J’ai fait partie des pionniers du télétravail. En effet, de 1995 à 2001, j’ai pu bénéficier d’un contrat de télétravail novateur en tant que cadre à la Caisse des dépôts et consignations. En charge de l’introduction des nouvelles technologies dans la direction des collectivités locales, je travaillais 4 jours sur 5 à distance chez moi à Agen et je me rendais 1 jour par semaine au siège de la Caisse des dépôts à Paris.
Passionnant, au moment précis où Internet débarquait dans nos vies quotidiennes et y bousculait tout...j’ai donc vécu la condition du télétravailleur, son bonheur d’avoir un travail intéressant et de pouvoir, en même temps, avoir un projet personnel fort (vivre dans la maison et dans la ville de mon enfance, m’engager dans la vie politique locale…) et ses misères (difficulté de trouver sa place dans le management de la Caisse, fatigue des allers-retours résidence-siège, etc…).
En 2000, le télétravail était clairement marginal…Internet, naissant, balbutiait et « boguait ». Nous plaisantions sur les www. en les caricaturant en « world wide…wait » et culturellement, nous étions, collectivement, loin, très loin d’être prêts dans nos cœurs et dans nos têtes pour ce grand basculement.
Mais, de fait, dans les chiffres de l’emploi national, le télétravail faisait, sans bruit, son chemin. En 2019, avant la tempête du COVID, les salariés du secteur privé étaient de plus en plus nombreux à pratiquer le télétravail régulier. Ils représentaient 29 % de l'effectif des entreprises de plus de dix salariés, soit 5,2 millions de personnes. En un an, 2019, c'est près de 700 000 adeptes de plus pour le télétravail.
C’est dans ce contexte de montée lente mais irrésistible qu’arrive la tempête du COVID, en mars 2020…l’épidémie nous projette le télétravail en pleine lumière comme un outil de résistance à un risque d’effondrement économique, outil de masse imposé comme quasi-obligatoire.
Lors de la première vague du confinement (16 mars - 12 mai 2020), aux télétravailleurs habituels au sein de la population active française, se sont ajoutés 24 % (brutalement, énorme !) de primo-télétravailleurs, indiquait l’Ademe dans une étude publiée début juillet 2020.
Ils n’ont pas toujours été tous emballés par l’expérience, mais disaient tout de même à 76 % vouloir désormais télétravailler au moins une fois par mois. Voire plus.
A titre d’exemple, pour prendre conscience des modifications majeures engendrées par ce changement sociétal, l’Ademe estimait alors que la réduction des déplacements en France pourrait être de l’ordre 2,4 %, soit 3,3 millions de déplacements évités par semaine, pour un gain de l’ordre de 3 200 tonnes de CO2 par semaine.
Lors du deuxième confinement (novembre 2020), avec le travail à distance, désormais obligatoire à 100% pour tout métier qui le permet, 45% des salariés du privé auraient été en télétravail la semaine du 2 novembre 2020. Près d'un quart (23%) d'entre eux ont télétravaillé 5 jours sur 5. La moyenne est de 3,7 jours de télétravail par semaine, contre 2,7 la semaine précédente. Le télétravail a aussi été adopté dans le secteur public, où près de 40% des agents de l'Etat, hors éducation nationale, police et gendarmerie, étaient en télétravail lors de la première semaine complète de confinement.
Tous ces chiffres pour appuyer une vérité massive : l’épidémie de COVID aura été un formidable accélérateur de ce changement sociétal majeur qu’est le télétravail. Et …il n’y aura pas de retour en arrière.
Vous me direz avec raison qu’avec le COVID, nous sommes littéralement en état d’urgence sanitaire et que le télétravail imposé est un outil d’urgence, de gestion de crise.
Vous aurez raison. Nous venons de faire notre première expérience de télétravail obligatoire, de masse. Que cela plaise ou non, chacune ou chacun d’entre nous, si son poste de travail est « télétravaillable », doit s’y mettre.
Ne méprisons pas trop vite ce télétravail d’urgence, il fait clairement partie de la fameuse résilience de notre société moderne par ailleurs, si fragile, parce que tellement interdépendante.
Au contraire, chaque organisation, entreprise, privée ou publique, doit parfaire son plan de continuation d’activité en situation de télétravail pour répondre aux situations d’urgence et il y en aura d’autres…
Mais, il est vrai que l’essentiel du basculement est devant nous et qu’il concerne le télétravail voulu en situation normal. L’aspiration au télétravail va continuer, plus rapidement encore, sa progression dans nos cœurs.
Pourquoi ?
Parce que les conditions de son exercice ne vont pas cesser de s’améliorer (fabuleuse génération des Zoom, Starleaf, Teams !...).
Parce que les économies de temps de transport et les impacts vertueux sur l’environnement qui vont avec sont considérables.
Et plus fondamentalement, parce que le télétravail s’inscrit comme une avancée sociale décisive avec la liberté de choisir le lieu de son travail comme les horaires variables ou les jours de RTT ont pu l’être pour la liberté de choisir les moments de son travail.
Alors, à nous, employeurs publics ou privés, partenaires sociaux, et au final, à chacun des actifs, de se hisser à la hauteur des circonstances exceptionnelles que nous vivons.
