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On dit " gouverner c'est prévoir ". Il faut dire aussi " gouverner c'est savoir " Discours de François Bayrou SEIGNOSSE 30 AOÛT 2003

Publication : 11/09/2003  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Cette 28ème Université d’Eté, dans ces derniers jours du mois d’août 2003, nous ne l’oublierons pas.

Il y a un an, à la même date, c’était l’inquiétude de tous ceux qui croyaient à l’UDF, à son rôle irremplaçable, et au pluralisme en démocratie. Beaucoup nous promettaient la disparition sans phrases. Et les mieux chevillés pouvaient nourrir la crainte que les assauts répétés contre notre existence même ne finissent par emporter la digue que nous avions construite.

Aujourd’hui, tout cela est derrière nous. Aujourd’hui l’UDF apparaît, sondage après sondage, comme un point de repère pour les Français, attachés autant que nous le sommes au pluralisme et à la parole libre.

Et cette Université d’Eté, nous ne l’oublierons pas non plus parce qu’elle achève une période estivale qui a été cruelle pour beaucoup de Français et pour l’idée même que nous nous faisons de la France.

Voyez-vous, on a beaucoup parlé, à juste titre, du choc du 21 avril 2002. On parlera longtemps du choc du mois d’août 2003.

Je crois même qu’on parlera plus longtemps du choc de ce mois d’août.

La France qui se croyait à l’abri des grandes vagues de mortalité avec un système de santé dont nous nous plaisons à dire qu’il est le meilleur du monde, a découvert qu’il pouvait en 2003 mourir sur une longue période 1000 personnes par jour, sans même que l’on s’en aperçoive en temps utile.

Pardonnez moi de commencer par ces évènements tragiques. Bien des images ne s’effaceront pas de longtemps de notre mémoire.

Les infirmières pleurant d’épuisement et de chagrin devant les dizaines de brancards encombrant jusqu’aux couloirs les services d’urgence.

Des centaines de dépouilles mortelles attendant dans des camions frigorifiques, à Rungis, des familles qui ne viendront jamais.

Et tout cela parce que nous avons eu une vague de chaleur. Ou plus exactement parce que nous avons été totalement désarmés en face d’une vague de chaleur.

J’entends bien que beaucoup de gens murmurent que ces personnes âgées auraient bien fini par disparaître, et d’autres qui susurrent qu’entre leur sort fatal et la vie qui était la leur, après tout…

C’est faire bon marché de la vie humaine. C’est faire bon marché des mois ou, qui sait, des années, que bien des victimes auraient pu conserver dans une société plus harmonieuse et plus efficace.

Certains encore affirment péremptoirement que c’est la fatalité et qu’il n’y avait rien à faire !

Or il y avait bien des choses à faire, simples, peu coûteuses, faciles d’accès, qui auraient sauvé non pas toutes les vies, mais beaucoup de vies et en tout cas l’honneur d’une société humaine.

Songez par exemple, qu’il suffisait d’interrompre les programmes de télévision pour donner l’alarme comme on le fait désormais pour les grands orages, en disant aux personnes âgées « votre vie est en danger, il vous faut boire deux litres d’eau par jour » et on aurait dit « vous qui avez des voisins dans votre immeuble ou votre rue, rendez-leur visite, allez les voir, inquiétez vous d’urgence, il sont en danger de mort ».

Ces deux interventions ne coûtent pas un euro, et aujourd’hui des milliers de personnes âgées seraient encore là, et une certaine idée de la France n’aurait pas été atteinte.

Alors pourquoi dans un pays aussi riche et aussi développé que le nôtre, un pareil drame ? Pourquoi la France et pas ses voisins, du moins jusqu’à maintenant ?

Bien sûr la première responsabilité revient à l’état de la société.

