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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Regard français sur la Russie

Publication : 12/08/2012  |  17:17  |  Auteur : Jean Dionis

Quelles forces intimes profondes m’ont poussé à partir avec ma femme et mes cinq enfants à Moscou et à Saint-Pétersbourg, cet été 2012 ? Je me suis souvent posé cette question pendant nos 10 jours de voyage.

Le hasard heureux qui me fait retrouver Jacques, ami de classe préparatoire et d’Ecole d’ingénieur lors d’une rencontre improbable dans un aéroport parisien, celui-ci m’expliquant qu’il était moscovite depuis 10 ans, qu’il avait créé sa société d’ingénierie mécanique et qu’il était marié à une ballerine du Bolchoï ? Non, cette rencontre fut pour moi tout au plus un signe pour achever de ma convaincre.

L’attrait touristique exceptionnel des deux métropoles russes ? La volonté de remonter au Nord à contre-courant du flux de masse touristique héliotrope ? Non, rien de cela ne fut décisif.

La vérité, c’est que la Russie, à travers ses auteurs et leurs œuvres, a été depuis mon adolescence un de mes professeurs de vie, une des sources auxquelles je me suis abreuvé. Elève de Dostoïevski pour les relations humaines et les passions qu’elles mettent en jeu, je le suis aussi de Tolstoï pour l’articulation de nos histoires personnelles et familiales avec la grande Histoire. Ce sont donc les auteurs Russes, leurs livres immenses, Crime et Châtiment, les Frères Kamarazov, Guerre et Paix, bref, la culture Russe qui m’a amené avec ma petite famille à Moscou et à Saint-Pétersbourg cet été 2012.

Nous avons partagé notre séjour russe en quatre jours à Moscou et cinq à Saint-Pétersbourg.

Moscou, d’abord à 3 h 40 d’avion à partir de Paris, n’est pas facilement lisible pour un occidental. Mégapole de 15 millions d’habitants, la plus continentale – et la plus froide – des capitales européennes, Moscou n’est pas construite sur un site exceptionnel, la Moskova ressemblant par sa taille et ses méandres à notre Seine nationale.

A Moscou, j’ai d’entrée un double choc culturel : Le Moscou moderne est fait pour la bagnole ! Strictement zéro vélo (ça encore, je peux comprendre, le vélo avec 120 jours de neige par an …pas évident) et aucune gestion du stationnement: pas de parcmètre, pas d’aubergine, pas de PV !!! Je rêve !!! Quand je sais l’énergie que l’on passe en France pour gérer ce problème… J’interroge stupéfait, Jacques mon ami Moscovite qui me confirme que la seule régulation existante, c’est la fourrière, mais que pour le reste …..Cela ne marche pas si mal et que de toute façon, il n’existe pas de fichier national des automobiles, les cartes grises étant souvent déclarées sous pseudo ou avec des adresses imaginaires... donc pas de pv !!!!Jacques me précise que Poutine s’est déclaré favorable à la création d’un tel fichier à la Française, mais qu’il est prudentissime sur ce projet tant le rejet des Russes est absolu quant au « flicage/fichage ». Ils ont déjà donné !!!!!

Jacques, à l’issue de cette conversation sur le stationnement, élargit son propos en me maintenant mordicus que les Russes sont plus libres que les Français : moins de banques avec leurs questionnaires inquisiteurs, moins de pv, moins de réglementation! Et s'il avait raison ?

Notre programme moscovite fut le suivant :

Samedi 28/07 au soir : Aéroport (Bienvenue en Russie! Formalités de visa interminables......ca fait devenir europhiles les plus réfractaires!!J’oublie, en rédigeant mon formulaire d’immigration, les bouteilles de Bordeaux pour notre ami Moscovite…. Ça commence bien !-) . Premier soir à Moscou. Température estivale, restau à proximité de l’hôtel, je retrouve avec bonheur Jacques, qui sera pour nous une chance exceptionnelle pour nous faire – un peu – comprendre « Matouchka Moskva », notre mère Moscou, comme l’appellent affectueusement les Russes.

