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24/09/04 - Baisse des prix : pourquoi ça coince ? - Tribune de Jean Dionis

Publication : 24/09/2004  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Le feuilleton de la rentrée sur la baisse annoncée des prix dans les grandes surfaces aura donc battu des records d’audience : pas un journal télévisé qui ne traque la réaction des consommateurs devant les étiquettes, pas un quotidien qui ne dissèque le coût moyen du caddie de la ménagère à la sortie de la caisse, pas un supermarché qui ne se proclame le champion de la baisse des prix… Pourtant le happy-end tant espéré n’a pas eu lieu : tout le monde s’accorde à juger la baisse des prix à la consommation quasiment nulle sur de nombreux produits de première nécessité tandis que les acteurs de l’accord scellé au Ministère de l’Economie, industriels et distributeurs, menacent de ne plus jouer le jeu en se rejetant la responsabilité de l’échec. Et, pendant ce temps, agriculteurs et PME continuent de voir leurs marges se rétrécir. Sans parler du commerce de détail qui continue de souffrir plus que jamais d’une concurrence pour le moins déloyale avec la grande distribution qui bénéficie à peu de frais de couvertures publicitaires sans précédent.
Alors, pourquoi cet échec ? Ce n’est pas le raisonnement du Ministre de l’Economie qui est en cause : notre économie a besoin de consolider rapidement une reprise trop timide de la croissance. Or ni la situation budgétaire ni l’environnement économique ne permettent de le faire par une augmentation des salaires. Nous avons d’ailleurs proposé à l’UDF de continuer de baisser les charges qui pèsent en particulier sur les bas salaires. Le deuxième pilier d’intervention, c’est effectivement d’augmenter le pouvoir d’achat et la consommation des ménages par une baisse volontaire et sensible des prix. C’est d’autant plus urgent et nécessaire que l’augmentation du coût de la vie est une réalité concrète, vécue et ressentie très vivement par des millions de Français. Les chiffres d’ailleurs le confirment : entre 2000 et 2004 les prix des produits de consommation courante ont connu une hausse de 14,9%, le double du taux de l’inflation ! La hausse a même été de 24% à 46% sur cette période pour des articles de grandes marques. Tout cela prouve que l’inflation des prix a été particulièrement marquée dans les rayons des grandes surfaces où, dit-on, la vie est moins chère.
Ce scénario de la baisse des prix, mené avec beaucoup d’énergie, s’est heurtée en réalité à un certain nombre de problèmes réels et complexes, révélateurs des vices structurels de l’organisation de la concurrence commerciale en France et surtout de l’absence d’une véritable transparence concernant le partage des marges entre la grande distribution et les producteurs.
En l’état actuel du droit hérité de la loi Galland, les relations commerciales entre producteurs et distributeurs sont apparemment strictement encadrées. Il s’agissait d’éviter d’une part la revente à perte qui interdit d’acheter et de vendre un produit en dessous de son coût de production et d’autre part la pratique des « marges arrières » qui s’apparente à un droit d’entrée payé par les producteurs pour mettre leurs produits dans les rayons. Or on le voit bien aujourd'hui, ces gardes fous ne fonctionnent plus et ne parviennent plus à assurer une juste répartition des marges, une juste rémunération du travail des agriculteurs, des artisans ou des PME comme le maintien d’un réseau de commerce de proximité et de détail. Selon des sources concordantes confirmées par des travaux parlementaires, les marges arrières représenteraient aujourd'hui presque le tiers du chiffre d’affaire des grandes surfaces et seraient directement responsables de la moitié de l’augmentation des prix à la consommation entre 2001 et 2003. Ces chiffres révèlent l’existence d’un véritable racket organisé par les centrales d’achat sous couvert de contrats de « coopération commerciale ». Dans les faits, il s’agit de facturer au fournisseur des plans promotionnels parfois dans des catalogues inexistants, de lui faire payer la présentation de ses produits sur des têtes de gondole parfois fictives ou encore de lui imposer la rémunération de services qu’il doit lui-même assurer !
Ces pratiques sont d’autant plus graves que la concentration n’a cessé de s’accélérer dans le domaine de la distribution : depuis la fusion Carrefour-Promodès en 1998, cinq centrales d’achat se partagent 90% des parts de marché. Elle place les grands groupes dans une situation où l’entente d’oligopole est monnaie courante. Un exemple parmi tant d’autres suffit à la prouver : des producteurs ont vu leurs pommes payées 0,4 € le kilo et revendues à quelques kilomètres de là 2,4 € au consommateur dans les grandes surfaces d’Agen… La question est devant nous : pourquoi, à part les hard-discounters qui sont encore marginaux dans notre pays, de tels prix ont-ils été les mêmes dans toutes les grandes surfaces du secteur ? Parce que la grande distribution représente en France 64% des débouchés des filières agricoles, ce qui lui donne carte blanche pour décider entre oligopoles, unilatéralement et sur tout le territoire, du prix à payer pour les marchandises face à des professionnels sur lesquels plane en permanence la menace d’un déréférencement de ses produits. Dans aucun autre pays au monde, le rapport de force entre production et distribution n’est aussi déséquilibré qu’en France.
Quant au seuil de revente à perte, il a paradoxalement sauté sous la pression de certains distributeurs qui souhaitaient afficher l’objectif d’une baisse moyenne de 2% et anticiper sur la baisse des prix des industriels. En fait, l’accord intervenu à Bercy a pérennisé la possibilité de passer outre la loi Galland, et risque de céder à la loi du plus fort en renonçant à la recherche du juste prix. Ce feu vert a été un signal ravageur qui a poussé la grande distribution à faire supporter la totalité de la baisse au monde de la production et à ne pas clarifier les pratiques commerciales.