Nous avons laissé se construire une société impitoyable où le lot des plus âgés, des moins fortunés, est la solitude. Où des centaines de milliers de nos compatriotes, peut-être des millions, ne rencontrent plus personne, puisque dans beaucoup de quartiers le logement c’est la ségrégation, les uns d’un côté les autres de l’autre, puisque les commerces ont disparu, puisqu’on ne trouve plus le personnel infirmer nécessaire pour els soins à domicile.

Et là non plus, il n’y a pas de fatalité. Je récuse l’idée de cette fatalité. Si nous avions eu dans les décennies passées une autre politique du logement, de l’urbanisme commercial, de l’organisation du soin à domicile, de la médecine de ville, de la démographie médicale et infirmière, le monde ne serait pas ce qu’il est. Il n’y a pas de hasard, des décisions ont été prises, des politiques ont été suivies qui ont fait de la France ce qu’elle est devenue, un pays agréable pour celui pour qui tout va bien et implacable pour qui tout va mal.

Et puis il y a l’organisation de notre pays, de sa démocratie, de son administration, de ses pouvoirs publics, qui nous ont tout simplement empêché de savoir.

Car c’est bien là qu’est la clé. Si nous avions su, nous aurions été obligés de faire.

Mais en France, et là encore depuis des décennies, la mécanique est toujours la même, tout est organisé pour qu’on ne sache pas.

Je récuse bien entendu l’idée que ce soit un gouvernement particulier qui soit responsable de ce drame. Dans des drames du même ordre hier, des gouvernements d’étiquettes différentes, ou d’ailleurs de la même étiquette, on eu exactement la même attitude. Ce n’est pas tant les gouvernements qui sont responsables que la manière dépassée de gouverner dans laquelle la France se paralyse.

Souvenez-vous : le drame de l’amiante, les farines animales, la vache folle, le sang contaminé, le nuage de Tchernobyl. Gouvernement de gauche, gouvernement de droite, chaque fois le scénario a été le même.

Dès les premiers signes, le réflexe du pouvoir était toujours de nier la menace, d’expliquer que tout était sous contrôle, de se rassurer quand il aurait fallu s’inquiéter.

On dit « gouverner c’est prévoir ». Il faut dire aussi « gouverner c’est savoir ».

Or tout est fait en France pour qu’on ne sache pas.

Malgré des dizaines de milliers de fonctionnaires, spécialisés dans cette surveillance ou qui devraient l’assumer, malgré la sophistication d’un Etat pléthorique, les pouvoirs administratifs et politiques préfèrent se bercer de tranquillisants plutôt que de faire face.

Ayant observé ce phénomène, je proposais pendant la campagne présidentielle que nous mettions en place, en France, une autorité indépendante chargée de l’alerte publique, une autorité extérieure au gouvernement et ne dépendant pas de lui pour dire, très tôt, dès qu’une menace se précise, « attention, alarme, quelque chose commence à quoi nous devons répondre de toute urgence ». Si cela s’était produit, immédiatement les vacances se seraient interrompues, les pouvoirs différents auraient été contraints d’apporter des réponses, ne serait-ce que pour répondre à la demande des medias et des citoyens.

De la même manière, j’avais proposé qu’un service civil universel mobilise, pendant quelque six mois, les générations successives de jeunes Français, filles et garçons, pour remplir des tâches d’intérêt général, précisément au service de ce genre d’urgence.

Le Gouvernement annonce un plan, c’est bien. On pressent qu’il va rétablir les 183 millions d’euros supprimés au printemps pour la modernisation des maisons de retraite. C’est bien, mieux vaut tard que jamais.

On avance l’idée, pratiquée il y a près de dix ans en Allemagne, de la suppression d’un jour férié pour financer une part de cette action. Certains d’entre nous n’aiment pas cette idée. Pour ma part, je trouve bien qu’on donne à la solidarité cette forme simple et active, à la condition cependant qu’il n’y ait pas que le travail des salariés qui contribue à cet effort.

