Nous sommes tous, et nous allons être, dans les jours qui viennent, submergés par une actualité en provenance de l’Afghanistan. Une partie de cette actualité risque d’être malheureusement tragique et un peu mécaniquement et malheureusement prévisible comme à chaque fois quand l’Histoire bascule et quand les vainqueurs règlent leur compte aux vaincus. Déjà, les Romains nous rappelaient cette dure loi de la guerre : « Vae Victis - malheur aux vaincus ! »
Notre émotion, devant les images de l’effondrement occidental en Afghanistan, est légitime. Notre exigence de solidarité envers tous nos concitoyens encore présents sur le sol afghan ainsi que pour tous les afghans et leurs familles qui ont travaillé avec nos soldats et avec nos diplomates pendant presque 20 ans est pour moi un devoir sacré. J’écouterai donc ce soir avec gravité le Président de la République détailler l’engagement de la France pour assurer le rapatriement de la communauté française d’Afghanistan dans les meilleures conditions.
Mais j’ai aussi la conviction profonde que les événements d’Afghanistan appellent de notre part, de la part de chacune et chacun des citoyens français, une réflexion, une prise de conscience géopolitique.
Pour ma part, je m’efforce d’inscrire, dans le temps et la durée, mes réactions d’aujourd’hui face à la nouvelle page de l’histoire de ce pays qui va s’écrire à partir du départ effectif des Américains et de la prise en main du pays par les talibans.
Mes premiers souvenirs remontent bien évidemment à septembre 2001 et aux attentats terroristes contre la ville de New York et les États-Unis. Ces attentats signèrent le début de l’engagement américain en Afghanistan. Nous ne devons pas l’oublier. Les États-Unis, nos alliés, avaient été « frappés à mort » et leur réaction, sans doute d’une violence extrême, était légitime.
Mes souvenirs, c’est aussi ma participation, comme député en Septembre 2008, aux débats à l’Assemblée Nationale en France sur l’opportunité de prolonger notre engagement militaire en Afghanistan. C’est aussi cette journée un peu exceptionnelle, passée auprès d’Hervé MORIN, alors ministre de la défense, à Kaboul en Juin 2010 à la fois pour soutenir nos troupes armées engagées en Afghanistan, mais aussi pour participer aux efforts de négociation pour ramener nos otages, Hervé Ghesquières et Stéphane Taponier, libérés en 2011...
C’est la magie d’un blog que je tiens maintenant depuis plus de 15 ans que de pouvoir relire mes positions prises en conscience, « à chaud » quant à la ligne politique que devait tenir mon pays, la France, par rapport à ce pays si lointain si mal connu par nous les Français qu’est l’Afghanistan.
Je vous invite vraiment à relire ces deux chroniques, l’une du député Dionis, l’autre de l’observateur de ce que j’ai vu à Kaboul en juin 2010.
Vous trouverez la première sur en cliquant sur ce lien et la seconde, en cliquant sur ce lien
En 2008, j’ai voté pour la poursuite de la présence militare de la France en Afghanistan et j’ai confirmé cette position politique dans ma chronique de juin 2010.
Mais, en même temps, je disais avec force et lucidité dans ces deux chroniques que la construction d’une transition vers un État démocratique Afghan, me semblait d’une fragilité extrême (trop de corruption, trop d’inégalités...).
Cette fragilité est malheureusement aujourd’hui confirmée par l’effondrement spectaculaire, d’abord militaire de l’Armée Afghane, et ensuite politique d’un État violent qui n’a pas eu les ressources morales pour affronter militairement l’offensive talibane de mai 2021, liée directement à la décision de retrait du Président Joe Biden.
Faut-il reprocher au président américain cette décision ? Je ne le ferai pas.
Les États-Unis ont fait en Afghanistan sur 20 ans des efforts humains et financiers absolument colossaux. Ils ont perdu plus de 3 000 de leurs soldats et dépensé plus de 1 000 milliards de dollars. Qui sommes-nous pour reprocher à une nation qui a fait de tels efforts, de mettre un terme à ceux-ci et de renvoyer à leur responsabilité les Afghans et les 300 000 hommes de leur armée nationale ? Je peux aussi comprendre les États-Unis de Joe Biden veulent enfin tourner la page tragique des attentats de 2001 et qu’ils considèrent, que de point de vue, l’engagement US en Afghanistan a atteint partiellement ses objectifs notamment avec la mort de Oussama Bin Laden en 2011.
