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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Incertitudes Libyennes par David Djaïz

Publication : 28/08/2011  |  15:54  |  Auteur : Jean Dionis

Pour quoi avoir fait appel à David Djaïz par J.Dionis

Lorsque j’ai choisi comme sujet de chronique la Libye, j’ai pensé l’écrire « à 4 mains » avec David Djaïz. David a 20 ans et il est un des amis les plus proches de mon fils Vincent. Je le connais donc depuis longtemps ….mais il est surtout un représentant de l’excellence agenaise dans la nouvelle génération. David est actuellement à l’Ecole Normale Supérieure après y avoir été reçu comme major. Il travaille sur le dialogue entre les mondes occidental et arabe. Parce qu’il est brillant, parce qu’il est jeune, parce qu’il travaille sur ce sujet, l’analyse de David mérite votre attention et….vos remarques. Merci, David
Légende photo: David Djaïz au Grand Pruneau Show 2010

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Incertitudes Libyennes par David Djaîz

Alors que s'achève la "bataille de Tripoli" qui consacre la victoire de la rébellion libyenne sur les forces loyalistes de Kadhafi, l'heure des premiers bilans de "l'aventure libyenne" a sonné.

L'intervention militaire de puissances extérieures était-elle pertinente? J'étais personnellement favorable à cette intervention, notamment parce que, en spectateur enthousiaste des révolutions tunisienne et égyptienne, je souhaitais une contagion démocratique dans tout le monde arabe. J'ajoute que j'avais comme tout le monde été choqué par la brutalité de la répression des manifestations d'opposants en Libye et qu'il était de notre devoir, estimais-je, de neutraliser la nuisance de Kadhafi, afin d'éviter le bain de sang.

Néanmoins, j'ai très vite déchanté, et j'ai presque regretté d'avoir si ardemment soutenu l'intervention, et ce pour plusieurs raisons :

-Tout d'abord parce que la résolution 1973 autorisant une intervention militaire (sans troupes au sol) et votée par le conseil de sécurité de l'ONU n'a été approuvée ni par la Chine ni par la Russie, pièces maîtresses du conseil de sécurité, qui se sont contentées de l'abstention. Ne restaient plus, au conseil de sécurité, que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, c'est-à-dire un "bloc occidental" loin de représenter dans sa diversité ce que l'on appelle la "communauté internationale". J'ai de fait très vite redouté que cette intervention militaire ne soit vécue comme une nouvelle démonstration de force de l'Occident démocratique et donneur de leçons.

-Heureusement, la présence du Qatar et des Emirats arabes unis (EAU) aux côtés des puissances occidentales a modéré ce risque. Pour autant ces pétromonarchies stratégiquement alignées sur la politique extérieure des Etats-Unis font peser un risque nouveau sur un monde arabe en pleine effervescence démocratique. En effet le soutien affiché de ces puissances aux révoltes arabes, notamment par le relais médiatique d'Al Jazeera, n'est pas simplement désintéressé. On a vu, ces derniers jours, le Qatar conclure d'importants contrats avec la rébellion libyenne tout juste victorieuse, en matière d'armement, de pétrole et de finance islamique. A mon sens, la participation du Qatar et des EAU aux opérations coordonnées par l'OTAN en Libye témoigne de cette volonté de prendre le contrôle économique et stratégique du monde arabe, sous l'oeil bienveillant des Etats-Unis et notamment de l'administration Obama, qui ont entériné qu'ils ne pourraient plus jamais assumer seuls le rôle de "gendarme du monde", et qu'ils avaient donc besoin de "gendarmes régionaux".

J'ajoute que le zèle des pétromonarchies à défendre la démocratie à l'extérieur (récemment les Saoudiens ont dénoncé la répression en Syrie, ce qui prête à sourire) ne masque que difficilement leurs propres réalités politiques : ce sont des régimes monarchiques ou oligarchiques où le pluralisme n'existe pas, où les droits fondamentaux ne sont pas respectés, où l'opposition est souvent muselée ou décorative.

-Aussi une coalition militaire composée de quelques pays occidentaux et de deux pétromonarchies ne pouvait-elle que susciter mon scepticisme, d'autant que, malgré la dissymétrie entre les forces modestes de Kadhafi et l'appui énorme apporté par la coalition aux rebelles, il a fallu plus de six mois pour venir à bout du régime. Cela indique au moins que la rébellion libyenne n'a pas reçu un soutien unanime et total de la population libyenne, comme on a pu l'entendre dans les médias français. A quoi s'ajoute qu'on ne connaît pas bien la composition de son organe principal, le comité national de transition (CNT), mis à part quelques leaders passés plus ou moins tardivement et donc opportunément de Kadhafi à la rébellion.