Mais ne nous leurrons pas, ce n’est pas tout de suite. Il faudra des mois, peut-être des années pour que cette idée entre dans les faits s’il elle y entre, et les cotisations qu’elle génèrera dans les caisses. Or c’est tout de suite que nous devons réagir face à de pareils manques. Maisons de retraite, services d’urgences, aide à domicile et services infirmiers à domicile, allocations d’autonomie des personnes âgées, ces vrais besoins sont immenses et c’est vrai que la France a du retard.

Maintenant, il faut prendre le taureau par les cornes. Il faut que la solidarité soit autre chose qu’un mot, que l’action soit immédiate et financée. Maisons de retraite et soins à domicile, l’action nécessaire pour les personnes âgées, c’est au moins trois milliards. Je propose qu’en signe d’urgence et de solidarité, le Gouvernement renonce pour un an à la baisse des impôts de trois milliards d’euros qu’il a annoncée, sans savoir d’ailleurs comment la réaliser, et qu’on améliore d’urgence la solidarité concrète avec les plus âgés d’entre nous. Je propose que nous réfléchissions tous ensemble à un service civil de quelques mois pour tous les jeunes Français. Et je propose qu’on mette immédiatement en place une autorité indépendante, extérieure au gouvernement, chargée de l’alerte, de donner l’alarme quand une catastrophe approche, pour que les gouvernements et les administrations, d’aujourd’hui et de demain soient placés au pied du mur, pour qu’il agissent, au lieu de refuser de voir.

***

Il faut agir : nous ne pouvons pas creuser le déficit davantage et il faut une action de solidarité.

Il n’y a pas de solidarité sans moyens. Et cela nous conduit à examiner ce problème toujours pendant et chaque année plus grave des finances publiques en France.

Un certain nombre de leaders politiques se sont réjouis de la démarche du gouvernement demandant à Bruxelles l’indulgence pour l’accroissement de notre déficit déjà abyssal. Je ne suis pas de ceux-là.

Un grand pays, c’est un pays qui a des finances saines. Un pays qui aime ses enfants c’est un pays qui ne leur met pas sur le dos des dettes qui seront si lourdes à rembourser que leur niveau de vie et leur emploi lui-même s’en trouveront cruellement diminués.

Alors on nous dira que les Etats-Unis ont cette année un déficit proportionnellement plus important que le nôtre, 4,3% du PIB, que le Japon dépasse allègrement 7%.

Convenons que la situation du Japon est peu enviable. Et notons que si les Etats-Unis sont en déficit cette année, ils étaient en excédent il y a deux ans.

Hélas, ce n’est pas le cas de la France et la responsabilité du gouvernement socialiste est lourdement engagée dans le gaspillage de croissance dont il s’est rendu coupable.

Est-ce une raison pour ne pas nous engager dans cet effort ? Je ne le crois pas. Quelles que soient les raisons alléguées la réalité demeure et elle est cruelle. La dette de la France vient de dépasser les mille milliards d’euros et cette montagne de dettes, ce n’est pas sur nous qu’elle pèsera, c’est sur les jeunes Français qui auront à la rembourser quand ils seront à leur tout au travail.

Il y a enfin un dernier argument que Michel Camdessus nous a rappelé hier soir : notre dette, elle asphyxiera nos enfants demain, mais elle asphyxie le tiers-monde aujourd’hui. Puisque le crédit disponible viendra évidemment se placer dans nos pays riches et solvables de préférence à ceux qui en ont besoin pour survivre et qui présentent évidemment un risque plus élevé.

Mais qui peut imaginer qu’une société soit sensible au tiers-monde quand elle est indifférente aux difficultés qu’elle crée, quand elle accepte d’un cœur léger d’hypothéquer l’avenir de ses propres enfants.

Et c’est pour cette raison que je ne comprends pas les choix qu’on prétend faire à propos de la baisse des impôts.