Et maintenant ? A terme, deux questions doivent nous permettre de structurer notre réflexion de citoyens français :
1) l’Afghanistan des Talibans va-t-il redevenir une base arrière du terrorisme international ? Va-t-il à nouveau accueillir sur son territoire les camps d’entraînement des plus radicaux des mouvements islamistes, l’État islamique ou Al Qaïda ?
2) l’Afghanistan des talibans va-t-il être un pays dans lequel l’application la plus rétrograde de la loi islamique entraînerait des atteintes inacceptables pour la communauté internationale notamment vis-à-vis des femmes, mais aussi vis-à-vis de certaines minorités ethniques ou culturelles ?
Pour répondre à ces deux questions, la réflexion géopolitique est inévitable est indispensable. La géographie de l’Afghanistan explique son histoire et son rejet de toutes les solutions trop occidentales. La géographie de ce pays lui a donné des voisins puissants qui ne renonceront jamais à exercer une influence sur ce pays : l’Iran, les Émirats arabes, la Russie, le Pakistan… Il fallait, je crois beaucoup de naïveté géopolitique, pour penser que l’Afghanistan, tel qu’il a été construit, pouvait rester durablement sous influence américaine ou occidentale.
C’est pour cette raison fondamentale que si je suis pessimiste à court terme sur ce qu’il va se passer en Afghanistan, je le suis bien moins à moyen terme.
Je pense que le peuple Afghan, et notamment sa composante la plus urbaine, qui même de manière dégradée a bénéficié des avancées dues à la modernité ne se laissera pas faire et qu’il imposera aux idéologues talibans des compromis importants.
Je pense aussi que ni l’Iran, ni les Emirats Arabes, ni la Russie, ni le Pakistan n’ont intérêt à avoir à leurs frontières un État instable et extrémiste, et qu’ils réagiront très fortement si certaines lignes rouges étaient franchies par les talibans.
J’entends déjà les critiques d’angélisme de certains membres de la classe politique française : elles seront assurément n’être qu’un grand coup de moulinet dans le vide parfaitement ridicule.
Autant je peux comprendre que nous soyons, en liaison avec nos alliés occidentaux, d’une vigilance extrême quand il toujours possible résurgence d’un État terroriste, autant il est temps maintenant d’ouvrir les yeux sur la véritable géographie politique et sur les racines historiques et culturelles de ce pays.
Que doit faire la France en Afghanistan ? C’est un débat éminemment politique. Et j’y participe donc en tant que citoyen. Il est impératif de ne pas nous laisser submerger par nos émotions, notamment par rapport à ce que nous allons voir et entendre de ce pays dans les mois à venir.
Pour bien défendre nos intérêts nationaux en Afghanistan, pour faire respecter les valeurs de la communauté internationale, le temps de la vigilance est revenu. Mais cette vigilance doit être nourrie par nos réflexions fondées sur la géographie, l’histoire et la culture de cette partie du monde que nous connaissons bien mal.
Alors, pour que, petit à petit, notre pays élabore vis-à-vis de l’Afghanistan une nouvelle politique étrangère dont nous soyons fiers ; à nous citoyens, de réfléchir avec des cartes de géographie et des livres d’histoire sous les yeux...
Ils seront nos meilleurs conseillers.
Bonne analyse sur les risques modérés de résurgence d'une base arrière terroriste en Afghanistan. Ne sous-estimons pas les souffrances à venir des femmes et hommes de ce pays: les talibans ne feront aucune concession aux droits de l'homme. De plus, au plan géopolitique, c'est une nouvelle victoire des durs (la Chine en tête que tu oublies de citer avec ses alliés, Pakistan, Russie et même Turquie) aux dépens des Démocraties (Inde et pays occidentaux)
Je partage tout à fait cette pensée soyons vigilant. Maintenant c'est au peuple afghan de construire son avenir dans une histoire encore difficile. Espéronsque la société internationale soit aussi accompagnatrice pour cette peuple