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30/06/06 : Projet de loi droit d'auteur et droits voisins : discours lors de l'examen du texte de la Commission Mixte Paritaire.

Publication : 30/06/2006  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Rapporteur
Mes chers collègues,

Nous voilà au terme d'un long, très long débat. Au moment de rassembler nos réflexions pour fonder notre vote sur ce qui sera le texte de loi définitif c'est finalement la nouvelle devise de l'UDF, celle du parti LIBRE qui traduit le mieux notre cheminement et nos convictions sur ce sujet de société majeur.

D'abord sur la forme, sur la conduite des débats.
Nous avons été parmi les premiers à dire que ce projet de loi n'était pas un projet de loi technique, n'était pas une banale transposition de Directive européenne. En effet, rapporteur de la loi pour la confiance dans l'économie numérique j'avais perçu que le début de mobilisation de l'ensemble des acteurs socioprofessionnels sur la LCEN annonçait un grand mouvement d'opinion publique lors de l'examen de la loi relative au droit d'auteur. Et honnêtement ce projet de loi le méritait.
Car les enjeux de cette loi sont considérables.

Internet est en train de devenir sous nos yeux le vecteur majeur de toute diffusion culturelle avant même la radio et la télévision. La culture, longtemps privilège pour un petit nombre de nos citoyens, va devenir accessible à tous, si nous le voulons, grâce à Internet.

C'est une formidable nouvelle pour notre démocratie.
Mais à une seule condition : que l'on invente en même temps le modèle économique qui permette à l'ensemble des professionnels de la culture de vivre dignement de leur activité et d'abord des activités de création.
Alors oui, reconnaissons-le : nos débats ont été douloureux, chaotiques et marqués par beaucoup de maladresses. Si je peux me permettre jusqu'à la date du vote de la loi définitive aujourd'hui en catimini, dernier jour de la session parlementaire comme si nous avions eu honte ou peur de ce débat jusqu'au bout. Alors librement, à l'UDF, nous voulons dire qu'il était possible et souhaitable de faire mieux même si l'honnêteté nous oblige à dire en même temps que les passions, les incompréhensions et les conflits d'intérêts rendaient ces débats difficiles. Mais à l'UDF nous avons mal vécu la position du Gouvernement quelle que soit sa bonne volonté par ailleurs et je veux ici saluer l'écoute et la disponibilité dont ont bénéficié les porte-parole de l'UDF Pierre-Christophe BAGUET et moi-même de la part de vous-même M. le Ministre et de votre cabinet avec une mention spéciale pour Laurence FRANCESCHINI. Nous avons l'impression que le Gouvernement a vécu ces mois comme un vrai chemin de croix. Or, de notre côté, du côté des parlementaires, nous étions très nombreux à vouloir en faire une loi fondatrice à la fois pour le monde culturel et les internautes. Monsieur le Ministre vous connaissez bien le monde de la culture. Visiblement vous le respectez et vous l'aimez. Ce qui vous a peut-être manqué dans ce débat c'est de bien connaître, de respecter et d'aimer les internautes et notamment les plus actifs d'entre eux pour le dynamisme et la créativité qui sont la leur même si leur arrive, reconnaissons-le, d'être excessifs. Internet est leur espace de liberté ! Internet est leur Far West ! Ils y sont viscéralement attachés ! Il fallait les convaincre que droit et liberté prospèrent ensemble. Vous avez Monsieur le Ministre manqué ce rendez-vous avec ces citoyens parmi les plus dynamiques et attachants de la société française actuelle. Quant à nous à l'UDF nous n'avons jamais mené dans les longues heures de ce débat ni la politique de la démagogie et du double langage ni celle même de la chaise vide. Cette position un peu particulière dans l'hémicycle nous autorise à vous dire calmement nos divergences sur la conduite du débat. Le choix de l'urgence pour ce texte était un mauvais choix, inefficace et non démocratique. Inefficace parce que en final nos travaux ont duré bien longtemps. Non démocratique car le Parlement a beaucoup moins bien associé la société civile dans ses travaux que nous avons pu le faire sur la loi de confiance dans l'économie numérique et en retour le Parlement et le Gouvernement ont été souvent caricaturés par ceux-là même dont je vous parlais il y a un instant.
Oui il fallait du temps.
Oui il fallait de la sérénité.
Oui il fallait une deuxième lecture. Et ceci dans le respect du droit du Parlement, avec la connaissance des contraintes qui sont celles d'un ajustement nécessaire entre les positions des uns et des autres pour aboutir à un texte équilibré.
Non, Monsieur le Ministre, le Parlement ne veut pas discuter juste pour discuter ou pour mettre la France dans une position délicate par rapport à ses partenaires européens. Nous avons voulu le faire pour avoir le temps nécessaire à l'élaboration d'un texte juste. Et vous ne pouvez pas mes chers collègues dire que notre requête été motivée par quelques considération idéologiques. Elle est dans le droit fil de l'idée que nous nous faisons de la représentation nationale qui doit travailler pour se saisir et améliorer chaque texte qui lui est présenté.