Il y a une baisse vertueuse des impôts. C’est celle qui découle d’une baisse de la dépense publique. On peut en discuter, mais elle est cohérente.

On peut en discuter : certains privilégieront la solidarité, le haut niveau d’équipement d’une société qui choisit ce type de priorité. C’est le cas par exemple des sociétés du nord de l’Europe.

D’autres au contraire soutiendront l’idée, elle aussi solide, que la baisse des impôts libère les énergies, mobilise la créativité.

Les uns sont des sociaux-démocrates conséquents, et les autres des libéraux conséquents.

Mais il serait inconséquent et même incivique de choisir durablement, avec insouciance, d’ajouter encore à la montagne de dettes déjà impressionnante des dettes supplémentaires provenant d’une baisse fallacieuse des impôts.

Après tout on demande aux Français de respecter, dans leur propre famille, des disciplines que l’État ne respecte pas lui-même. Le déficit actuel en France, on dit qu’il est de 4%, en réalité le déficit est de 20% ! L’État dépense chaque année 20% de plus qu’il ne rentre dans ces caisses. Quelle famille pourrait se permettre de dépenser durablement 20% de plus que ce qu’elle gagne ? Quelle banque lui ferait crédit avec le cortège fatal de commissions de surendettement et d’huissiers ? Nous en sommes là.

Et quelle influence en Europe et dans le concert des nations peut avoir un pays qui s’avoue incapable d’assainir ses finances publiques ?

J’ai déjà dit à la tribune de l’Assemblée nationale que je ne croyais pas que la croissance se trouverait nourrie par une telle orientation. Pour ceux qui auront la chance d’en profiter, c’est bien souvent l’épargne qui se trouve alimentée par ces disponibilités.

De surcroît, connaissant la France, je considère comme probable qu’une baisse d’impôts ici soit compensée par une hausse des charges là. Par exemple que la baisse de l’impôt sur le revenu national soit compensée par la hausse des impôts locaux.

Et enfin il y a une dernière considération qui nous paraît très importante. Dans les temps difficiles, quand on veut mobiliser un pays, la condition nécessaire pour y parvenir, c’est que les efforts demandés soient équitablement répartis. Ce que l’on demande aux uns, on peut aussi le demander aux autres. Ceux qui ont plus de chance ne peuvent pas être moins mis à contribution que ceux qui en ont moins.

***

C’est notre conviction, c’ est la conviction de beaucoup d’entre nous. Je sais que d’autres ne la partagent pas. Je comprends leurs arguments. Je trouve normal qu’ils les défendent. Ce qui est utile, c’est la confrontation d’idées différentes. Pour trouver le bon chemin, il faut souvent comparer des propositions différentes. C’ est pour cela que le pluralisme est l’oxygène de la démocratie.

Ceux qui croient avoir raison tout seuls sont certains de se tromper lourdement.

Surtout dans un monde aussi complexe, incertain et en mutation que celui que nous vivons.

C’est pourquoi nous avons défendu le pluralisme envers et contre tout et c’est pourquoi nous continuerons.

Et au bout d’une année de ce combat, nous pouvons regarder sans remords les positions que nous avons défendues contre la pensée unique.

Il y a un an, jour pour jour, nous disions au gouvernement « Votre hypothèse de croissance n’est pas tenable, le budget que vous demandez de voter au Parlement, il ne sera pas exécuté ». On nous avait fait voter un budget à 2,5% de croissance, nous serons cette année à peine à 0,5%. Est-ce que le débat n’aurait pas été utile ?

Le même jour, dans le même discours, j’avertissais : « c’est une faute que de ne pas avoir mis l’Education et la Recherche au premier rang des priorités nationales… ». Un an après il a fallu changer de pied après les conflits que vous savez. Est-ce que le débat n’aurait pas été utile ?

