Chronique d’une journée extraordinaire :

J’ai la chance d’être ami avec Hervé Morin, l’actuel Ministre de la Défense. Une amitié déjà ancienne qui remonte au précédent mandat où Hervé Morin fut un très bon président de notre groupe à l l’Assemblée nationale et où je faisais mes premières armes.

Depuis, nos chemins se sont suivis dans les bons et les mauvais moments et je classe, bien sûr, dans cette deuxième catégorie, le divorce entre F.Bayrou et l’ensemble du groupe parlementaire UDF après le premier tour de la présidentielle. Aussi, quand il m’a proposé de l’accompagner dans une visite éclair qu’il devait accomplir en Afghanistan, je n’ai pas hésité une seconde pour lui répondre positivement. Aller voir sur place pour comprendre et ensuite pour peser dans le débat national sur une des questions les plus graves auxquelles doit répondre la Nation : jusqu’où et jusqu’à quand devons-nous engager nos soldats en Afghanistan ? Cette question est grave et solennelle.

J’ai assisté, au pied de l’avion qui nous ramenait à Paris, à la cérémonie qui rendait les honneurs à un de nos soldats, 44e soldat français, le brigadier Steeve Cocol de Tarbes, mort pour notre pays dans ce théâtre d’opérations si loin de nos yeux et de nos préoccupations. Et ce n’est pas le seul. Nos alliés de l’OTAN ont payé un lourd tribut dans ce conflit déjà vieux de presque 10 ans : plus de mille morts pour les Américains, plus de 300 morts pour les britanniques en charge de la sécurité des provinces du Sud, les plus exposées car bastions de la présence Talibane.

Conflit dangereux aussi pour le personnel civil français présent dans ce pays et notamment pour les journalistes. Notre délégation était d’ailleurs composée de nombreux journalistes, avec à leur tête Patrick de Carolis, Président de France Télévision, venu suivre les progrès des négociations pour la libération des deux journalistes de France Télévision, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, emprisonnés depuis maintenant plus de 6 mois. Et dans le même temps, dans l’Airbus A310 de l’armée de l’air qui nous amenait de Paris à Kaboul, je gardais très précisément en mémoire les évènements dramatiques du 11 septembre 2001 qui avaient amené les Américains et la communauté internationale à envahir l’Afghanistan, alors véritable Etat terroriste objectivement allié à Al Qaeda.

Comprendre, ou au moins progresser dans cette compréhension d’une situation complexe. Voilà l’objectif modeste, mais précis que j’avais assigné à mon voyage. Or, il ya une chose que l’on comprend vite en arrivant à Kaboul. C’et que le pays est en guerre. Déplacements en hélicoptère pour éviter ceux en automobile, cibles trop faciles pour d’éventuels terroristes, mitrailleurs et mitrailleuses en poste dans l’hélicoptère, présence alliée bunkerisée dans des quartiers hautement surveillés… L’Afghanistan est de manière palpable un pays fragile et un pays sous tension.

Premier rendez-vous avec Mark Sedwill, haut-représentant civil de l’OTAN en Afghanistan. Celui-ci est un ancien ambassadeur britannique à Kaboul. Jeune, direct, il travaille en tandem étroit avec le Général américain Mac Crystal, responsable militaire de l’OTAN dont on dit qu’il est devenu la conscience politique. Encore un peu « ensuqué » par le voyage, la chaleur, le décalage horaire, j’assiste mi-endormi à l’échange pourtant passionnant entre Mark Sedwill et Hervé Morin. J’en retire un enseignement majeur : la solution politique de transfert du pouvoir au gouvernement d’Hamid Karzaï imaginé par l’OTAN est loin de faire consensus (légitimité du président Karzaï contestée, présence talibane forte à l’Ouest et au Sud du Pays, Pakistan ambigü…) et parait donc encore bien fragile. Dans un pays qui n’a jamais eu d’Etat et où la légitimité du pouvoir n’a jamais pu être incarnée par une autre personne que celle du Roi, la complexité et la confusion règnent en maître… Retour sur terre brutal.

