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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Superprofits Total : Pour qui ? Le contribuable, l’actionnaire ou le salarié ?

Publication : 17/10/2022  |  10:29  |  Auteur : Webmaster

 

Pour la chronique de cette semaine, je suis parti d’une sourde colère que j’avais en moi.

Oui, j’étais en colère contre tous les acteurs du conflit dans la société Total, qui paralyse depuis deux semaines partiellement l’approvisionnement en produits pétroliers - et donc la vie quotidienne - de l’ensemble des citoyens de notre pays.

Ma colère était simple et forte et - j’en suis sûr - partagée par un très grand nombre de Français. Il suffit d’être un peu citoyen, d’ouvrir un peu les yeux et les oreilles pour comprendre que notre pays est dans une situation de grande fragilité : sortie hésitante de la pandémie du Covid, crise internationale d’une ampleur inédite depuis 1945 avec une guerre d’une sauvagerie que nous avions oubliée, dérèglement climatique…

Ma colère était donc un cri : « il est temps de penser à la France, à la paix en Europe, à la transition climatique dans le monde ! Arrêtez avec vos intérêts particuliers ! Et trouvez ensemble un compromis à la hauteur de la situation ». 

 

Mais, la colère est mauvaise conseillère. Je le sais. 

Je sais qu’il n’y a pas d’issue pérenne à un conflit sans un effort véritable de compréhension de chacune des parties prenantes. Oui, d’abord comprendre. 

Avant de nous lancer dans la recherche d’une solution, commençons par poser le problème.

 Le problème, c’est la répartition des superprofits fait par le groupe TotalEnergies :  16 milliards d’euros en 2021 et sans doute entre 20 et 25 milliards d’euros en 2022. Ces superprofits sont dus à l’envolée des prix du pétrole brut (prix du baril BRENT fin 2020 : 40 euros, Octobre 2022 : 90 euros), elle-même d’abord due à la très forte croissance économique mondiale post-Covid en 2021, puis aux tensions sur ces marchés directement liées à la guerre en Ukraine. 

 

 Rajoutons quelques éléments de cadrage :  le groupe Total est présent sur toute la chaîne de production des produits pétroliers : production, raffinage, distribution. Mais en France, il n’est présent que dans des activités de raffinage, de distribution commerciale et de recherche et développement. Si nous avions du pétrole en France, cela se saurait…

Je me suis donc mis à lire les justifications de chacune des parties prenantes de ce conflit Total sur la question de la répartition de ces super profits. 

 1) La direction de Total, par la voix de son PDG, Patrick POUYANNÉ : 

Devant la mission parlementaire réunie le 21 octobre 2022 pour discuter de l’éventualité d’une taxe de ces superprofits, il a expliqué aux élus que l'essentiel du bénéfice net de Total enregistré au premier semestre, était taxé dans les pays d'extraction et que la France ne pouvait taxer une deuxième fois ces profits. « Nous payons des impôts sur les bénéfices dans les pays où nous réalisons des bénéfices, c'est un principe de territorialité et de non double-imposition que fixe le droit international de la fiscalité d'entreprises comme la mienne » a-t-il fait valoir. Il a souligné que TotalEnergies avait vu ses impôts augmenter en parallèle de l'augmentation des prix du pétrole. Cette somme devrait atteindre 30 milliards en 2022, selon le patron de TotalEnergies. « Dans la grande majorité des pays producteurs, [le taux d'impôt] s'adapte aux prix du pétrole. Donc la rente pétrolière est captée par les pays producteurs… »

Le PDG de TotalEnergies s'est montré offensif, rappelant que ses activités hexagonales sont essentiellement composées du raffinage et de la distribution du carburant dans les stations-service ainsi que de la recherche-développement. « En France, les activités que nous avons ne sont pas du tout une rente pétrolière », a-t-il affirmé. Il a au contraire rappelé que le raffinage n'avait pas vraiment été rentable jusqu'à présent : « Le raffinage français est en perte assez régulièrement car le marché européen du diesel et de l'essence est en baisse parce qu'il y a des surcapacités de raffinage au niveau européen », a-t-il rappelé.

Le patron de Total a aussi essayé de convaincre que l'entreprise faisait bon usage de la manne liée à l'envolée des prix du pétrole. Les investissements de TotalEnergies, devenu un fournisseur d'électricité en plus du gaz en France, devraient passer de 1 milliard d'euros en 2019 à 4 milliards en 2023, après 3 milliards l'année dernière. Patrick POUYANNÉ dit vouloir consacrer, par la suite, un tiers de ses investissements aux énergies non carbonées.

