Le grand débat national bat son plein dans tout notre pays et comme tous les citoyens, je m’interroge sur la méthodologie qui sera utilisée pour traiter une matière aussi abondante qu’hétérogène.
Rien qu’à Agen, nous avons des citoyens qui se sont exprimés en direct sur la plateforme en ligne du grand débat, d’autres sur les cahiers de doléances mis en place par les Maires, des conseils municipaux qui ont organisé des séances de conseil municipal exceptionnel, des conseils de quartiers qui ont organisé leur propre réunion, etc…Bref pas de standard de réponse, des légitimités très différentes, un vrai casse-tête pour en faire une synthèse consolidée !
Je conseille modestement aux experts brillants qui vont se coltiner à la tâche de synthèse, de faire dans la rigueur, la sobriété et en final dans la vérité au moment de consolider cette matière brute.
L’essentiel ne sera pas dans les chiffres, donc que personne ne se fatigue à leur faire dire ce que le caractère extraordinaire de l’exercice démocratique, qu’est le grand débat national ne permettra pas de faire.
L’essentiel, ce sont les lignes forces, les aspirations lourdes de la majorité de nos concitoyens et depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, pour avoir beaucoup échangé avec eux, lu sur eux, je fais le constat que ces lignes forces sont aisément repérables.
- Il y a d’abord une revendication d’une plus grande égalité de ressources, après impôt, entre concitoyens avec pour revendication emblématique, le rétablissement de l’ISF.
- Il y a enfin, une aspiration démocratique nouvelle avec une méfiance radicale par rapport aux élus comme représentants du peuple et une volonté de remplacer cette démocratie représentative rejetée, par une démocratie directe participative de l’ensemble des citoyens. Et cette fois, c’est le fameux Référendum d’Initiative Citoyenne (R.I.C) qui est l’emblème de cette aspiration.
J’ai déjà dit que j’étais favorable au rétablissement de l’ISF ou au moins, à un impôt sur le capital (le patrimoine). Bien sûr, si on peut le faire plus intelligent que notre ISF français, il ne faut sûrement pas se gêner (assiette plus large, taux plus faible ?).
Mais pour moi, l’essentiel est la question démocratique. Nous sommes très nombreux à partager le constat d’une démocratie française qui a, certes des institutions solides mais qui est très déséquilibrée en faveur du président de la République. Tout cela aboutissant à un autre constat glaçant : « En France, pour faire bouger les lignes, il y a l’élection présidentielle et les manifestations de rue avec casseurs…».
Alors, que faire ?
Bernard Lusset, adjoint aux finances de la ville d’Agen et ami personnel, a écrit un très beau texte, important dans lequel il apporte, en substance, une réponse claire : « l’important est de réparer la démocratie représentative…» (lire son billet : Sommes-nous gouvernables ? http://www.blusset.fr/2019/02/17.html).
A court terme, il a raison. L’urgence est effectivement de réparer la démocratie représentative française :
- en redonnant influence et autonomie à l’Assemblée nationale (la grande absente de ce débat national) en revenant sur le calendrier électoral, voir sur le quinquennat présidentiel, en instaurant une dose significative de proportionnelle et en supprimant le pouvoir présidentiel de dissolution de l’Assemblée nationale et en donnant des moyens accrus à nos députés (voir ci-dessous).
- En osant une nouvelle avancée girondine qui recentrera l’Etat national sur ses compétences régaliennes et qui donnera un pouvoir accru aux élus locaux, à proximité des citoyens. On peut améliorer cette proximité, comme le dit Bernard Lusset : « l’innovation Agenaise des conseils de quartier élus au suffrage universel l’a montré clairement ».
Mais à moyen terme, cette « réparation » de notre démocratie représentative suffira-t-elle ? Je n’en suis pas sûr. La vraie question que pose le mouvement des gilets jaunes est celle de la pertinence de la démocratie représentative dans une société de complexité croissante.
J’ai été député pendant 10 ans. J’ai fait ce mandat avec passion, sans tricher, étant à cette époque régulièrement classé comme un des députés les plus actifs de l’Assemblée nationale. Mais j’ai aussi vu les limites de ce mandat et du représentant du peuple, généraliste un peu esseulé avec des moyens limités, coincé entre la force de la technocratie et celle des intérêts particuliers (les fameux lobbys).
En clair, le modèle de la représentation nationale qui nous vient de la philosophie politique des Lumières (Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau …) suffira-t-il à l’expression de la démocratie dans les années futures ? Ce n’est pas sûr et nous sommes aujourd’hui incapables de dire si le mouvement des gilets jaunes restera comme une jacquerie moderne de la France périphérique ou comme une nouvelle année 1789, année pendant laquelle, après bien des tâtonnements, émergea un nouveau paradigme politique, social, économique.
Quel paradigme ? celui du vote de tout ou partie des lois par l’ensemble du corps électoral et non plus seulement par les représentants de celui-ci et l’on retrouve le fameux débat sur le référendum d’initiative citoyenne. J’ai abordé dans une chronique précédente les tenants et aboutissants de ce débat (lire http://jeandionis.com/blog/gilets-jaunes-comment-faire-progresser-democratie-francaise ).
Je crois que nous serions bien inspirés de ne pas jeter aux orties trop vite cet outil qui peut utilement compléter notre démocratie représentative dans un premier temps.
Alors la fin des représentants du peuple ?
Certainement pas.
D’abord parce qu’il faut bien un gouvernement exécutif, capable de décisions fortes et rapides, prises dans le cadre de la loi. Il faudra bien l’élire ce gouvernement.
Même au niveau législatif, le régime parlementaire a trop d’avantages pour s’en passer sans dangers, mais il peut maintenant être complété, à mon humble avis et pour certaines lois, par la pratique plus fréquente du référendum.
J’attends avec intérêt la synthèse du « Grand débat national » pour savoir si c’est une des lignes forces de l’attente de nos concitoyens.