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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Relire le relié : Michel Serres (éditions le Pommier) - Notes de lecture

Publication : 14/04/2020  |  10:43  |  Auteur : Jean Dionis

« Voici sans doute mon dernier livre. Il varie sur les deux origines du mot religion, l’une probable, l’autre usuelle : relire et relier » ….

Ainsi Michel Serres a-t-il tenu à présenter son dernier livre.  Le dernier livre de Michel Serres, qui en a écrit plus de 75 (!), a forcément une valeur testamentaire et contient forcément, me suis-je dit, une part essentielle de son héritage intellectuel…A plus forte raison pour nous qui partageons avec lui l’amour de notre petite patrie agenaise et de sa culture (lire le discours que j’ai prononcé pour les obsèques de Michel le 8 juin 2019 http://jeandionis.com/actualites/discours-prononce-aux-obseques-michel-serres-samedi-8-juin-2019 )

Je me devais donc de lire « Relire le relié ». Le hasard (?) a voulu que je le lise en plein drame du coronavirus et que j’en termine la lecture en ce lundi de Pâques 2020 et ces circonstances ont donné à cette lecture une résonnance intérieure particulièrement forte. Michel Serres, à l’occasion de la crise de gilets jaunes, avait publiquement fait part de sa perception des fragilités de notre société et de l’épuisement de notre système démocratique. Il avait notamment appelé de ses vœux la mobilisation de toutes celles et ceux de la communauté de la philosophie politique pour faire émerger de nouveaux paradigmes capables de relever les défis de notre époque. Pour le moins prophétique…

Michel Serres part d’un constat : celui de la force et de la permanence du Religieux et des Sciences, notamment en le comparant aux fragilités des constructions politiques.

Ecoutons-le :

« Restent que Confucianisme, Bouddhisme et Judaïsme perdurent, je le répète, depuis plus de trois millénaires, le Christianisme, deux mille ans, l’Islam quinze cents ans. Géométrie, deux mille cinq cents ans, physique, cinq cent ans …Durant ces longs intervalles, combien d’empires naquirent, fleurirent et déclinèrent avant de s’effondrer (et de citer pêle-mêle, Charles-Quint, Roi Soleil, Napoléon, Empire Britannique, Etats-Unis, Chine…) ? J’énumère au hasard ce chaos de bricolage. Pendant le temps où ces existences frêles naquirent et disparurent successivement, les religions, puis les sciences ne cessèrent jamais de conditionner les collectifs de l’Eurasie, puis du Monde, mieux de modeler vies et cultures des femmes et des hommes » (pages 72- 73).

Cette force du religieux et cette faiblesse du politique doit nous interroger au plus profondément de nous-mêmes. Le religieux, pour Michel Serres, représente une source de sens symbolique absolument indispensable. Alors, Michel Serres croyant ? Plus complexe que cela, à nouveau écoutons Michel Serres : « Je crois en Dieu, je n’y crois pas. Je crois en Dieu, pile. Je n’y crois pas face. Pile et face font la même pièce et cette pièce c’est moi. Credo, non credo, recto et verso, qui font la même feuille et cette feuille, c’est moi ». (page 181) En lisant ces lignes, les paroles de Pierre Gardeil, interpellant Michel Serres en ma présence ébahie, sont brutalement remontées en ma mémoire : « Mais, Michel, si tu es chrétien, dis-le, dis-le !, c’est important… ». Lui-même semble répondre à Pierre Gardeil en invoquant la célèbre phrase de Blaise Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé » (page 206).

 

Ce qui est certain, c’est que Michel Serres pense que, pour vivre, les hommes, nous, avons besoin d’un Grand récit qui donne sens à notre présence sur cet improbable vaisseau spatial qu’est notre Terre. Ce grand récit ne sera fondateur pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui que s’il est la synthèse du récit scientifique porté par les sciences dures et du récit symbolique porté par les religions. Michel Serres pense qu’après des siècles d’affrontement, l’heure est favorable à une grande synthèse entre récit scientifique et récit religieux, étrangement en paix ces temps-ci.

Et revoilà, Michel dans son exercice favori, l’homme de la grande synthèse, celui du grand pont entre sciences et religion.

Reste l’obstacle ultime à ce pont vertigineux esquissé par Michel Serres: le problème du Mal, …

Face à lui, Michel Serres se fait résolument Girardien (cf René Girard, la Violence et le Sacré). Pour lui, la violence est une énergie détournée, dévoyée qu’il s’agit d’apprivoiser, de canaliser.

La réponse tristement triviale de l’Histoire est celle du bouc émissaire où la canalisation de la violence collective passe par la condamnation sacrificielle d’un bouc émissaire innocent, ce qui n’amène parce que, mensonger, qu’un calme précaire et instable dans la communauté des hommes.

Je n’ai pas pu lire les pages que Michel Serres consacre à ce dernier chapitre de son livre sans un certain effroi, en pensant à la somme des malheurs actuels de notre humanité éprouvée par la pandémie. Grande sera la tentation mensongère de trouver des boucs émissaires, à l'issue de cette crise. Puissions nous avoir la sagesse d’y résister …et d’enfanter une société authentiquement meilleure.

J’ai refermé le dernier livre de Michel Serres.

Les mots que j’ai prononcés lors de ses obsèques résonnent avec insistance en moi :

«   Cet attachement à Agen, tu l’as construit aussi autour de l’amitié. Formidable liens d’amitié que ceux qui t’ont lié à Pierre GARDEIL, gascon comme toi d’Astaffort et de Lectoure, philosophe comme toi et qui aimait te porter la contradiction. Formidable amitié aussi que celle qui te liait à Paul CHOLLET.

Et si l’on rajoute aux trois mousquetaires que vous étiez avec bonheur, la figure immense de René GIRARD, je me dis qu’il y a eu des années de grâce où quatre personnalités extraordinaires se sont parlées, se sont reconnues comme amis, et que tous leurs fils de vie passaient par Agen. »

Tous les Agenais doivent - donc- lire ce livre…et les autres, aussi.

 

 

 

 

 

 

                                                                                             

 

Les réactions

Le triangle sociologique ou le mimétisme sociologique prôné par rené GIRARD, se résume à  : "désirer le désir de l'autre" "Je t'imite parce que je désire ce que tu désires" (pour pouvoir l'obtenir bien évidemment) d'où le mimétisme qui en découle. Je n'ai pas lu le denrier ouvrage de Muchel SERRES (mais je le lirais plus tard si les circonstances le permettent) Mais il y a un autre ouvrage écrit sur le même thème très innovateur et clairvoyant, "Le désenchatement du monde"  de Marcel GAUCHET, qui parle de la place de la religion dans la société au fils des siècles jusqu'à aujourd'hui.

Il y a encore beaucoup à dire sur le concept de René GIRARD. Notamment sur les paradoxes qu'il suggère. 

Cependant, Michel SERRES a raison,  sans avoir encore lu son ouvrage. Il est urgent d'inventer de nouveaux paradigmes.

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