Pendant l’hiver, nous avons vainement tenté, au prix d’un conflit dur, d’empêcher l’UMP d’inventer pour les élections régionales un scrutin contraire aux principes même du pluralisme en démocratie. Quelques semaines après, le Conseil Constitutionnel annulait cette loi. Est-ce que le débat n’aurait pas été utile ?

À propos de la Corse, nous avertissions sans être entendus ni même écoutés, que rayer d’un trait de plume la représentation directe des territoires dans une région aussi diverse que celle-là, c’était courir un immense risque. Dans les jours sombres que vivent nos compatriotes corses, comment ne pas poser cette question : est-ce que le débat n’aurait pas été utile ?

Enfin sur les intermittents du spectacle, nous avons averti du risque que représentait une démarche dans laquelle on s’en prenait aux plus fragiles et aux moins reconnus en oubliant les abus des plus puissantes entreprises de la production et de l’audio-visuel. Est-ce que le débat n’aurait pas été utile ?

Jamais je ne prétendrai que l’UDF aurait toujours raison, ce serait ridicule. Mais je sais au moins que lorsqu’il s’agit de prendre une décision difficile il est toujours plus utile de débattre avant que de regretter après un choix hasardeux.

C’est pourquoi, en affirmant la légitimité de l’UDF, ce n’est pas l’UDF que nous défendons en premier, ce sont les vertus du pluralisme dans une démocratie équilibrée.

Et bien d’autres sujets qui sont devant nous vont mériter un tel débat.

Nous venons de le voir, il y a deux approches de la question budgétaire. Le débat est utile.

Il y a des approches différentes de la gestion de l’école. Le débat est utile.

Il y a des approches différentes de notre démocratie sociale. Le débat est utile.

Il y a des perceptions différentes de la politique agricole et de la crise du monde agricole. Je voudrais vous en dire un mot : le désespoir menace le monde agricole. Depuis des années, nous donnons l’alarme. Quelque chose est en marche, qui n’est pas seulement d’ordre économique, qui est moral et qui menace de faire baisser les bras à bien des agriculteurs. La sécheresse sans précédent que nous venons de connaître risque d’être le drame de trop. Nous avons besoin d’une réponse de court terme et d’une réponse de long terme. Les 500 millions d’Euros promis seront très loin de l’objectif. Et le plan reste à construire, maintenant qu’on a accepté une certaine renationalisation des politiques agricoles, pour faire de la France un pays où les agriculteurs verront clair sur leur avenir. Un pays où ils ne seront pas toujours en défense, mais où ils se sentiront reconnus et soutenus.

Voyez-vous, j’ai été très impressionné, et vous aussi je pense, par l’intervention hier soir de Michel Camdessus et de Jacques Diouf, le directeur général du FAO. Jacques Diouf nous a dit : il n’y a pas un pays au monde qui ait pu assurer son développement sans paysans et sans agriculture. C’est vrai pour le tiers-monde ! C’est vrai pour nous.

Et il n’y a que deux voies : ou bien les aides qui sont injustes, ruineuses, démoralisantes, et destructrices du tiers-monde. Ou bien l’organisation des marchés. Un monde qui prend son destin en main au lieu d’aller à la dérive, qui cherche de justes prix pour les produits agricoles et non pas des prix bradés, et qui assure à l’agriculture de chaque grande zone du monde que l’on pourra produire sur place, avec suffisamment de bras, l’alimentation qui manque encore tant.

Il y a des approches différentes de la décentralisation, aujourd’hui on n’y voit pas clair. Le débat est utile.

Il y a, vous le savez bien, des approches différentes de la question européenne. Le débat n’est pas seulement utile, il est indispensable.

Valéry Giscard d’Estaing, à la tête de la Convention européenne, a magistralement conclu un exercice « impossible ».

Je lui ai dit combien j’étais personnellement et nous étions collectivement impressionnés par la manière dont il avait conduit et conclu cette entreprise.

Reste le fond de la proposition actuelle et l’analyse nécessaire de ce qui sortira finalement de la Conférence inter-gouvernementale, seule habilitée à établir l’état final du projet.