Quel rôle y jouent les islamistes? Cette rébellion a-t-elle su se doter d'une plateforme politique ou au moins idéologique? Son origine géographique (l'Est du pays, massivement) la fragmentation de la Libye en tribus et en ethnies, la résistance acharnée, six mois durant et malgré les bombardements de l'OTAN, des forces loyalistes dans l'Ouest du pays m'invitent à penser que la révolte a d'abord un caractère clanique, avant d'avoir une dimension politique. Dans ces conditions, la réconciliation nationale ne sera pas facile, même si le régime de Kadhafi est vaincu militairement.

Fallait-il pour autant s'abstenir d'intervenir? Bien sûr que non. Seulement, il aurait
fallu donner une autre coloration à cette coalition, l'élargir davantage aux pays émergents et aux pays arabes (autres que le Qatar et les EAU) en faisant des concessions sur le mode d'intervention (s'abstenir des frappes aériennes en échange d'un soutien logistique et de l'armement plus massif des rebelles par exemple). Les répercussions de ce manque de concertation dans la préparation de l'intervention seront importantes pour la Libye de demain, qui risque de manger dans la "main des émirs" et d'être une colonie économique, dans le meilleur des cas, de s'enfoncer dans le chaos et le morcellement clanique ou ethnique selon un scénario à l'irakienne, où les puissances intervenantes joueront le rôle d'épouvantail, dans le pire des cas.

Voilà pourquoi je ne peux pas partager l'enthousiasme de notre presse nationale et l'autosatisfaction des membres du gouvernement qui claironnent que l'affaire libyenne est un succès.

Nous entrons dans une phase cruciale et délicate : la reconstruction, matérielle autant que démocratique. Comment éviter les scénarios un peu catastrophistes que je mentionne plus haut? En aidant la Libye à se reconstruire tout en étant respectueux de sa souveraineté. Il est urgent de débloquer beaucoup de fonds pour permettre au gouvernement provisoire d'éviter au pays de sombrer dans la catastrophe : il faut payer les rebelles, sans solde depuis trois mois, il faut financer les biens de première nécessité, ainsi que l'eau et l'électricité. A plus long terme, il convient d'engager une sérieuse réflexion sur la transition démocratique. A l'évidence, la Libye n'a pas encore une vie politique et une société civile préparée à la démocratie. Il faut favoriser un "levain démocratique" en coopérant étroitement avec la Libye par l'envoi de commissions ou de conseillers chargés d'épauler et de contrôler les rebelles dans la repolitisation du pays, l'installation du pluralisme, l'organisation des élections, la rédaction d'une constitution. Mais cela doit se faire dans un esprit plus ouvert que l'intervention militaire : les pays émergents, la communauté internationale dans son ensemble, doivent être associés à cette reconstruction matérielle et morale.

Une très lourde responsabilité pèse également sur les épaules des rebelles. Ils devront faire preuve de sens des responsabilités en résistant à toute tentation vengeresse. Pour éviter que la transition démocratique ne dégénère en un bain de sang tribal, comme ce fut le cas en Irak, il faudra pratiquer une épuration très limitée, dans l'administration, la justice, l'armée, la police, l'enseignement. La proposition d'intégrer à égalité dans les nouvelles forces de sécurité les soldats loyalistes et les rebelles, récemment formulée par le leader de la rébellion, Mustapha Abdeljalil, va dans le bon sens. Il incombera aussi aux constitutionnalistes qui élaboreront la nouvelle constitution, de casser la logique tribale, soit en décidant de nier le tribalisme, et donc de l'annuler, selon le modèle républicain, soit en partageant le pouvoir entre les différentes tribus selon le modèle d'inspiration confessionnelle libanais, auquel cas la tribu de Kadhafi ne saurait être totalement écartée du pouvoir. Il faudra enfin veiller à ce que la Libye ne devienne pas une rente de situation pour les pays qui ont participé à la coalition (et notamment les pétromonarchies) car tout néocolonialisme économique pourrait nourrir la nostalgie de la Libye indépendante et souveraine de Kadhafi.

Autant de décisions à prendre vite pour corriger les maladresses d'une intervention militaire finalement fructueuse mais aux conséquences imprévisibles.

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