Dimanche 29/07 : Vue d’ensemble de la ville y compris la ville moderne, l’université Lomonossov, repas de midi dans un restaurant Géorgien, visite du monastère de Novodevichy http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nowodewitschi_t.jpg, et pour finir soirée culture russe: Lac des cygnes au Théâtre : Tchaïkovski et les ballets russes ....pour nous rappeler les ressources de l'âme russe.

Lundi 30/07: visite du kremlin et de la place Rouge. Tout d’un coup, les images de cette place, vues et revues sur nos écrans de télé, avec les gérontocrates soviétiques saluant les missiles de l’Armée rouge, prennent une toute autre signification, celle du cœur de la nation, cœur politique avec le palais présidentiel, cœur religieux avec les cinq basiliques symboles de l’Eglise Russe orthodoxe, protégés par la même enceinte. Déjeuner au Goum, qui n’a maintenant rien à envier aux grands magasins parisiens, enfin visite de la Basilique Basile le Bienheureux qui ferme au Sud la Place Rouge http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:RedSquare_SaintBasile_(pixinn.net).jpg. Le soir, dîner dans un restau "The Tunnel" qui reliait le Kremlin à la Loubianka, immeuble tristement célèbre du KGB. Nous parlons longuement de la période communiste et du traumatisme profond qu’elle a infligé au peuple Russe. Jacques nous parle des années 90 où le système a implosé du fait de son ineptie économique, de la faim qu’a connue la famille de sa femme, de la prostitution généralisée, de l’horreur banale des HLM soviétiques, les kommunali, où la vie commune avec ses voisins était obligatoire avec cuisine et salon partagés à plusieurs familles ….A l’entendre, il reste, de ce traumatisme, une profonde inquiétude du peuple russe sur son avenir qui expliquerait une démographie bien chancelante et l’aversion physique du peuple russe au flicage policier. Malgré ce témoignage, et en voyant la rue Moscovite, vivante, pimpante, comme nos grandes villes européennes, je repense à la clairvoyance du Général de Gaulle : « La Russie boira le communisme comme le buvard boit l'encre ». En 2012, tout est bu !

Mardi 31/07 : Jacques nous amène dans les environs de Moscou, à Tsaritsyno http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_de_Tsaritsyno à la limite de la fameuse forêt Russe où Catherine II a fait construire le palais néogothique le plus grand d'Europe. Pour la première fois du voyage, nous sentons de manière immédiate la communauté culturelle européenne et qui a donné en même temps Versailles, Schönbrunn et Taristyno…..en attendant Saint-Pétersbourg. Puis, franche rigolade et vraie décontraction dans les bains de Moscou, les fameux Bania Sadouni, heureux mélange de bains turcs et de pub anglais…..Vient l’heure de quitter Moscou. Au revoir à Jacques, et un immense merci à celui qui a fait de nous plus que des touristes, mais des confidents de ses 10 années de Russie. Nous prenons le train de nuit Moscou-Saint-Pétersbourg (7 h de voyage pour 750 km)……et nous y dormons fort bien.

Arrivée de bon matin à Saint-Pétersbourg, le Mercredi 01/08….A peine sortis de la gare, nous voilà en train de remonter la perspective Nevsky, véritables Champs-Elysées pétersbourgeois …..Et tout de suite la différence de Saint-Pétersbourg vous saute aux yeux.

Saint-Pétersbourg, c’est d’abord une ville du Nord, autant qu’Helsinki, bien plus que Stockholm ou Copenhague, d’où sa fameuse lumière et ses nuits blanches, l’été et ses nuits interminables l’hiver.

Mais c’est aussi le grand port de la Mer Baltique avec la mer toute proche et la Neva, fleuve matrice de la ville – en largeur 2 à 3 fois notre Garonne - qui se mêlent pour y rendre l’eau omniprésente y compris par ses fameux canaux.

