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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

COVID : les difficiles relations entre l’Etat et les Maires

Publication : 20/04/2020  |  10:36  |  Auteur : Jean Dionis

Le vendredi 17 avril, la plus haute juridiction de notre pays en droit administratif, le Conseil d’Etat a annulé définitivement l’arrêté municipal de mon collègue, le maire de Sceaux, qui rendait le port du masque obligatoire ou celui de tout dispositif équivalent pour toute personne âgée de plus de 10 ans.

Il faut lire l’ordonnance du Conseil d’Etat (lire https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-maire-de-sceaux-ne-peut-imposer-le-port-d-un-masque-de-protection-dans-l-espace-de-sa-commune ).

Elle va faire jurisprudence.

L’ordonnance du jugement annulant l’arrêté municipal affirme en effet que « le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation. »

En clair, en cas d’état d’urgence sanitaire, il n’y a qu’un seul pilote dans l’avion, c’est l’Etat.

Et l’ordonnance du jugement enfonce le clou pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre le pouvoir de police spéciale donnée exclusivement à l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et le pouvoir de police générale du maire. Elle affirme à nouveau : « En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. »

En clair, lors d’une crise sanitaire, le pouvoir de police générale du maire s’efface devant le pouvoir d’exception attribué exclusivement à l’Etat.

Les choses sont dites clairement. Elles vont faire mal.

D’abord à Philippe Laurent, le maire de Sceaux, actuel secrétaire général de l’Association des Maires de France. Il se trouve que nous sommes amis. Le Lot-et-Garonne dont nous sommes tous les deux les fils, la même école d’ingénieur pour formation, la même famille politique pendant longtemps…

Philippe, qui est un des meilleurs spécialistes nationaux en finances locales, est clairement un de ces maires d’exception qui font honneur à tous les collègues maires de France. Ses motivations dans cette affaire sont nobles.

 

Ensuite à toutes celles et ceux qui sont attachés à faire vivre la décentralisation depuis environ 40 ans, et j’en fais modestement partie. Que devient la libre administration des communes inscrite dans notre constitution ? Est-elle suspendue pendant l’Etat d’urgence sanitaire ? la réponse est manifestement « oui » pendant cette période d’exception.

Et pourtant, même si je suis clairement un girondin en matière de philosophie politique, et au risque de choquer certains de mes collègues, je veux dire ici que la décision du Conseil d’Etat ne m’a pas surpris et que fondamentalement je l’approuve.

Elle ne m’a pas surpris. Depuis le début du mois de mars, j’ai dit et redit à Agen et ailleurs, que la crise du COVID était une crise majeure, que l’Etat, légitimement, allait prendre le pilotage de la réponse de la Nation à cette crise et que pour nous, ville d’Agen et agglomération d’Agen, il n’y aurait qu’une ligne « discipline ». Nous appliquons les directives de l’Etat. Nous n’y ajoutons rien. Nous n’en retranchons rien.

J’approuve ce pilotage exclusif par l’Etat et en ce qui me concerne, il m’a protégé d’un bon nombre de contresens et autres impasses dans lesquels certains de mes collègues maires se sont enfermés.

Je pense à la mise en œuvre de couvre-feux nocturnes inefficaces parce que consommateurs de ressources de police autrement plus utiles de jour pour faire respecter le confinement. Je pense encore aux initiatives plus que douteuses de désinfection de nos rues à la Javel plus dangereuses pour les citoyens que pour le virus. Je pense enfin à l’interdiction de faire du sport dans la journée à Paris qui a abouti à la concentration mécanique des joggers aux mêmes heures de soirée. Oui, nous aussi, les maires, nous avons du ménage à faire dans nos décisions.

Est-ce à dire que l’Etat est irréprochable dans sa conduite des opérations ? bien sûr que non, j’ai passé l’âge d’une naïveté puérile à cet égard. Et ses décisions et sa communication sur le sujet hyper-sensible du port du masque ont été, à bien des égards, erratiques. Et plus encore, certaines de ses décisions en matière de saisie de commandes de masques faites par les collectivités locales ont légitimement choqué.

Mais le pilotage par l’Etat apporte l’acquis fondamental d’un éclairage permanent des décisions à prendre par les données scientifiques disponibles (lire ma chronique http://jeandionis.com/blog/coronavirus-scientifiques-politiques-ensemble-au-front ) et il assure enfin cohérence et  équité sur l’ensemble du territoire national.

En attendant les arbitrages finaux en matière de dotation de masques « grand public » par « l’Etat avec l’aide des Maires », à la Mairie d’Agen, nous nous préparons activement : d’abord la sécurité des soignants, puis celle des agents territoriaux, enfin celle des citoyens quand cela sera utile (transports en commun, dans la rue ? etc…).

Et de façon pragmatique, il est urgent, en période de crise, d’avoir une collaboration sans faille entre l’Etat, ses Préfets et les collectivités locales et d’abord les maires en première ligne dans cette crise. Nous y arrivons d’ailleurs plutôt bien chez nous en Lot-et-Garonne, notamment grâce à Madame la préfète qui a veillé dès le début de cette crise à ouvrir les portes des comités de pilotage étatiques aux élus et fonctionnaires territoriaux.

C’est d’ailleurs une vielle histoire. En France, entre Jacobins et Girondins de bonne volonté, on finit toujours par s’entendre…

 

                                                           

 

Les réactions

Attention aux revirements de jurisprudences, qui ne font force de loi que jusqu'à ce qu'elles ne soient pas renversées. La guerre n'est pas finie, loin de là nous dit le soi-disant pilote. D'autant plus que la crise révèle qu'il n'y a pas de pilote expérimenté dans l'avion. Par contre il y a des pilotes expérimentés au sein des territoires et qui ont atténué l'inexpérience de l'Etat, dont vous faites partie. Et tant mieux pour tout le monde.

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