Comme beaucoup, j’ai vu, je vois monter le fanatisme, le radicalisme parmi les personnes sincèrement croyantes, religieuses de notre époque. Et soyons clairs dès le début, cette montée du fanatisme n’est pas l’exclusivité de l’Islam.
Viscéralement attaché à concilier Foi et Raison, je me suis toujours intéressé aux causes du fanatisme. J’ai lu des tas d’études qui considèrent le fanatisme comme une maladie psychologique, voire psychiatrique. Au final, peu convaincantes.
J’ai vu, aussi à l’occasion du débat sur la loi sur le séparatisme, comment les discours républicains et laïques affirmant que la loi de la République devait s’imposer en face de la loi de Dieu des religieux étaient absolument sans prise sur les femmes et les hommes radicalisés. ….
Bref, sur ce sujet majeur de notre époque, qui paye un prix très cher à la violence fanatique, j’avais le sentiment un peu angoissant de ne rien comprendre à cette folie moderne……Je m’en tenais à la définition du fanatisme donné par Voltaire dans le Dictionnaire philosophique : « le fanatisme est est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, la rage à la colère ». Bref, un excès fou….
Et, puis, j’ai lu Adrien Candiard et son petit essai qui ne paye pas de mine DU FANATISME, quand la religion est malade .
Adrien Candiard, est un jeune dominicain français. Vivant au couvent du Caire, il est membre de l'Institut dominicain d'études orientales .
Il étudie à l'École normale supérieure (2002) et à Sciences Po Paris. Il entre en 2006 dans l'ordre dominicain. En 2011, il écrit Pierre et Mohamed, monologue théâtral en hommage à Pierre Claverie, évêque dominicain d'Oran assassiné en 1996. La version filmée d'un autre spectacle, Le Cinquième Évangile, remporte le Prix Père Jacques Hamel en 2019.
En 2012, il rejoint le couvent du Caire et devient membre de l'Institut dominicain d'études orientales. Il a publié plusieurs livres, concernant l'islam, le dialogue interreligieux ou la spiritualité chrétienne.
Bref, Adrien Candiard, par son parcours universitaire et intellectuel, est légitime à chercher les ressorts profonds des extrémismes religieux.
L’originalité de son essai est qu’il va changer radicalement de domaine d’investigation, qu’il va abandonner les recherches socio-économiques ou psychologiques et il va creuser…du côté de la théologie. Il va mobiliser son érudition musulmane pour s’intéresser à un obscur théologien musulman du XIVème siècle, Ibn Taymiyya, connu pour servir de figure de référence aux mouvements salafistes et jihadistes.
Ecoutons Adrien Candiard nous présenter la thèse centrale de cette école théologique ( page 32) : « puisque Dieu est radicalement différent du monde créé, le seul monde que nous connaissons, alors notre langage, notre pensée sont incapables de ne rien dire sur Dieu ; nous sommes condamnés à ne pas le connaitre ou plutôt nous y serions condamnés s’il n’avait pris la peine de nous révéler quelque chose de lui, pour la foi musulmane, à travers le Coran. Mais ce qu’il a révélé, ce n’est pas sa nature, qui nous est nécessairement inconnaissable du fait de sa transcendance, estime le théologien : ce qu’il a révélé, c’est sa volonté. On ne sait pas qui est Dieu, mais on sait ce qu’il veut ».
Alors, selon Adrien Candiard, se met en place au sens strict, une idolâtrie où Dieu, absent, va être remplacé de manière religieuse par un objet de remplacement divinisé, la Bible ou le Coran, la liturgie. Alors le travail fait, en matière religieuse, par le doute philosophique n’est plus possible. Alors le travail de contextualisation des textes fondateurs, bibliques, coraniques devient impossible. Alors, le terrain pour le fanatisme est libre……
Adrien Candiard nous donne cette clé de lecture théologique pour repérer les conditions préalables à la mise en place du fanatisme : " renoncer à une recherche personnelle de Dieu, théoriser son absence, son infinie distance par rapport à nos vies terrestres, mettre en place une idolâtrie de substitution, la diviniser y compris en la promouvant ou en la défendant avec tous les outils mortifères de la violence ".
Je trouve personnellement cette clé de lecture puissante et fondatrice, même, comme si le dit Adrien Candiard, elle n’est pas exclusive d’autres explications sociologiques ou psychiatriques.
Dans la lutte contre le fanatisme, elle met en première ligne les croyants qui refusent de sacraliser les idoles de substitution. Ils ont, dans ce combat, la lourde responsabilité d’affirmer que les textes sacrés, la liturgie, etc… sont des chemins vers Dieu. Mais ils ne seront jamais Dieu.
Lisez ce petit livre. C’est un « vaccin anti-fanatisme ».Et, par les temps qui courent, ce n’est pas un luxe.
Bonne lecture !
@+ Jean Dionis, Maire d’Agen