Saint-Pétersbourg, c’est aussi une ville très, très jeune, puisque créée par le tsar Pierre le grand….en 1703, ce qui en fait une jeunette par rapport à nos villes neuves françaises du XIIIème siècle. Comme toutes les villes neuves, elle bénéficie d’un urbanisme et d’un patrimoine architectural magnifiques et exceptionnellement homogènes. Pour nous Français, cette empreinte du XVIIIème siècle nous est familière et Saint-Pétersbourg nous apparait comme une cousine germaine d’une famille de villes françaises qui comprendrait Paris, Versailles…. et Bordeaux.

Enfin, cette ville est la capitale culturelle de la Russie après avoir sa capitale politique de 1712 à 1917. Elle offre aux visiteurs une richesse monumentale exceptionnelle ….. Tous ces ingrédients créent la magie de Saint-Pétersbourg. Nous y avons été sensibles. Suivez nos pas :

Mercredi 01/08 : après une halte à notre hôtel, nous faisons un premier tour de centre Ville – tout à pied, faisable…..- Puis, nous nous rendons au Musée Dostoïevski – en fait sa maison en fin de vie -, lui le grand inspirateur de ce voyage….Le musée est bien fait : d’un côté, son univers de vie petit-bourgeois, de l’autre, son parcours de vie exceptionnel avec ses quatre ans de bagne en Sibérie, ses cinq ans d’errance touristique et thermale en Europe. Cela me fait vraiment bizarre d'être dans une ville avec femme et enfants à cause de ses émotions littéraires d’adolescent. La visite du Musée fut pour moi la « clé » de ce voyage, celle qui explique et éclaire le parcours historique et spirituel de ce peuple si attachant vers la catastrophe que fut le communisme soviétique. Dostoïevski, le premier, annonce qu’il y a trop de misère et d’idéalisme religieux en Russie pour que ce pays se contente d’une banale démocratie occidentale……Vision foudroyante quarante ans avant 1917 ! Allez pour faire plus léger, pour tous ceux qui craquent en vacances avec leurs petits anges, une pensée plus vie quotidienne de Dostoïevski: "les enfants, c’est les 3/4 du bonheur, 1/4 pour tout le reste" …..

Jeudi 02/08 : Nous visitons la Forteresse Saint-Pierre et Saint-Paul, basilique cimetière des derniers tsars Russes et …. « Bastille Russe » où furent emprisonnés aussi bien Dostoïevski, que le frère de Lénine, Trotski…..et les membres du gouvernement provisoire lorsque les Bolchéviques prirent le pouvoir en 1917. Puis nous découvrons les trésors du Musée Russe (Pour le plaisir, allez jeter un coup d’œil aux bateliers de la Volga.. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ae/Ilia_Efimovich_Repin_...
et nous terminons par la Basilique du Saint-Sauveur par le sang versé, splendeur de l’architecture orthodoxe du 19ième siècle, construite à l’endroit même ou le tsar réformateur Alexandre II fut assassiné. Après un repas dans un restau (français !), les pro-culture (ma femme et moi) et les pro-bringue (nos enfants) qui se sont assez bien supportés se séparent : Pour nous, retour sage à l’hôtel, pour eux les nuits «blanches» animées de Saint-Pétersbourg !

Vendredi 03/08 : A l’embarcadère situé au pied du Palais d’hiver, nous nous embarquons sur un hydroglisseur qui nous amènera après 20 mn de parcours dans le golfe de la Baltique à Peterhof, le « Versailles » Russe. L’ensemble – château, fontaines, parcs et perspective sur le golfe de la Baltique- est vraiment superbe ! Il nous fait oublier que nous ne sommes vraiment pas seuls à visiter ce site majeur. Ce site est comme neuf. Pourtant, il a une histoire tragique qui en dit long sur la volonté Russe. Pierre le grand mit 24 ans à le construire, Staline, ayant appris qu’Hitler voulait y fêter la prise de Léningrad (St-Pétersbourg) le détruisit en un jour pour l’en empêcher, les Russes mirent 27 ans à le reconstruire ….
Nous revenons passer la soirée sur une des îles, -l’île Vassilievski - qui font face au palais d’hiver. Toute la famille pousse notre Teddy Riner national à la télé Russe, en finale pour sa médaille d’or contre un Russe dans un restau Russe. Ambiance bon enfant, patriotisme bon enfant des deux côtés…
Le soir, à 23 h, Saint-Pétersbourg se fait somptueuse avec un plan lumière de rêve sur les deux rives de la Neva pic.twitter.com/0mV9jQvN

