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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Armand Fallières, Président de la République (1906- 1913) : "Pourquoi faut-il que je parle ?"

Publication : 04/10/2006  |  01:08  |  Auteur : Jean Dionis

Mardi 3 Octobre :

Michel Diefenbacher, Président du Conseil général, vient de m'envoyer, à ma demande, un texte du Président de la République Armand Fallières (1906-1913), Lot et Garonnais Illustre….C'est à mon avis un vrai chef d'œuvre d'humour politique, et d'autodérision….

J'ai plaisir à vous l'offrir comme un cadeau, ou comme une anti-dote en ce début de campagne présidentielle où les candidats feraient bien de s'inspirer de la modestie républicaine du sage de Mézin…..

Ce texte que j'ai intitulé "Pourquoi faut-il que je parle ?" est, en fait, un extrait d'un entretien donné par le Président Fallières à un journaliste du grand magazine de l'Epoque, L'Illustration ….Extraits….

"Le plus impérieux de mes devoirs est de visiter les départements et de me montrer au peuple français. Il se plait à contempler le chef de l’Etat et je n'ai pas le droit de lui refuser cette innocente distraction. Mais ne suffirait-il pas d'apparaître devant les foules ? Elles sont avides d'acclamer un homme vénérable qui est vêtu de l'habit noir, qui porte le grand cordon de la Légion d'Honneur et qui symbolise la République. Dans les villes provinciales, comme dans la capitale, les photographes désirent braquer sur lui leurs appareils. C'est fort bien.

Je suis prêt à affronter les objectifs qui me guettent. Je consens à sourire comme l'exige la tradition. J'écouterai avec recueillement les musiques militaires et les fanfares qui, toujours et partout, joueront sur mon passage "La Marseillaise". Mais pourquoi faut-il que je parle ?

Hélas ! Avant de partir pour Marseille, j'ai tenté d'imaginer des discours personnels, des réponses originales. J'ai convoqué mes secrétaires et nous avons travaillé pendant de longues heures afin de trouver des harangues un peu piquantes et qui seraient exemptes de l'officielle banalité. J'avais promis une assez forte prime aux écrivains qui me fourniraient une éloquence inédite. On ne m'a apporté aucune idée nouvelle et je devrai répéter ce que mes prédécesseurs ont dit, et mes successeurs ne diront pas autre chose. Il me faut bien affirmer aux conseillers généraux que le gouvernement a un souci tout particulier des besoins du département. En présence des municipalités, je dois m'écrier que jamais les finances d'une ville ne furent aussi intelligemment gérées. Quand apparaît le général entouré de ses officiers, je les assure de la sollicitude de la République et je les remercie de leur dévouement au régime et à la patrie. Si je pénètre dans une bourse de commerce, je déclare que nous luttons victorieusement contre la concurrence étrangère. Aux cultivateurs, je promets le relèvement des prix et aux consommateurs la baisse des denrées. A la fin des banquets, je vente les bienfaits de la mutualité qui doit résoudre pacifiquement la question socia1e et, si j'aborde la politique étrangère, c'est pour constater que la France consciente de ses droits et de sa force, n'a pas de visées belliqueuses.


Je suis bien obligé de prononcer ces phrases connues et j'en rougis. Mais comment faire ? Pour montrer de l'originalité, avouerai-je que j'ignore les desiderata de la province et que je m'intéresse médiocrement aux budgets locaux ? Dois-je confesser que les industriels et les négociants d'Allemagne, d'Angleterre, d'Amérique, luttent avec avantage contre nos produits ? Appellerai-je de tous mes voeux la guerre ? Je ne me dissimule pas que de tels propos seraient froidement accueillis et pourraient même troubler l'univers. Aussi je me résigne à être banal : ainsi le veut la haute fonction qui m'a été confiée.


Il est nécessaire aussi que je sois modeste. Quand on pousse des acclamations sur mon passage ou qu'on m'adresse, à brûle-pourpoint, des éloges, il sied que je baisse les yeux et que je réponde : "Ce n'est pas à moi que s'adressent ces applaudissements et ces louanges, mais à la République dont je suis l'humble représentant." Je ne peux affirmer ma personnalité que par la manière dont je débite ces discours qui ont trop servi. Sadi Carnot était correct et impassible. Félix Faure fut majestueux. Emile Loubet cultivait le fin sourire et les regards malicieux. Je suis .simple et bonhomme. Je charme tout à coup, par un style familier, ceux qui s'inclinent devant moi et je m'abandonne volontiers à la plaisanterie facile qui fait éclater les gros rires. Dans les cortèges solennels, sous les drapeaux qui claquent au vent, parmi les fracas des cuivres et les hurlements populaires, je veux que 1 'on dise de moi : "Il n'est pas fier !" Je pose des baisers sonores sur les joues des jeunes filles qui m'offrent des fleurs et, pendant les repas, je bois joyeusement les vins qu'on me verse.


Ainsi je m'efforce de faire oublier l'inutilité de mes paroles. Les décorations rouges, violettes et vertes que je distribue voilent aussi la banalité de mon rôle. Le magistrat qui peut orner les boutonnières de rubans et de rosettes possède un merveilleux prestige. N'est-il pas au dessus de l'humanité celui qui peut transformer de simples citoyens en officiers d'Académie ou en chevaliers du Mérite agricole, comme les puissants magiciens des féeries changent un pauvre berger en prince charmant."

Merci pour la leçon de modestie et d'humour, Président Fallières !

A bientôt,

Les réactions

Très bel hommage au sage de Mézin

Merci à un scientifique, épris de littérature et sensible à l'humour, de nous faire partager ce superbe morceau d'anthologie qui devrait figurer en bonne place dans le bureau de nos élus. Un bel hommage décapant à Armand Fallières!

Excellente question

Un texte remarquable d'humour et de finesse. Ah, la IIIe République avait du bon! Aujourd'hui, la parole présidentielle l'a emporté sur l'action. Et encore, la parole... uniquement le 14 juillet et le 31 décembre!
Vive la 6e république, avec un président enfin responsable et qui assume la conduite des affaires publiques!

Fallières

Avec l'âge et l'expérience, je me pose toujours la question de savoir si, dans cet exemple, l'orateur est sincère ou si à sa manière, ce n'est pas une forme de plus d'essayer de séduire.
Si, en revanche, le personnage est sincère et que ses actes correspondent à ce qu'il semble vouloir dire alors c'est une bonne leçon d'humilité pour tous, sans distinction d'appartenance.

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