Le directeur général s'est enfin employé à justifier les quelque 8 milliards de dividendes qu'il verse chaque année à ses actionnaires, une somme relativement stable dans le temps. « Nos concurrents américains distribuent plus de dividendes que nous », a-t-il assuré, citant le chiffre de 45 % du cash-flow contre seulement 30 % pour TotalEnergies.

 2) Les syndicats de Total : 

Ils ont, eux, des positions différentes.

Les syndicats majoritaires dans l’entreprise (56% de représentativité à eux deux), CFDT et CGC, ont signé un accord salarial prévoyant une hausse de salaires générale de 7%. Accord refusé par la CGT qui réclame une hausse de 10%, correspondant à « l'inflation plus le partage des richesses, puisque Total se porte bien et que les actionnaires ont été servis depuis longtemps ». C’est sur la base de ce désaccord que la CGT a prolongé son appel à la grève dans les cinq raffineries du groupe. 

 3) Le gouvernement enfin : 

Malgré des inflexions récentes, il a eu pour ligne directrice de ne pas brouiller sa politique de stabilité fiscale et pour cela de demander au groupe Total la fameuse ristourne de 20cts par litre à la pompe, ristourne accordée par le groupe. 

Dans un premier temps, il s’est donc opposé à une imposition exceptionnelle des superprofits de Total et des sociétés dans des contextes équivalents.

Enfin, le Président Macron, le 05/10, a pris position pour un mécanisme européen mettant à contribution les opérateurs énergéticiens (comme Total) par souci de « cohérence », contribution qui pourrait être reversée aux États-membres.

 

 Et maintenant que penser de tout cela, en tant que citoyen engagé ?  

1) le sujet est au sens fort politique : il a bien sûr une dimension de finances publiques de l’Etat. Mais il a surtout une dimension politique et symbolique autour d’une question simple : « que faire des profits de la guerre (ou de la crise) ? ».  Pour moi, la réponse est claire. Il faut qu’ils soient mis à contribution par le biais de l’impôt qu’il soit Européen ou national. La participation des opérateurs qui engrangent des superprofits de guerre ou de crise ne peut pas être laissée aux bons vouloirs de ceux-ci. Le MoDem a donc eu raison de commencer à faire voter des amendements allant dans ce sens. C’est le rôle du gouvernement de rappeler le caractère impératif de ce partage de la richesse exceptionnelle crée entre l’impôt, le capital et le travail

2) Les syndicats sont dans leur rôle pour négocier au mieux le partage de la richesse créée (les fameux super profits) entre capital (rémunération des actionnaires) et travail (rémunération des salariés). Mais les super profits ne doivent pas être partagés en deux (actionnaires et salariés), mais en quatre (l’entreprise pour ses investissements notamment de transition climatique, les actionnaires, les salariés … et l’État par le biais de l’impôt). Et c’est pour cela que la proposition de la CGT d’une augmentation générale de 10% est inacceptable quand les salaires chez Total sont déjà connus pour être corrects et qu’à titre d’exemple les salaires des 6 millions de fonctionnaires ne seront augmentés que de 3,5% en 2022. Inacceptable aussi le blocage de la vie quotidienne dans le contexte actuel déjà chargé d’épreuves (stagflation, tensions énergétiques…) 

3) Le PDG de Total, Patrick POUYANNÉ et les instances de gouvernance de Total n’ont pas été et ne sont toujours pas à la hauteur de l’événement historique qu’a été la collision entre la sortie de crise post-COVID et la guerre en Ukraine. A partir du 2ème trimestre 2022, il aurait dû acter le partage historique de ce superprofit entre le citoyens-contribuables, les actionnaires et les salariés, l’anticiper et être l’artisan principal de sa construction. Il a choisi la défense conservatrice du propriétaire. Il a récolté, et c’est mérité, et la grève, et l’hostilité de l’opinion publique.

 Et maintenant que faire ? 

C’est au Gouvernement et au Président de la République d’imposer ce compromis de guerre et de crise. Le mieux serait effectivement par le biais d’une contribution équitable sur l’ensemble de l’Union Européenne. Sinon, il faudra le faire au niveau national, fortement, sans trembler, pour nos finances publiques, bien sûr, mais surtout pour l’égalité républicaine au cœur du projet Français. 

@+ 

  Jean Dionis,  

Maire d’Agen 

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