En tentant d’imposer une entente commerciale sur la fixation des prix, le Ministre de l’Economie a donc ouvert la boîte de Pandore du partage des profits sans régler le problème au fond. Mais le sujet est désormais sur la place publique et l’UDF se battra pour qu’il débouche sur une remise à plat de notre système concurrentiel. C’est pourquoi nous avons demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’augmentation du coût de la vie en lui assignant trois missions prioritaires.
Premièrement, proposer une refonte de la loi Galland non pour l’assouplir mais pour rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs et distributeurs en particulier pour les petites structures. Cela doit passer par une redéfinition du seuil de vente à perte et par une interdiction ferme des marges arrières et de ses succédanés qui sont doublement pénalisants : pour les consommateurs qui ne bénéficient pas des efforts de productivité des entreprises ou des agriculteurs, pour les producteurs qui sont privés de marges d’investissement pour rentabiliser ou améliorer leur outil de production. Dans certains cas, pour les filières agricoles et artisanales les plus fragiles, il faudra mettre en place des coefficients multiplicateurs liant le prix de vente au client final au prix d’achat au producteur. On est en droit d’attendre de ces mesures un impact réel sur les critères de la croissance, notamment en matière de pouvoir d’achat et de compétitivité économique.
Deuxièmement les parlementaires devront s’interroger sur les conditions d’exercice d’une concurrence transparente et loyale entre les distributeurs, notamment en ce qui concerne le délit d’entente. Pour cela, il faut mettre en place des moyens de contrôle mieux adaptés à la complexité et à la rapidité d’adaptation du monde des affaires. Des propositions sont déjà sur la table : création de groupements d’intervention rapides de la concurrence au sein de la DGCCRF, spécialisation d’un tribunal en droit de la concurrence, obligation de publier les condamnations… Enfin l’Observatoire des prix et des marges que nous avions demandé et créé par la loi NRE doit sortir de la confidentialité dans lequel son rôle actuel la confine et devenir, pourquoi pas, une véritable instance de médiation entre les producteurs, fournisseurs et revendeurs. Prenons exemple sur le droit anglo-saxon de la concurrence : même Microsoft a été obligé se s’y plier !
Troisièmement enfin, il faut tendre vers un véritable pluralisme économique qui garantisse à chaque producteur un accès équitable aux marchés de la grande consommation. Nous voulons proposer aux Français une nouvelle solidarité avec les réseaux locaux de production. Aujourd'hui trop d’intermédiaires commerciaux et trop de contraintes administratives (sans parler des charges qui pèsent sur le travail) amputent la rémunération et les capacités d’investissement des PME et des filières agricoles. Ce processus est catastrophique pour les économies locales et l’aménagement de nos territoires. Pourquoi ne pourrait-on pas encourager des circuits très courts de commercialisation qui préservent la valeur ajoutée des produits de l’artisanat, de l’agriculture ? Nous l’avons déjà testé lors de la crise de la vache folle en encourageant les achats publics en direction des productions locales à la sécurité assurée.
En définitive, les difficultés d’application de l’accord Sarkozy ont démontré l’urgence d’une réforme de fond de l’ensemble de la chaîne de commercialisation en France et d’un nouveau partage des marges plus équitable par rapport au monde de la production. C’est cette prochaine bataille que nous devons gagner pour les producteurs, les commerçants et pour les consommateurs.

Jean Dionis

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