Après une bonne journée de campagne électorale, ma femme et moi avons décidé Samedi soir de nous oxygéner et de nous « faire un ciné ». En route donc pour Studio Ferry et les Montreurs d’image : Stationnement sans aucun problème au parking de la gare, 5 mn de marche, on avale une pizza chez Pizzalio (excellente…) et on file aux Montreurs : Accueil sympa, lieu superbe….Agen comme je l’aime …..
Notre choix s’était porté sur « Twelve years a slave » fortement recommandé par nos grands qui restent nos critiques préférés en terme de cinéma.
Le scénario de Steve Mac Queen est original : L’histoire – vraie - se passe aux États-Unis dans les années 1850 , quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, jeune homme noir originaire de l’État de New York, où il vit librement, y est enlevé et vendu comme esclave dans un Etat du Sud de l’Union. Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité. Douze ans plus tard, il va croiser un abolitionniste canadien qui le ramènera à la liberté….Drame personnel inimaginable qui va nous permettre de rentrer dans le système esclavagiste…
Alors que j’étais d’excellente humeur, j’ai vécu ce film comme une gifle et j’en suis sorti sonné …Je ne l’ai donc pas vécu comme un nième documentaire sur l’esclavage, mais comme un film qui vous implique, qui vous met dans l’histoire…. Jamais je n’avais aussi bien ressenti l’esclavage comme la prison d’une extrême violence montrée par le film : Après tout, pourquoi ces hommes et ces femmes esclaves n’ont-ils pas plus souvent réussi à fuir ….vers les Etats du Nord qui n’ont jamais été esclavagistes ?
Tout d’abord, Le Sud Américain, son immensité, sa nature hostile - à plus forte raison il y a 150 ans - rendent difficile voir impossible toute évasion et sont les murs les plus évidents de la prison esclavagiste.
Ensuite, la peur de la violence omniprésente du système – les coups, le fouet et parfois la pendaison – anéantit toute volonté de résistance ou presque. Nous l’avons malheureusement pu le vérifier à chaque fois qu’une idéologie totalitaire s’empare des leviers du pouvoir : Nazisme, Communisme soviétique. Seuls les héros sont des résistants et n’est pas héros qui veut…
Enfin, le système légal qui fait de l’esclave la propriété marchande de son propriétaire qui en dispose aussi librement que d’une marchandise scelle définitivement le système en mettant tout l’appareil d’Etat ( juge, patrouille de police, etc…° ) du côté des esclavagistes.
La boucle est bouclée et de fait, ce système va durer…..pendant plus de 150 ans.
Le film, lui, se termine bien. Trop bien car il se recentre sur le destin absolument exceptionnel de Solomon Northrup, homme libre jeté dans les griffes des esclavagistes qui en sortit 12 après et cet « happy end » nous fait mécaniquement tourner notre regard sur ce destin exceptionnel en oubliant l’immense majorité de celles et ceux qui restèrent esclaves jusqu’à leur mort.
La fin de l’esclavage aux Etats-Unis se fit quant à elle au terme d’un cataclysme terriblement meurtrier : la Guerre de sécession. En effet, la coexistence au sein d’un même Etat fédéral d’Etats abolitionnistes au Nord et esclavagistes au Sud était explosive et elle explosa. Le Sud Esclavagiste ne lâcha rien dans cette guerre de Sécession, ancêtre de toutes les guerres modernes par sa violence de masse qui engloutit plus de 600 000 victimes dans un conflit interminable de 4ans. Le 3 février, j’écrivais une chronique « Pourquoi il faut voir le film : « Lincoln » » http://www.jeandionis.com/blog.asp?id=18888 ). Ces deux films – et ces deux chroniques – se complètent et se répondent ….en une leçon unique : la sortie des griffes du totalitarisme – et l’esclavagisme en était un - est toujours tragiquement douloureuse sauf homme d’exception et moment de grâce : Nelson Mandéla et la sortie de l’Afrique du Sud du système raciste de l’Apartheid.
Twelve Years à slave, film du passé….certes mais d’une actualité brulante et dérangeante. L’esclavagisme – sous différentes formes : femmes exploitées, enfants soldats, - reste scandaleusement présent dans notre monde d’aujourd’hui et les forces obscures qui le rendent possibles et acceptables sont bien présentes autour de nous: xénophobie, cupidité, violence, ……Ne nous méprisons pas trop vite ces Etats-Unis de 1850 tragiquement divisés sur cette question de l’esclavage et au-delà de l’esclavage sur l’exigence d’égalité des droits de tous les hommes . Pensons juste à notre Union Européenne de 2014 qui va devoir regarder en face la question de la liberté de mobilité de tous les citoyens Européens ( et notamment des Roms…) sur l’ensemble du territoire communautaire, tout simplement parce que cette exigence de liberté de circulation est fondatrice de l’Union, et reconnaissons modestement que les tensions sont, aussi, extrêmes à ce sujet (cf le vote des Suisses concernant l’immigration étrangère, il ya 15 jours….. )
A nous aussi, il nous faudra de solides boussoles idéologiques pour résister aux tentations xénophobes – et la foi chrétienne peut être une de ces boussoles, comme le montre bien le film – ainsi qu’une bonne dose de courage personnel…… Tout cela, Twelve years a slave est venu me le rappeler vivement,…. un peu comme une gifle. Et quitte à me faire « engueler », je crois qu’il y a des gifles salutaires.
@+
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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire
Montreurs
Bien d'accord avec M. le maire : le studio Ferry est un lieu superbe, une réussite qui valorise Agen et donne des gages sur la volonté des élus de promouvoir les lieux culturels pour être "bien dans sa ville".
Cinema
Bravo pour signaler un film remarquable. Pourquoi ne jamais parler du Met de New York ou du Ballet Bolchoï? Allez donc voir le Prince Igor de Borodin et en mars Werther de Massenet etc ..98% de la population n'est pas au courant de ces spectacles merveilleux qui sont donnés en direct depuis 5 ans! Jamais une rubrique sur les journaux!!! C'est regrettable : pour 24 euros seulement les lot et garonnais peuvent bénéficier de 2 des spectacles les plus beaux du mondeUne petite rubrique sur les journaux serait une opportunité Fallait il attendre les jeux olympiques de Russie pour entendre parler de Tchaïkovski ou de Rimsky Korsakov ? Avez vous dans votre équipe un ou une déléguée pour promouvoir la culture?
l'esclavage et la manipulation
La manipulation mentale, le harcèlement sont aussi des formes d'esclavage moderne, surtout si la justice se met du côté des manipulateurs et là aussi les murs sont difficiles à franchir
12 years a slave
Merci pour ce témoignage sur ce film en effet poignant que j'ai également vu très récemment.
Il m'a également marqué, et ma principale réflexion est de me dire que cette histoire ne remonte qu'à 164 ans!! Il faut également affirmer que l'esclavage n'a été aboli qu'en 1982 en Mauritanie par exemple, et qu'il existe sûrement encore dans certains pays...
Par ailleurs, lorsque l'on voit les récents évènements en Ukraine, au Maghreb ou au Proche Orient, où les peuples se sont soulevés contre des dictatures, on peut se dire que l'humanité est bien fragile et que la nature humaine peut resombrer assez vite dans des périodes noires de l'histoire...
L'histoire est un bien précieux qu'il faut enseigner et expliquer à nos enfants.
164 ans, c'était hier....