Je voyage beaucoup ces temps-ci.
Après mon escapade galloise, l’association départementale des Maires du Lot-et-Garonne et sa coutume désormais bien enracinée d’un voyage annuel nous ont amenés, ma femme et moi, cette année au Vietnam.
Cela fait maintenant plus de 35 ans que les Maires du Lot-et-Garonne se baladent aux quatre coins du monde, une fois par an. Enfin, pas tous les maires… environ une quarantaine de maires sur les 319 en fonction, accompagnés d’anciens maires, d’élus avec leurs compagnes et leurs compagnons. Bref, une fine équipe d’environ 80 personnes en mouvements plus ou moins coordonnés.
Cette pratique de voyage annuel des maires est régulièrement critiquée par tous les pisse-vinaigre, complotistes et autres pas marrants. « Les maires voyageraient à nos frais » s’épanchent-ils doctement et tristement. C’est faux. Nos compagnes et compagnons paient tout leur voyage et les maires en paient 90 %, l’association ne prenant à sa charge qu’une subvention de 10 % — subvention que nous avons d’ailleurs décidé de supprimer à partir de l’an prochain.
Quant à moi, je défends ces voyages bec et ongles, pour deux raisons.
La première est tout simplement de permettre à la famille des maires du Lot-et-Garonne de mieux se connaître. Car la réalité, c’est que nous ne connaissons au mieux que les maires de l’intercommunalité à laquelle nous appartenons. Or, un voyage, c’est beaucoup de temps morts, de temps de « fond de bus », temps précieux pour dialoguer et se connaître.
La deuxième raison est d’améliorer notre culture générale quant au monde dans lequel nous vivons et les maires, véritables tauliers de notre société française, ont bien besoin de ce regard distancié, long-termiste sur notre actualité. Sur le chemin du retour, ce n’est pas l’expérience touristique et esthétique que je retiens en premier, mais tout simplement la leçon, reçue grâce à ce voyage, de géographie, d’histoire et d’économie sur le Vietnam et l’Asie en général. Je savais si peu sur ce pays.
En dix jours de voyage, j’ai beaucoup appris. Et comme aimait à le dire Michel Serres, le savoir rend libre, le savoir rend heureux…
Alors qu’ai-je retenu de ce voyage très complet qui nous fit parcourir les 2 000 km de ce pays magnifique d’Hanoï, au Nord, capitale politique, à Ho Chi Minh Ville, anciennement Saïgon, capitale économique au Sud en passant par Hué, Da Nang et Hoi An, superbes villes du cœur de ce pays si étrange ?
Au final, je retiendrai, à titre strictement personnel, trois leçons plus sociologiques, historiques et politiques que géographiques ou patrimoniales.
D’abord, la place des ancêtres dans le cœur et dans les maisons des Vietnamiens.
Comme nous l’a dit notre guide, chez eux, la mort est plus importante que la vie. Les Vietnamiens fêtent l’anniversaire des décès de leurs anciens, pas leurs naissances. Chaque famille a, dans sa maison, l’autel de ses ancêtres au pied duquel on vient prier et offrir des offrandes. Le Vietnam, façonné par les apports extérieurs du confucianisme, du bouddhisme et du christianisme, est resté fondamentalement animiste. Les âmes des morts continuent leur parcours. Il importe de communiquer avec elles avec bienveillance. De manière cohérente avec ces croyances, les cimetières sont partout dans les champs et rizières vietnamiens… le plus près possible des vivants. Quelle différence avec nos sociétés occidentales où la vie est sacrée et la mort cachée et oubliée !
Sans vouloir faire la promotion d’un syncrétisme sans intérêt, j’avoue avoir été intérieurement bousculé par cette approche existentielle si résiliente (le communisme n’a eu aucune prise sur elle) et radicalement différente de notre vécu d’Occidentaux.
La deuxième leçon fut clairement géopolitique. En arrivant au Vietnam, une question m’obsédait : « Comment une géographie comme celle-ci, 1 200 km de frontière au Nord avec la Chine, un étroit ruban de terres de 2 000 km de long du Nord au Sud, l’empire Khmer sur sa frontière Sud-Ouest a-t-elle pu accoucher d’une nation aussi farouchement indépendante ? » La réponse là encore nous fut donnée par notre guide, au demeurant excellent. L’histoire bimillénaire du Vietnam a eu, sur le long terme, deux moteurs : la sortie de la vassalité vis-à-vis de la Chine et la longue marche des Viêts, du Tonkin au Nord, vers le Sud et le delta du Mékong. Ces deux moteurs ont façonné un peuple, une nation, une culture, une langue farouchement et fièrement patriotes et indépendants. Sur cette réalité, la colonisation française ne fut qu’une parenthèse d’un peu moins de cent ans (1858-1954) que d’ailleurs les Vietnamiens ne cherchent absolument pas à effacer.
C’est sur ce patriotisme vivace, plus encore que sur le communisme de la Guerre froide, que se sont successivement cassés les dents les Japonais (1940-1945), les Français (1945-1954), les Américains (1954-1975)… et les Chinois (1979-1980). Incroyable…
Enfin, la troisième leçon que m’a apportée ce voyage fut de toucher du doigt ce régime économique et politique très hybride qu’est celui de l’actuelle République démocratique du Vietnam. Politiquement, le Parti communiste tient cela d’une main de fer. Fort de ses 3,3 millions de membres dans un pays de 100 millions d’habitants, protégé par une constitution qui interdit tout autre parti politique, il pilote toute la vie administrative et politique du pays. Mais en même temps, depuis les années 1990, le régime s’est complètement ouvert à l’entreprise privée avec un succès indéniable. Le Vietnam connaît une croissance annuelle de 6 % par an et tous ses habitants ont vu leur niveau de vie augmenter. Enfin, le régime est bienveillant vis-à-vis des grandes traditions culturelles qui ont construit la morale quotidienne de ses habitants.
Ce régime hybride a clairement un bilan à mettre à son actif : un début de prospérité économique comme on l’a vu, mais aussi la paix civile et la stabilité politique, appréciées à leur juste valeur par un peuple qui a tant souffert des horreurs de la guerre (3 millions de morts de 1940 à 1975). Ce régime a aussi sa face sombre : répression politique, bureaucratie envahissante et surtout corruption généralisée, notamment à l’interface entre le monde des fonctionnaires et celui de l’entreprise privée.
Mais ce régime est en place depuis 1975. Il a montré ses capacités d’adaptation. Il répond aux exigences citoyennes de prospérité et de paix civile. Il est en soi un défi aux démocraties occidentales.
Le Général de Gaulle avait prophétisé que la Russie boirait le communisme comme le buvard boit l’encre versée sur lui. Le Vietnam, et sa personnalité profonde, boira-t-il le communisme jusqu’à l’effacer ? Ou assisterons-nous à l’émergence d’une construction d’un régime durable et adapté au XXIe siècle ? La réponse appartient aux Vietnamiens… et à leurs voisins.
Retour en France, à #Agen.
Merci au Vietnam pour tous ces enseignements.
Et vivent les voyages qui nous ouvrent un peu plus les yeux sur les beautés et les souffrances du monde !
Je reviens plus que jamais patriote d’Agen même, du Lot-et-Garonne… et un peu plus citoyen du monde.
@+,
Jean Dionis, Maire d’Agen