Le risque est grand que le texte définitivement arrêté nous laisse en héritage une Europe à vingt-cinq dépourvue de politique économique, de politique fiscale, de politique sociale, de défense, une véritable politique étrangère.

Le moins qu’on en puisse dire est qu’il y a loin du rêve des pères de l’Europe à cette réalité si étroitement bornée.

Et quand on mesure que l’Europe ainsi délimitée n’aura plus, une fois le traité constitutionnel ratifié, de possibilité d’évolution, alors on est saisi d’interrogations.

Ces interrogations, nous devrons les affronter. Nous organiserons un débat, en notre sein, sur la vraie nature de l’Europe, définie à partir de cette Constitution.

L’Europe qu’on nous prépare, sera-t-elle gouvernable, et sera-t-elle transparente ? Pour nous, les risques sont très grands qu’elle ne soit ni vraiment gouvernable ni vraiment transparente. Nous nous interrogeons sur les risques de voir une concurrence s’établir entre le Conseil et son Président et la Commission et son Président, sans compter le « Ministre des Affaires Etrangères » qui relèvera à la fois des deux autorités… Le « huis clos » sartrien, comme l’a défini Jean-Louis Bourlanges entre ces trois personnages et ces trois légitimités risque de rendre l’Europe définitivement illisible.

Et les vraies décisions, elles continueront à être prises dans le secret, sans que les peuples et les citoyens aient leur mot à dire.

Mais je veux formuler une question que personne ne pose. S’il a fallu tant d’habileté et tant de savoir faire pour arriver à ce texte si loin du projet européen initial, si l’ambiance était à ce point réticente que toute référence fédérale a dû être écartée comme un gros mot, même pour les compétences gérées en commun, d’où vient ce climat frileux ?

Je vous donne la réponse comme je la sens, aussi cruelle qu’elle puisse être. Les sceptiques étaient nombreux, les fédéralistes étaient absents.

Ce qui manque, ce n’est pas la foi européenne des peuples, cette foi surabonde comme on l’a vu au moment du passage à l’Euro. Si vous demandiez aux peuples « Faut-il une politique économique européenne, une politique sociale européenne, une politique fiscale européenne, une défense européenne ? » vous obtiendriez une majorité sur tous ces sujets.

Ce qui manque, c’est la foi européenne des dirigeants, et c’est un parti, un grand courant politique pour soutenir clairement l’idée européenne.

Hélas, les deux grands partis qui ont fait l’Europe, le PPE et le PSE, le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen, de glissement en glissement, fascinés par la théorie des gros bataillons, ont peu à peu dérivé bien loin de l’inspiration européenne initiale.

Il faut faire renaître un grand courant européen en Europe. Les pères fondateurs n’étaient pas des rêveurs, des idéalistes dans la lune. Ils étaient les plus admirables réalistes que l’histoire des hommes ait jamais pu connaître.

Je vous le dis à l’entrée de cette année : je ne négligerai aucun effort, aucune entente, pour que la demande européenne des citoyens retrouve enfin l’offre politique qui n’aurait jamais dû lui faire défaut.

Sur ce sujet essentiel, il va sans dire que le débat est utile. Nous sommes responsables. C’est à nous de le soutenir.

***

Tout cela, c’est notre vocation. Et c’est notre stratégie.

Nous pensons que les difficultés que traverse la France depuis un quart de siècle, malgré la succession des alternances, que ces difficultés ont des causes plus profondes que la mauvaise inspiration des gouvernants.

Bien sûr, de surcroît, il arrive que les gouvernants soient très mal inspirés. La manière dont les socialistes ont traité la question du travail en France, avec l’application aveugle des 35 heures, nous en paierons le prix pendant longtemps. D’ailleurs, puisqu’on répète à satiété que c’est là une des causes de nos difficultés, que ne s’attaque-t-on au problème ? Que ne réfléchit-on à une nouvelle organisation du travail, de plus long terme, plus saine ? Les décisions qui ont été prises en matière de démographie médicale, par des gouvernants des deux bords, nous allons en payer le prix pendant longtemps.

