Je suis Conseiller régional d’opposition dans notre nouvelle grande région, la région Nouvelle-Aquitaine depuis décembre 2015. Trois ans, déjà….trois ans, c’est la mi-temps du premier mandat de ces nouvelles régions issues de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions. C’est un bon moment pour faire un premier bilan de cette modification majeure de notre administration territoriale…
Mon poste d’observation de conseiller régional et Président d’un groupe d’opposition au Conseil régional a certes ses limites et je laisse bien sûr à d’autres organismes qui auront bien plus de compétences et de disponibilités que moi, le soin de faire d’autres analyses, à la fois plus froides et plus rationnelles que la mienne. Mais je crois à l’intérêt de paroles d’élus venant de l’intérieur de l’institution.
Commençons par des remarques générales :
Deux objectifs officiels ont été assignés à l’élaboration du nouveau découpage régional : la création de grandes régions, plus adaptées à l’échelle européenne et la réalisation d’économies d’échelle, par la fusion et la mutualisation de certains services.
Pour ce qui est de la création de régions à l’échelle européenne, le bilan est contrasté. Il est très lié aux choix géographiques et politiques qui ont été faits pour cette réforme. Certaines régions, comme la Normandie, les Hauts-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes ou l’Occitanie ont su trouver la bonne dimension. Pour ces régions, où les décisions politiques ont rejoint de véritables caractéristiques régionales, le développement va dans le sens d’une plus grande cohérence. Une région comme la Normandie, qui était artificiellement coupée en deux à cause de la rivalité métropolitaine entre Caen et Rouen, est désormais intégrée dans un espace économique et géographique beaucoup plus cohérent.
Au contraire, des régions comme le Grand Est ou la nôtre, la Nouvelle-Aquitaine, dont le découpage est beaucoup plus artificiel, peinent à trouver une identité. Certaines identités fortes comme l’Alsace ont été oubliées. Elles renaîtront. D’autres ensembles auraient pu être intégrés, comme la Bretagne et les Pays de la Loire.
Ces disparités illustrent les limites d’une réforme davantage politique et discrétionnaire que fondée sur les réalités économiques et administratives du pays.
Pour ce qui est de la réalisation d’économies d’échelle, par la fusion et la mutualisation de certains services, et même si je ne dispose pas d’analyses nationales précises sur ce point, à la lumière de ce qui s’est passé, chez nous en Nouvelle Aquitaine, je pressens que…c’est raté. Raté pour une raison très compréhensible : lorsque vous avez à harmoniser entre trois régimes existants, il faut être très costaud politiquement pour ne pas céder à la facilité et à la tentation de l’harmonisation par le haut.
Enfin, à court terme, au moins, cette réforme a apporté plus de confusion que de clarification dans l’administration territoriale de notre République. Les trois mouvements simultanés que sont le renforcement des régions, d’une part, le développement des métropoles, d’autre part et enfin la permanence des départements nous éloignent de la nécessaire simplification de nos structures territoriales. La constitution de grandes entités métropolitaines risque de provoquer une amplification du phénomène simultané de concentration métropolitaine et de désertification de la ruralité, difficile à corriger au niveau de grandes régions. La place et le rôle des départements apparaissent, dès lors, très différents selon la nature des territoires qu’ils auront à couvrir.
Bilan peu glorieux pour cette réforme importante, mais ratée parce que bâclée et inutilement politisée.
Il reste qu’elle a dessiné une nouvelle administration territoriale dont on pressent qu’elle est là pour durer et qu’elle ne sera changée que marginalement. Donc puisque nous allons devoir vivre longtemps avec ces grandes régions, mal nées, que faut-il y améliorer par rapport à ces trois années de démarrage ?
D’abord y mettre de la démocratie. J’ai été député. Je suis maire, président d’agglomération et conseiller régional. Pour moi, le fonctionnement de l’institution régionale est de loin le plus technocratique et le moins démocratique de tout ce que j’ai vu : commissions sans aucun pouvoir, très peu d’amendements proposés au texte majoritaire, services si loin des citoyens sans relai clair sur les territoires,… mettre de la démocratie dans les régions, cela veut clairement dire commencer à bien faire fonctionner la démocratie représentative et donc l’assemblée régionale. Il faut siéger plus longtemps que 10 jours par an, il faut que les commissions votent et rendent compte de leurs votes devant l’Assemblée, il faut mettre le travail d’amendement au cœur du mandat de conseiller régional. Il faut pouvoir organiser, sous condition de majorité qualifiée, des référendums à l’échelle de la région. La région ne peut se satisfaire d’être riche, mais si lointaine et si technocratique.
Ensuite et enfin, les régions doivent faire leur révolution Girondine. Pour le moment, elles ne sont qu’un jacobinisme de plus. Jacobinisme régional certes, mais jacobinisme tout de même. Un exemple : le SRADDET ? vous connaissez ? derrière ce sigle barbare, il y a le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires.
La meilleure des choses si c’est un travail qui part d’en bas, des territoires, de leurs volontés locales d’exercer leurs compétences d’urbanisme et si la Région s’en tient à un rôle précieux de consolidateur des projets territoriaux en veillant au respect des grands projets nationaux et régionaux.
La pire des choses si on refait, régionalement, les erreurs fatales des lois dites Grenelle 1 et 2 où l’Etat, sous couvert de politique de prévention des risques, a privé les élus locaux d’une partie essentielle de leurs compétences : l’urbanisme et le droits des sols.
Pour devenir girondines, nos grandes régions ne doivent pas s’enfermer dans leur capitale régionale, mais au contraire s’installer dans les territoires (agences régionales territoriales, contrat avec un partenaire local comme les CCIT…). Tout est ouvert, à une seule condition : s’enraciner dans les territoires.
Soyons positifs pour finir ! Les grandes régions ont des atouts. Symboliquement, en ressuscitant nos anciennes provinces, elles se sont attirées la sympathie initiale des Français. Elles sont, par construction, riches. Les élus locaux le savent et changent leur organisation pour s’adapter à cette nouvelle réalité.
Reste à faire une petite révolution démocratique et territoriale…chiche ?
La région est riche et à la compètence apprentissage. Comment se fait-il que notre CFA départemental soit abandonné et pas refait à neuf malgré les cris justifiés de son responsable Yvon Setze ?