A nous d’inscrire, à l’intérieur du cadre national législatif existant, un véritable droit au télétravail pour chacune et chacun des employés de nos organisations, avec les contreparties nécessaires du côté des employés pour que la productivité et la qualité des produits et des services publics donnés au client y trouvent aussi leur compte !
Ici, à Agen, « I have a dream : on sera parmi les premiers ! »….j’entends déjà le chœur permanent des éternels immobiles : « Monsieur le Maire, ça ne marchera jamais, votre droit au télétravail… ».
Mais si, cela va marcher et je vais, d’ailleurs, tout faire pour cela, avec la municipalité d’Agen, avec le conseil communautaire de l’Agglomération d’Agen, avec nos partenaires sociaux, avec chacune et chacun de nos agents.
Et çà commence le 14 décembre par un vote de notre conseil municipal réuni en séance extraordinaire installant justement le télétravail comme un droit pour chaque agent assumant un poste télétravaillable !
Bonjour, il me semble précoce de tirer des conclusions durables sur cet épisode de télétravail. Si lancer un projet d' étude sur une plus long période me semble opportun, un changement de comportement me semble hasardeux. Travailler à domicile durant la majorité de son temps ne sera pas forcément bénéfique sur le couple et la structure familiale. Et risque d'impacter durablement le lien social pas forcément dans le bon sens du terme, ainsi que le travail en équipe. Je crois que nous devons écouter le retour des enfants de tous les âges qui ont souffert d'un manque de lien social durant ette période. Et l'épuisement parental de devoir travailler tout en assurant la prise en charge des enfants. Le télétravail pour moi, doit rester l'exception !
Bonjour M. le Maire,
Télétravail, ah ce télétravail ! bien évidemment ça nous aide pour continuer à travailler lors ce temps difficile, mais o combien je regrette cette avancée technologique ! Elle nous a tout de même bien peté la cohésion au sein des équipes, elle nous empêche de se regarder et voir que ça va pas ou, au contraire, de se ragerder pour exploser de rire sans savoir porquoi, elle nous empêche de prendre un café ensemble pour se dire tout ce qu’on a sur le cœur et tout ce qu’on se dit jamais par mail, elle nous empêche de régler des problèmes rapidement en se regardant dans les yeux, elle nous empêche de se réunir pour soupirer , pour s’engeuler, pour sentir qu’on est ensemble dans la galère comme dans la joie. Alors le télétravail, oui, mais je ne l’encouragerai pas.
Travailler c’est par dessus tout être dans une dynamique sociale primordiale pour notre bien être. C’est de côtoyer des amis, savoir gérer des enemies, gérer les clients, gérer les demandes, se sentir utile, savoir comprendre les autres, de composer avec les différences des autres... c’est tellement nécessaire de travailler ensemble, c’est tellement beau de faire parti d’une équipe que je trouve dommage de ne pas faire l’apologie du temps passé ensemble.
Bien à vous,
Margot D’AURIA DOBRSKA
Cher Jean,
Je comprends ton enthousiasme et partage ton analyse que cette nouvelle organisation du travail se généralisera. Mais pour avoir dirigé une équipe qu'en 30 ans j'ai fait passer de 10 à 50 salariés, je sais l'importance des relations humaines pour assurer son harmonie et faire en sorte que chacun soit heureux de venir sur son lieu de travail. Rester seul toute la journée n'est pas une vie, sauf pour quelques sauvages comme moi.
Un autre aspect fondamental de ta plaidoirie est qu'elle révèle que dans l'esprit français, seul le travail intellectuel ne vaut et n'existe. C'est une faute d'analyse majeure de nos dirigeants ces 40 dernières années et qui explique largement notre déclin économique. L'ordinateur avec lequel j'écris ce message, la table sur laquelle il est posé, la lampe qui éclaire mon bureau, la chaise sur laquelle je suis assis, le mur qui me fait face, le sol sur lequel est posé ma chaise, le stylo avec lequel j'ai mis mes notes sur une feuille de papier, tous ces objets et tous ceux avec lesquels nous vivons au quotidien ne sont pas virtuels. Ils résultent tous du travail de femmes et d'hommes dans des ateliers équipés de machines qui transforment, déplacent, assemblent la matière.
Jean, ton devoir d'élu de nous tous, intellectuels comme manuels, est d'être attentif à nous tous. Tu philosophes sur l'organisation future du travail des intellectuels. Tu dois aux manuels de leur dire ta vision de l'organisation de leur travail dans les années et les décennies à venir. Tu leur dois de les motiver aussi. De leur nouvel engagement dépendra le redressement du pays, de sa balance commerciale, de ses emplois et de sa richesse. Si les manuels disparaissent, alors la France disparaîtra du paysage économique mondial. Les Français achèteront tout sur internet qui ne viendra que d'Allemagne, de Chine ou des USA et arrivera un moment où, d'avoir donné tous leurs revenus à des entreprises et des salariés hors du pays, il ne leur restera plus rien pour eux.
Puisque tout le monde a parlé du Général de Gaulle ces derniers jours, je t'invite à être un peu plus gaullien dans ta vision du monde. La France ne s'en sortira que si les Français le veulent et si leurs élus leurs donnent une vision et des perspectives positives.
Merci à toi de ton engagement à notre service à tous.