Samedi 04/08 : Nous avons gardé notre dernière journée complète pour la visite de la Cathédrale Saint-Isaac qui domine la Ville (directement inspirée de Saint-Paul de Londres, elle a été construite par un Français Auguste de Montferrand, a été transformée en musée de l’athéisme pendant la période soviétique –eh oui ….) et bien sûr l’Ermitage et le Palais d’Hiver, résidence officielle des tsars pendant toute la période des Romanoff. L’Ermitage est sans conteste un des plus beaux musées du monde, et par l’écrin harmonieux que forment ensemble la Neva et le Palais d’Hiver et par les joyaux que sont les tableaux exposés….Décidemment, les tsars ont beaucoup acheté et l’Armée Rouge a beaucoup pillé !!!! Qu’importent les « méthodes d’approvisionnement » russes, nous ressentons une vraie émotion devant le retour du fils prodige de #Rembrandt! Regardez les mains du père: une de femme, une d'homme (voir pic.twitter.com/j2p6pusm). Pourquoi le Maître a-t-il- voulu cela ? Secret d’artiste….. Nouveau détour par les bains de Saint-Pétersbourg pour les garçons Dionis, pendant que les femmes marchandent leurs cadeaux …. ;

Dimanche 05/08 : Voyage retour Saint-Pétersbourg-Paris (avion), métro pour aller dormir chez nos fils Paul et Bruno. Demain nous ferons un passage par l’expo Toutankhamon, Porte de Versailles, avant de rentrer pat le TGV Paris-Montparnasse - Agen

Sur le chemin du retour, je mesurai à quel point ce voyage avait bouleversé mes idées sur la Russie marquée négativement par les idées prédominantes en Occident : Fausse démocratie avec fraude omniprésente aux élections, alcoolisme problème social majeur en Russie, mafia omniprésente dans le monde des affaires……

Peut-être,..... moi, j’ai vu à Moscou et à Saint-Pétersbourg des chantiers partout et j’ai senti physiquement que 5% de croissance pour la Russie sur la période 2011/2012 contre 0,5% pour la Zone euro sur la même période: Ce n'est pas du tout, mais pas du tout la même ambiance…

Je reviens sûr du "retour" de la Russie, parmi les grands du XXIème siècle. Les Russes ont tout ce qu’il faut pour tenir durablement ce rôle : une élite de classe mondiale, une rente pétrolière et gazière qui leur donnera des moyens financiers considérables et des projets partout pour se reconstruire à l’issue du communisme !

Allez-y en Russie parce que les Russes nous aiment bien, nous les français. Allez-y pour comprendre notre histoire mondiale récente, plus ou moins fille de la révolution Russe, pour comprendre aussi un des acteurs majeurs du 21ième siècle qui démarre à peine. Allez-y tout simplement parce que la Russie sait être bouleversante de beauté et d’humanité……
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Les réactions

Petit détour par la Russie.

Que de questions en suspens autour de l'âme slave et de ses innombrables secrets! Les voyages sont faits pour lever des voiles et créer des brèches en toute liberté. Une chronique à beaucoup d'égards intéressante : le futur en Russie n'est jamais loin du passé et de ses nombreuses réminiscences, qu'elles soient littéraires ou artistiques. Ne dit-on pas que là où les yeux se ferment, l'âme parait...
Voilà une écriture, mon cher Jean, qui possède un certain avenir et qui mérite d'être cultivée sans relâche! Amitiés.

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