Nous pensons que le jour viendra où la France exigera des changements profonds, de sa démocratie, de son État, de son organisation publique, de son pacte social. Ces changements profonds, nous sommes là pour les concevoir et pour préparer ce grand choix. Pour cela, nous voulons construire et rassembler une grande force du changement.

Cette force, elle est ouverte. Le travail que nous construisons avec Christian Blanc, la venue de Corinne Lepage, bien d’autres signes d’intérêt et d’ouverture venus d’autres horizons en sont les prémices.

Cette force que nous voulons construire, elle a un principe : comme en 1958, les choses ne changerons vraiment que lorsque le diagnostic exact aura été fait des causes de notre crise et que le peuple français soutiendra les changements à apporter. Voilà pourquoi il y a deux conditions à cette politique du changement profond : la vérité qui est révolutionnaire, la vérité des choses dite clairement aux citoyens qui sont les vrais patrons, et la justice, car seule la justice soude les peuples. Certains croient au socialisme, d’autres au libéralisme, nous croyons à la démocratie. Nous croyons que l’on peut être à la fois sérieux et généreux, généreux et sérieux. Et même qu’il n’y a pas de vraie générosité sans sérieux et que le sérieux sans générosité est voué à l’échec.

Mais nous ne nous désintéressons pas du court terme. Nous ne sommes pas en charge des affaires. Mais nous nous sentons co-responsables, avec le gouvernement, avec sa majorité, avec les syndicats, avec les décideurs locaux, et même avec l’opposition, co-responsables de l’avenir de la France.

La France n’a pas besoin d’une majorité monolithique. Elle a besoin de pluralisme pour que l’on entende les avertissements, que l’on ne s’aveugle pas dans des décisions que l’on regrettera ensuite, ou que l’on s’aveugle le moins possible. Elle a besoin de pluralisme et de partenariat.

Le partenariat est nécessaire. Il est la condition d’un vrai rassemblement.

Le partenariat commence avec la reconnaissance de la légitimité du partenaire. S’il y a partenariat, il peut y avoir rassemblement. Il peut y avoir débat et discussion. Il peut y avoir alliance. Sinon, il n’y a rien.

Nous ne changerons pas de ligne. Nous préparons dans cet esprit les élections régionales.

Nous désignerons en ce début d’automne nos chefs de file dans toutes les régions françaises. Nous réunirons les responsables de nos fédérations régionales dans le courant du mois de septembre.

Ensuite, nous choisirons, région par région, la meilleure stratégie.

Dans les contacts et la discussion que nous aurons, le jour venu, avec l’ump, nous aurons deux points de repère : ce sera une discussion nationale, ouverte, et ce sera dans un esprit de partenariat, à égalité de devoirs et de légitimité.

Pour les listes dont nous aurons la responsabilité, nous imposerons l’ouverture. Car les régions n’appartiennent pas à un clan ou à un autre. Les régions les mieux dirigées seront celles qui sauront s’ouvrir aux expériences les plus riches, même si elles sont extérieures au monde politique et aux frontières habituelles.

Vous le voyez : il y a le court terme et il y a le long terme. Préparant les changements nécessaires à cette refondation de la démocratie française, en préparant les idées et préparant la force de rassemblement qui les portera, nous sommes fidèles à l’avenir. Mais nous n’abandonnons aucune de nos responsabilités dans le court terme, devant les échéances et les urgences qui sont devant nous. L’esprit de partenariat nous anime. C’est un esprit de liberté. Lorsqu’un danger approche, nous le définissons et nous avertissons. Nous essayons de voir plus loin. C’est la vision qui fait le chemin. Dans les deux cas, nous sommes responsables.




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