A Agen, le 14 juillet 2018 restera dans notre histoire locale. Tout avait commencé le vendredi 13 juillet de manière habituelle et prévisible : défilé républicain autour de notre Régiment et de nos forces de sécurité, apéritif municipal, repas avec nos agriculteurs en bord de Garonne, feux d'artifice à 23 heures et pour finir tard dans la nuit, le bal du 14 juillet.
Tout cela est finalement, me direz-vous, assez normal et bien identique à ce que font des milliers de communes et villes en France. Mais justement cette norme, elle fait notre culture, notre identité nationale et c'est aussi pour cela que nous y sommes profondément attachés.
Dès le vendredi soir, il y avait du monde, beaucoup de monde sur les bords de Garonne. Mais il était écrit que ce 14 juillet serait aussi placé à Agen sous le signe de l'extraordinaire et même romanesque, est l'histoire de notre Marseillaise à Agen.
Regardez comme elle est belle, le sculpteur Ernest Dagonet a réussi à lui faire porter l'élan patriotique des soldats de l'an 2 venus de partout, en l'occurrence de Marseille pour défendre la République en danger et lui offrir ces premières victoires notamment celle de Valmy. Elle, cette jeune femme au tambour, elle est devant et elle électrise nos soldats, on la voit chanter "aux armes citoyens". Elle, c'était d'abord une commande d'Etat pour le jardin du Luxembourg à Paris à un sculpteur à la réputation déjà bien établie mais c'était sans compter Joseph Chaumié, agenais d'origine, Ministre au tout début du 20ème siècle de l'Education nationale. Joseph Chaumié se dit que le jardin du Luxembourg a déjà tout ce qu'il faut et que cette statue, la France peut l'offrir à sa ville natale Agen.
Et le 14 juillet 1902, dans un moment de ferveur patriotique, inimaginable si nous ne faisons pas l'effort de nous replacer dans cette IIIème République, à la fois meurtrie par la défaite de 1870 et forte de son élan créateur, ce jour-là, la ville d'Agen installe sa Marseillaise, en face d'une autre statue qui est celle de la République. Pendant 39 ans elle fera la fierté d'Agen.
Mais fin 1941, mon prédécesseur le Maire d'Agen reçoit une sinistre lettre du gouvernement de Vichy, déjà aux ordres de l'occupant nazi dans laquelle il est demandé à la ville de fournir aux allemands toutes les statues en bronze de la ville. Le maire, à qui l'on tord le bras, fait ce qu’il peut, il en sauve une sur les 5 demandées celle de notre poète Jasmin. Notre Marseillaise finira donc tristement dans les usines d'armement allemandes.
Mais il était écrit que le roman continuerait. En 2008, la municipalité que j'ai l'honneur de conduire lance son grand chantier de rénovation du centre-ville : Agen cœur battant. Le cœur d'Agen se transforme, piétonisation... et s'embellit : arbres, bancs, éclairage des façades et très vite je pose une question, une question à ceux qui portent ce projet : et si nous ramenions nos statues ? Rêve un peu fou, mais ce rêve jour après jour devient réalité. On trouve une sœur jumelle bien vivante à notre Marseillaise à Châlons-sur-Marne.
Mieux encore à force d'enquêtes dignes du meilleur policier, on finit par trouver un moule, le moule de notre statue au musée de Riom. Ce jour-là, nous étions heureux car nous savions que plus rien ne nous empêcherait de retrouver notre Marseillaise.
Et le samedi 14 juillet 2018 devant des centaines d'agenais, j'ai eu le bonheur de rendre leur Marseillaise à mes concitoyens, émotion rare, elle regagne le cœur des agenais même celui des plus goguenards lorsque commença cette saga.
Aujourd'hui j'ai la certitude que le roman de cette statue continuera, je ne sais pas pour qui, je ne sais pas pour quel événement mais je sais qu'elle fait "symbole" au sens étymologique du terme de ce qui nous permet de vivre ensemble.
Voilà pour samedi, reste dimanche et dimanche la magie du foot a opéré. Agen est une ville moyenne de 35000 habitants, dimanche 6 000 de ces habitants se sont rassemblés dans un de nos lieux de vie les plus emblématiques de la ville, le stade Armandie, notre stade de rugby pour y voir gagner l'équipe de France, pour la voir avec une 2ème étoile, pour la voir championne du monde !
Quel est le secret du football pour être aussi fédérateur ?
Je n'aurai pas la prétention d'épuiser cette question avec mes réponses forcément partielles mais le football rassemble d'abord parce qu'il est universel. Ces règles, ces gestes ont fait que le monde entier prend du plaisir à y jouer. En y réfléchissant bien c'est unique, aucun des autres sports pour ne rester que dans ce domaine n'a atteint ce niveau d'universalité. Enfin, le football reste largement imprévisible, il nous sort de nos vies qui elles au contraire pour l'essentiel sont réglées, encadrées, mécaniques en cela il est vraiment « événement ». Là aussi la langue nous aide, le résultat vient d'ailleurs et cela donne à ce qui n'est qu'un jeu l'épaisseur d'une tragédie qui fait vibrer les peuples.
J'ai bien aimé la communication du Président Emmanuel Macron « nous n'y sommes pour rien mais ceux sont les nôtres, réjouissons-nous ! "
Week-end historique que celui du 14 juillet 2018 où les identités agenaises et nationales sont entrées chez nous pour un instant si court en contact et en fusion, comme pour nous rappeler qu'une identité seule qu'elle soit nationale ou locale et si souvent meurtrière et que par contre lorsqu’elle se pense multiple, diverse alors identité et fécondité riment et marchent ensemble.
Émotion agenaise, émotion Bleu Blanc Rouge, c'était un bien bel instant.