Monsieur le Ministre, les yeux dans les yeux si je peux me permettre, avions-nous atteint la maturité nécessaire pour légiférer à l'issue de la première navette parlementaire ? A l'UDF nous ne le pensions pas et nous sommes toujours convaincus du contraire. Nous savions bien que la CMP n'a de sens qu'en fin de processus lorsque toutes les divergences fondamentales étaient levées. Elles ne l'étaient pas à notre avis sur plusieurs concepts de fond et notamment sur celui de l'interopérabilité. Nous prenons le risque M. le Ministre de légiférer sans avoir défini avec précision ce concept central d'interopérabilité. Cet oubli ne sera pas sans conséquence. Ne pas poser de définition d'interopérabilité c'est une erreur majeure. A cause de cela, la jurisprudence sera certainement hésitante, contradictoire et difficile à fixer. Car il ne suffit pour bien légiférer dans ce domaine de faire une obligation, bien que cela soit important, à "la fourniture des éléments nécessaires à l'interopérabilité".
Nous réaffirmons notre conviction que le texte aurait été meilleur c'est-à-dire générateur de plus de justice et de moins de contentieux si nous lui avions fait suivre le cours normal c'est-à-dire au moins une deuxième lecture.

La CMP aura-t-elle était inutile ? Non, nous devons même souligner certaines avancées réalisées à cette occasion :
- l'exception pédagogique (utilisation encadrée d'œuvres culturels numériques) tel que cela a été rendu possible par la Directive. Cet aspect a été particulièrement bien défendu par ma collègue sénatrice Catherine Morin-Dessailly
- A l'article 5b il y a eu une clarification sur le non cumul de rémunération pour copie privée et celle perçue lors de l'achat des biens en ligne. Là aussi nous étions les seuls à l'UDF à soulever ce problème. Notre position se voulait là aussi équilibrée et juste tant pour les auteurs que pour les consommateurs,
- enfin, à l'article 7, la CMP a réintroduit l'amendement que j'ai proposé à l'Assemblée créant une obligation de fourniture d'informations essentielles à l'interopérabilité aux éditeurs des mesures techniques. C'est aussi une avancée sur le chemin de la protection du logiciel libre

Mais la CMP n'a pas changé, elle ne pouvait pas changer, sur le fond ni les points forts ni les points faibles de ce texte.

Libre sur la forme nous le serons aussi quant à l'appréciation sur le fond de ce texte.
Monsieur le Ministre, vous avez non sans courage osé dire que la licence globale été une fausse bonne idée et sur ce point central de nos débats l'UDF vous a apporté un soutien libre et entier. Le jour du 21 décembre alors que la confusion et le double langage gagnaient toutes les familles politiques à l'exception de la nôtre l'UDF, sur la base d'une analyse très approfondie des enjeux, s'est prononcée sans aucune ambiguïté contre la licence globale refusant les positions démagogiques qui consistaient trop souvent à "draguer les internautes" au sein de l'Assemblée tout en caressant dans le sens du poil le monde de la culture en dehors de cette assemblée.

