utilisé par les partisans de Trump pour permettre son élection... Mais sans l'assentiment des GAFAM... qui s'en sont mordu les doigts (on l'a bien vu dans le cadre des dernières élections américaines où ils ont coupé le sifflet du prsident en exercice).
Les GAFAM ne sont ils pas plus les vecteurs majeurs du 'progressisme' et de tous les 'délires ' universitaires américains (phénomène woke, gender, diversity, equity, blm) qui sapent les fondements de nos sociétés, en bousculent la culture, les traditions et les spécifictés de chaque peuple dans une dialectique marxiste (opprimé/oppresseur)? Ils s'érigent en détenteurs de la vérité et censurent les mouvements conservateurs...
Mais merci et bravo de vous confronter aux idées différentes de vos amis !!!