Nous sommes accueillis par le Colonel Bellot des Misnières. Lui et son collègue de la deuxième base visitée, TAGAB, le colonel Michel de MESMAY, m’ont fait une forte impression. Hommes de culture et de charisme, complètement investis dans la double mission, à la fois politique et militaire, qui leur a été confiée, ce sont les dignes héritiers du meilleur de la tradition coloniale française, celle qui va de Lyautey au Maroc à de Lattre en Indochine. Au-delà de leurs chefs, nos troupes ont clairement le moral, que ce soit les hommes du 2ième REP de Calvi ou ceux du 21è RIMA de Fréjus, la France projette en Afghanistan ses régiments d’élite et s’en occupe bien : d’abord en les préparant et en les armant correctement, mais aussi en leur octroyant de bonnes conditions matérielles. J’ai tenu à discuter avec plusieurs d’entre eux. Tous m’ont dit à quel point ils étaient sensibles à cet effort de la Nation. Au-delà des conditions matérielles, ils croient sincèrement à la feuille de route politique qui leur a été donnée à savoir le passage de relais progressif à l’ANA (Armée Nationale Afghane). J’ai écouté avec intérêt le discours que leur a tenu leur ministre H. Morin, à TORA comme à TAGAB.
Il a d’abord fait mémoire à nos morts et à Steeve Cocol avec un message simple : « Prenez soin de vous ! La France tient à chacun de vous ». J’ai aimé cette attention du Ministre à la vie de nos soldats d’autant plus qu’elle était suivie par une prise de position très claire en faveur de l’engagement français au sein de l’Alliance Atlantique : « Si quelqu’un a une autre option politique digne de notre histoire à proposer, qu’il la dise fortement et publiquement. Mais la vérité, c’est qu’il n’y en a pas. Qui imaginerait que la France, avec son histoire, son statut de membre permanente du Conseil de sécurité et son rang de puissance militaire puisse avoir été absente de la réponse des Nations Unies à la barbarie du terrorisme ? » Fermez le ban, H. Morin a raison pour le présent et l’avenir immédiat.

Mais à moyen terme ? A moyen terme, le débat est légitime. La fin de notre journée au pas de charge fut marquée par les vols retour très impressionnants au ras du relief impitoyable de la montagne afghane, mais surtout par l’embarquement avec les honneurs militaires, dans notre avion, du cercueil de Steeve Cocol. Il oblige à la réflexion distanciée et approfondie sur l’opportunité de poursuivre notre engagement en Afghanistan. Et ce débat dans la dignité est légitime et nous devons apprendre à séparer le soutien sans faille que nous devons à nos soldats engagés en première ligne avec le débat légitime sur l’opportunité à terme de cette guerre.

La vérité, c’est que le pari sur l’afghanisation de la gouvernance et de l’armée nationale Afghane est la seule solution à l'alternative du retour immédiat des talibans à Kaboul. Il mérite donc d’être joué à fond. Mais la vérité est qu’il est loin, très loin d’être gagné dans un pays qui n’a jamais connu d’Etat. Il peut donc échouer. Nous devons être conscients de cette fragilité et comme l’a fait le Président Obama, affirmer que nous prendrons dans l’avenir nos décisions au vu des résultats de cette fameuse afghanisation.

Voilà… Vol retour Kaboul-Abu Dabi - Paris. Une journée éclair avec les nôtres en première ligne pour notre sécurité nationale et internationale à l’autre bout du monde. En revenant, je me suis personnellement juré de respecter un engagement simple et accessible : « Je n’oublierai pas nos soldats engagés pour nous, pour la France, loin de France et je n’oublierai pas les otages français
détenus là-bas »
Amitiés,
J.Dionis
P.S : Les responsables français nous ont fait le point sur le sort des otages français. Les nouvelles sont raisonnablement bonnes (intensification des négociations, permanence des interlocuteurs afghans…), mais restons mobilisés et prudents. A plusieurs reprises dans la journée, les militaires français nous ont redit ce proverbe afghan : « Les occidentaux ont leur montre, nous, les afghans, nous avons le temps ».