En 1878, Friedrich NIETZSCHE écrivait dans L’humain, Trop Humain : « si l’on ne satisfait pas à cette condition de civilisation supérieure, on peut prédire presque à coup sûr le cours que prendra l’évolution humaine : le goût du vrai va disparaître au fur et à mesure qu’il garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la chimère vont reconquérir, parce qu’il s’y attache du plaisir, le terrain qu’elle tenait autre fois : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie en seront la conséquence immédiate ; l’Humanité devra se remettre à tisser sa toile après l’avoir, tel Pénélope, défaite pendant la nuit. Mais qui nous garantira qu’elle en retrouvera toujours la force ? »
Et Etienne KLEIN, physicien et philosophe de réputation internationale, de rajouter avec gravité dans son tract Le Goût Du Vrai (tract Gallimard n*17) : « il me semble que nous y sommes ».
Étienne KLEIN était le parrain des Premières Rencontres Philosophiques Michel Serres qu’Agen a organisées, avec succès, du 12 au 14 Novembre. Il était notre conférencier vedette et a ouvert ces rencontres avec, justement, une conférence sur « le goût du vrai ».
Passionné par ce thème, j’ai été l’écouter et dans la foulée, j’ai lu son tract. Je ne l’ai pas regretté.
Étienne KLEIN part d’un constat glaçant : notre confiance dans la Science et le Progrès n’arrêtent pas de reculer. Le thème du Progrès a quasiment disparu des discours publics quand la confiance dans la science a fortement chuté (-20% en quelques années ?) dans l’opinion publique.
Écoutons-le à nouveau : « l’air du temps, en accusant la Science de n’être qu’un récit parmi d’autres, l’invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment « rentrer dans le rang » en acceptant de se mettre sous la coupe de l’Opinion ».
Étienne KLEIN nous propose un tout autre chemin.
Il nous invite à séparer, le plus clairement possible, le socle des vérités scientifiques établies (et cite par exemple : la terre est ronde, les espèces vivantes évoluent, etc.) de la recherche en cours dans des domaines où ces mêmes vérités scientifiques ne sont pas encore établies (les particules élémentaires de la matière).
Une vérité scientifique est constituée à partir du lent consensus de la communauté scientifique à son sujet sur la base d’expériences reproductibles et de vérifications théoriques lorsqu’elles sont possibles.
A juste titre, il dénonce les dégâts faits par les déclarations personnelles, hâtives et imprudentes faites par des médecins lors de la crise du COVID alors qu’en début d’épidémie la rigueur commandait de se taire.
Puis Étienne KLEIN reconnaît que les scientifiques ont, à ce jour, perdu la bataille de la vulgarisation et qu’ils n’ont pas su accompagner les vérités scientifiques dans l’opinion publique d’un ensemble accessible de « preuves » ou raisonnements scientifiques qui ancreront ces vérités solidement dans l’opinion publique.
Il y a urgence à reprendre ce travail de vulgarisation dans lequel Michel Serres a excellé, pour que non seulement la communauté scientifique, mais les citoyens éprouvent « la joie de comprendre » , de cet Euréka ! de bonheur qui a secoué Archimède lorsqu’il découvre les ressorts précis de la poussée du même nom.
Même si Etienne KLEIN est discret sur ce sujet, on sent bien qu’il y aura un travail législatif à faire pour accompagner cette reconquête de la vérité, et cela de manière bien plus large que celui de la construction des vérités scientifiques.
Il faudra en effet rééquilibrer nos équilibres législatifs entre liberté d’expression et exigence de vérité en revenant avec rigueur au principe de base : « les faits sont sacrés et les opinions sont libres ».
Et il faudra dans la foulée responsabiliser juridiquement les grandes plateformes du numérique pour qu’elles bloquent le plus rapidement possible la diffusion - volontaires ou non - de contre-vérité.
J’ai la conviction qu’il y a une urgence absolue à réinstaller la vérité au cœur de notre vie sociale. La Bible en a fait un de ses dix commandements : « Tu ne porteras pas de faux témoignages contre ton prochain », car aucune vie sociale n’est possible dans la défiance systématique de l’autre, défiance intimement liée au mensonge subi.
Voilà qui nous amène bien loin de l’établissement progressive des vérités scientifiques ? Peut-être ...
Mais, j’ai la conviction profonde que le débat politique qui se profile à l’horizon, pour savoir qui sont les certificateurs de la vérité et qui les contrôlera, ne pourra pas se limiter aux seules vérités scientifiques... si nous voulons retrouver « le goût du vrai ».
En attendant, pour avoir un avant « goût du vrai », lisez son tract . Je l’ai vécu comme une puissante mise en ordre de vérités que je sentais confusément.
La défense de la vérité, dans notre monde moderne, exige cet effort de mise à jour de nos systèmes de pensée.
@+
Jean Dionis
Maire D’Agen
Confirmation par cette citation de Paul Valéry. D'ou l'urgence d'éradiquer la propagation des bassesses qui se généralisent en toute impunité.
Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur.
Parce que la priorité de nos priorités devrait être de comprendre le changement climatique, ses impacts sur notre vie quotidienne, sur notre organisation sociale et sur notre mode de vie, je vous invite à écouter ici (https://www.youtube.com/watch?v=KgDiK2L_Czk&t=4196s) les échanges d'Etienne KLEIN avec Jean-Marc JANCOVICI, ingénieur qui a inventé il y a vingt ans le concept de bilan carbone, sur la difficulté à expliquer ce changement aux citoyens lambda que nous sommes.