Les 3èmes rencontres philosophiques d’Agen, qui avaient pour thème : « A l’heure de l’intelligence artificielle, qu’est devenue Petite Poucette ? », viennent de se terminer. Elles ont été un vrai succès populaire tant par leur fréquentation (10 000 auditeurs) et la diversité des publics (jeunes, entreprises…), que par la qualité des intervenants.
Les raisons de ce succès populaire sont bien sûr elles aussi diverses.
Il y a, d’abord, un vrai désir de pouvoir s’informer, débattre, se contredire de manière respectueuse et calme.
Le fait de pouvoir ensuite le faire dans le sillage de Michel Serres et de son œuvre rassure et intéresse.
Mais, cette année, le thème, celui de l’intelligence artificielle, a clairement été un des facteurs de ce succès événementiel. L’intelligence artificielle nous interroge tous, nous fascine tous... et nous inquiète tous.
Alors, ce soir, maintenant que micros et projecteurs sont éteints, je me pose une question simple : « qu’ai-je retenu de ce grand débat ? quelles lignes ont bougé dans la profondeur de mes convictions ? »
J’ai d’abord retenu l’ampleur de la vague « intelligence artificielle ». Comme pour l’arrivée du web dans les années 1990, tous les secteurs de nos activités professionnelles et privées sont concernées par l’IA en 2022 : l’éducation, la médecine préventive et prédictive, les assurances, les médias, mais aussi le très vénérable jeu d’échecs, chacun de nos sports, les jeux électroniques, etc...etc….
Les premières idées nouvelles que j’ai captées ce week-end sont ensuite venues des joueurs d’échecs, des champions devrais-je dire, présents à Agen.
L’arrivée massive des machines en ligne dans le noble jeu, c’est d’abord pour le monde des joueurs la possibilité de jouer beaucoup plus souvent et donc de progresser beaucoup plus vite. Aux échecs, m’ont-ils dit, les jeunes ont pris le pouvoir : en témoigne la moyenne d’âge de plus en plus juvénile de nos grands maîtres français (23 ans), en témoignent aussi les n° 1 et 2 mondiaux tous deux âgés de moins de 30 ans.
Cette prise de pouvoir des jeunes s’accompagne des plans de jeu toujours plus innovants et plus audacieux. Les grands maîtres aux échecs comme les coachs du top 14 ont insisté sur le fait que c’était d’abord un match, une confrontation de volonté humaine. Pour reprendre les mots de Christian Lanta, que nous connaissons bien à Agen, l’important est « de voler la confiance de l’adversaire ». Bref, le coup à jouer n’est pas forcément le meilleur coup. Ce sera celui qui fera le plus douter l’adversaire.
« Jean, les machines sont meilleures que les hommes en tout ! mais à leur contact, les champions n’arrêtent pas de progresser… ». En une phrase, Bachar Kouatly, grand maître international, nous a dépeint la contradiction fondamentale de l’arrivée de l’intelligente artificielle : machines imbattables, plus de puissance de calcul, accès à de plus grand nombre de données, mais machines qui font progresser à pas de géant l’homme qui est à leur contact.
Mais ces machines ne font pas que jouer avec nous. Elles nous surveillent en permanence ou plutôt elles contrôlent et elles traitent la masse de données que nous laissons en permanence sur le web (messages, recherches sur internet…) accumulant ainsi une masse considérable d’informations sur nos passions, nos centres d’intérêt, nos opinions politiques, nos habitudes de consommation. Ces informations ont une valeur marchande considérable pour tous les acteurs qui vont vouloir les utiliser à des fins publicitaires. Sur ce terrain-là, mes convictions étaient déjà faites depuis la lecture du « Capitalisme de surveillance de Soshana ZUBOFF » (lire ma chronique http://jeandionis.com/blog/notes-lecture-age-du-capitalisme-surveillance-shoshana-zuboff ) . Oui, il nous faudra légiférer sans cesse pour protéger nos données personnelles contre ces algorithmes de vol de nos données et nous nous passerons facilement des services de profilage proposés en contrepartie de ce vol.
Reste la question centrale pour moi qui est celle de la refondation de la vérité dans une société hautement numérisée. J’ai vécu comme vous la grande confusion sur les masques et sur les vaccins contre le COVID. Nos journées sur l’intelligence artificielle ont permis d’en débattre, notamment lors de la conférence-débat qui réunissait David Pujadas et David Djaïz, le président de l’association « les amis agenais de Michel Serres ». David Pujadas fait confiance à la pluralité des sources et des groupes médias pour que la vérité se fraye un chemin pendant que David Djaïz quant à lui s’en remet à la communauté scientifique pour faire ce long et patient travail de validation ou de falsification des hypothèses émises… certes, certes, mais j’ai trouvé cela trop timide.
Je crois, et à l’effet bénéfique de la concurrence des groupes médias pour l’établissement de la vérité, et au long et patient travail de la communauté scientifique pour démêler le vrai du faux, mais il faudrait être bien naïf pour penser que cela suffira à freiner les ardeurs des diffuseurs de mensonges et autres fake news avérées. Il manque clairement une agence d’Etat dont le rôle serait la certification et la diffusion des hypothèses reconnues vraies par la communauté scientifique .
Les rideaux sont tombés sur nos rencontres philosophiques d’Agen.
Et clairement, elles nous ont fait du bien. Après elles, on se sent mieux informé et plus citoyen.
Et c’est déjà beaucoup…
Je vous dis à l’an prochain. D'ores et déjà, bloquez votre week-end du 11 novembre 2024 dans vos agendas !
Pour la philo, pour Michel Serres, pour Agen….
Jean DIONIS
Retrouvez ci-dessous le discours que j'ai prononcé à l'ouverture de ces rencontres le vendredi 10 novembre au Théâtre d'Agen et qui n'a pas été écrit par ChatGPT ! ;-)