Fausse bonne idée car la création d'une redevance globale même volontaire c'est tout simplement la création d'une taxe en plus. Cette taxe additionnelle à l'abonnement internet concernait potentiellement plus de 20 millions d'internautes pour un montant évalué par la SPEDIDAM elle-même à environ 7,00 € par mois. Cette taxe dont les promoteurs sentaient bien qu'elle serait difficile à avaler par le bon peuple internaute a été présentée de manière fallacieuse comme une taxe optionnelle. Nos débats se sont chargés de faire éclater en plein jour la supercherie qu'était la licence globale optionnelle. Il fallait donc assumer le choix d'une taxe additionnelle sur l'ensemble des internautes. Et ce choix pouvait se défendre. Une telle taxe ne doit pas être diabolisée. Elle existe déjà en ce qui concerne les supports vierges. Nous devions par contre nous poser la question de ses avantages et de ses inconvénients. Or, ses inconvénients étaient majeurs.

D'abord le caractère de taxe injuste imposant une contribution à une grande partie du monde internaute français qui ne télécharge pas (environ 60%).

Ensuite une taxe freinant la diffusion de l'internet. A un moment où la diffusion d'internet concerne tous les Français y compris les plus modestes d'entre eux leur imposer ce prélèvement aurait été un contresens social et une aberration en matière de diffusion de l'internet. Le coup de frein à ce développement dont tout le monde se félicite en France ce deux dernières années aurait été immédiat, la fracture sociale numérique réactivée.

Enfin, "la cerise sur le gâteau" la répartition de cette redevance légale, de cette taxe !!! Les promoteurs de ce système un peu kolkhozien en étaient encore au bon vieux système de la caisse de répartition où les règles de redistribution aux auteurs et aux ayants droit auraient été forcément bien approximatives parce que non corrélées à la réalité de la consommation en ligne. Cela faisait quand même beaucoup pour un système dont le seul avantage aurait été de légaliser l'existant. Oui c'est l'honneur du Parlement français d'avoir en final éliminé cette solution de facilité et de démagogie.

Pour le reste notre proposition n'a pas variée depuis l'explication du vote du 21 mars dernier et c'est très librement que nous allons une dernière fois la réaffirmer.
Ce texte de loi était d'abord la transposition d'une directive européenne. Celle-ci réaffirmait le droit d'auteur exclusif y compris et surtout sur internet.
Cette Directive, c'est aussi l'affirmation dans son article 6 des Mesures techniques de protection.
Osons-le dire clairement. Elles sont légitimes pour répondre au téléchargement illégal même si leur arrivée crée une véritable tension avec un autre droit fondamental à défendre : le droit à la copie privée.

La Directive, c'est enfin son article 8, appelant les états membres à prévoir des sanctions "efficaces, proportionnées et dissuasives"
Et bien, nous le disons fortement le groupe UDF se retrouve dans le contenu de cette directive et aurait approuver une transposition fidèle et modeste de celle-ci.
Mais nous le disions déjà en fin de première lecture et ceci est confirmé après la CMP. Le texte de loi qui est soumis à notre approbation s'en écarte sur plusieurs points importants.

D'abord par son article 9 et son Autorité de régulation chargée d'arbitrer les litiges entre l'application des mesures de protection et du droit à la copie privée.
Monsieur le Ministre nous n'aimons pas cette Autorité de régulation. Nous la pensons illégitime.

Par cette création vous prenez le risque d'une véritable confusion et de conflit avec la commission de la rémunération pour la copie privée.
Je ne veux pas faire comme dans une publicité célèbre et dire que "cela ne marchera jamais" mais quand même …. A l'autorité incombera la définition de l'espace de la copie privée - le nombre d'exemplaires par type de supports, etc. À la commission pour la copie privée incombera le type de support éligible, le taux de rémunération et les modalités de versement. Qui ne voit pourtant le lien entre l'espace de la copie privée, le préjudice porté aux auteurs et le financement à lever ?


Nous sommes aussi opposés à votre article 12 bis prévoyant de lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de pair à pair n'incluant pas la gestion des Mesures techniques de protection.

Il s'agit d'un débat important, car le logiciel libre est une vraie voie d'avenir, un moteur de croissance. Il est, à côté du logiciel propriétaire, l'autre modèle économique du développement de l'industrie du logiciel et il est heureux, pour l'économie comme pour la société, que ces deux modèles coexistent.
Or, il existe actuellement un vrai débat au sein de la communauté du logiciel libre. Pour le moment, les éditeurs de ces logiciels travaillent surtout sur des applications bureautiques, de bases de données ou sur des systèmes d'exploitation. Ils commencent à s'intéresser au peer-to-peer, mais ils se demandent s'ils doivent « y aller » et comment « y aller » - en incluant ou non la fonction des DRM. Pour certains d'entre eux, notamment le créateur de Linux, Linus Thornvall, l'ajout de cette fonction non seulement ne pose aucun problème mais est légitime. Le débat est donc en cours chez eux. Dès lors, fallait-il légiférer ? Notre avis est qu'il est surtout urgent de laisser vivre la communauté du logiciel libre.

En outre, nous nous interrogeons sur l'efficacité nationale d'une telle disposition. Compte tenu de la facilité avec laquelle un éditeur peut déplacer son logiciel, nous souhaitons bien du courage à ceux qui voudront le sanctionner.
Sur les articles 13 et 14, à savoir sur le régime des sanctions applicables :
Nous émettons des doutes sur le caractère "efficaces, proportionnées et dissuasives" des sanctions mises en place par la loi.
Mêmes si les conditions n'étaient pas satisfaisantes - il était trop tard, nous n'en avions pas débattu - vous aviez proposé en décembre, Monsieur le Ministre, un concept intéressant : la riposte graduée.

Si certains éléments étaient inacceptables, comme la police assurée par des agents assermentés des sociétés de répartition - la fameuse police privée de l'Internet condamnée ici même par François Bayrou -, d'autres étaient à reprendre, comme la gradation des sanctions, le principe de la responsabilisation de l'abonné et la prévention par l'envoi de messages d'avertissement avant sanction méritaient d'être retenus.

En conclusion, des débats confus, heurtés, pollués par des hésitations politiques du Gouvernement et des principaux groupes de l'Assemblée et par des maladresses procédurales et un texte, qui même s'il s'inspire en grande partie d'une directive européenne que nous faisons notre, s'en écarte sur des points importants.

Au final au moment de voter le texte de loi définitif l'UDF ne retrouve pas dans ce texte la concrétisation législative de deux objectifs politiques majeurs qu'elle s'était fixés au début de ce débat :

1. stimuler la création artistique et inventer pour cela un nouveau modèle de rémunération compatible avec internet.

2. permettre au plus grand nombre l'accès aux trésors de la culture dans des conditions d'accessibilité, d'ergonomie et de modicité de prix jamais atteintes.

Pour cela ce texte de loi était une chance pour nous, à l'UDF, qui avions en tête le modèle porté par le législateur européen.

En fin de parcours c'est quand même le sentiment d'une occasion gâchée, d'un rendez-vous manqué qui prédomine même si certains débats fondamentaux ont eu lieu et ont été tranchés. A cause de cela le Groupe UDF ne votera pas ce texte. Certains, dont je suis, sensibles aux choix fondamentaux qu'il incarne (refus de la licence légale, notamment) s'abstiendront. D'autres, la majorité, voteront contre.

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