Le jeudi 10 avril, Jean Dionis a participé à un débat sur l'évolution de l'aide en Afrique. A cette occasion, il a prononcé un discours que nous mettons à votre disposition.
DEBAT SUR L’AFRIQUE
JEUDI 10 AVRIL 2003
DISCOURS DE JEAN DIONIS DU SEJOUR
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
L’UDF se félicite que les députés aient enfin l’occasion de débattre sur l’Afrique et son développement. Nous sommes en effet convaincus que le destin de l’Afrique est en bonne partie liée à l’action que la France y mènera et c’est la seule partie du monde – à l’exception de l’Europe bien sûr - où nous avons une telle responsabilité.
La présence française en Afrique, ou pour être précis en Afrique Occidentale, se justifie, plus qu’ailleurs, par les liens géographiques, historiques, humains, sentimentaux, linguistiques, culturels, mais aussi économiques et sociaux que notre pays entretient avec ces pays africains. Que cela nous plaise ou non, nous avons avec cette Afrique un destin commun. L’avenir du français, comme langue internationale, se joue en Afrique. Le devenir de nos équilibres démographiques et migratoires aussi…Donc destin commun. Si l’Afrique s’enfonce, la France est la première en Europe à souffrir avec elle.
Or, aujourd’hui, l’Afrique va mal. Non seulement, elle reste encore le continent qui concentre la plupart des maux de la pauvreté et du sous-développement, mais elle régresse. Quelques chiffres suffisent pour en prendre conscience : depuis 1980, le Produit intérieur brut moyen par habitant y décline de 1 % chaque année. 32 pays africains sont plus pauvres aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1980. Cette région ne représente que 1,7 % du commerce mondial et reçoit moins de 1 % des investissements privés.
C’est pourquoi notre débat de ce matin est intéressant. L’aide au développement constitue pour nous une priorité nationale. Or, malgré des efforts financiers importants, malgré beaucoup de générosité collective et personnelle, nous sommes en situation d’échec. Trouver une dynamique de réussite dans notre politique d’aide au développement est un enjeu urgent à la fois moral et politique. La France a le devoir de renforcer sa solidarité envers ces pays amis minés par le sous-développement, la misère, la malnutrition, la maladie, l’analphabétisme et les violences de toutes sortes. Cela fait aussi partie des valeurs républicaines.
Quand il y a échec, il faut de l’audace et du courage pour aller vers la réussite ; Nous devons donc oser une pratique nouvelle de coopération. Certes, le sujet est immense et notre débat de ce matin forcément limité. Aussi, modestement l’UDF souhaite ce matin apporter trois contributions au débat national :
• La nécessité urgente de remettre en cause les modèles d’administration et de bonne gouvernance que nous promouvons sans cesse en Afrique. La France républicaine s’est construite autour du concept d’Etat-Nation. Quarante après la décolonisation, celui-ci se révèle être une impasse majeure en Afrique.
• La nécessité de concentrer l’action de la France en Afrique en Afrique Occidentale et de passer progressivement le relais à l’union Européenne pour les pays du pourtour méditerranéen.
• L’urgence de faire de l’évaluation permanente une ardente obligation dans le domaine des dispositifs d’aide au développement.
I – Remettre en cause l’Etat-nation comme modèle de bonne gouvernance en Afrique
Nous le savons tous. La reprise de la croissance et du développement en Afrique ne dépend pas d’abord du montant de l’aide que les pays occidentaux consentiront à ce continent. Elle est à chercher surtout dans le changement des mentalités que nos amis Africains et nous-même consentiront à opérer. Il s’agit en effet d’accomplir une révolution des esprits, de repenser totalement la façon dont nous appréhendons le continent africain et les voies de son développement.
D’abord, nous devons prendre conscience du poids de l’ethnie en Afrique et comprendre qu’il est impossible d’y faire vivre des Etats-nations imités du modèle occidental. En effet, la réalité africaine est bien différente de ce que nous connaissons dans nos sociétés occidentales : elle fait une place impensable pour nous occidentaux, entre l’individu et la nation, à la famille élargie et à l’ethnie. Or, notre vision de ces réalités africaines est extrêmement négative. Nous en voyons à juste titre les côtés négatifs (rivalités ethniques, freins à la responsabilisation et à la prise de risque personnelle). Nous en méprisons les côtés positifs qui font que les Africains y sont très attachés (solidarité de proximité, enracinement culturel, etc….). Mais, là encore, que cela plaise ou non, la réalité africaine doit s’imposer à nous.
Or, nous avons jusqu’ici méconnu ces réalités, nous avons imposé aux Africains nos concepts et nos cadres de pensée, que ce soit des frontières à angle droit, tracées sur des cartes d’état-major, ou nos constitutions de démocraties parlementaires. L’Etat-nation est vécu en Afrique comme le gros lot de la compétition inter-ethnique. Celui qui la gagne s’empare de tout : postes de fonctionnaire, sociétés nationalisées, avantages en tout genre …. Tout pour l’ethnie qui gagne et ses alliés, générant ainsi une immense frustration des ethnies perdantes qui ne pensent qu’à la revanche…..alimentant ainsi le cycle sans fin des rivalités ethniques….. Avec beaucoup d’humilité, car tout est compliqué en côte d’Ivoire, pays que je connais bien pour y avoir travaillé 14 mois, les accords de Marcoussis restaient dans cette logique d’Etat-Nation et qu’ils risquent aussi de se fracasser sur ces fameuses réalités africaines.
Il nous faut donc proposer, d’urgence, aux pays africains un système de gouvernance qui intègre la réalité ethnique. Alors osons promouvoir un système fédéral, donnant un pouvoir significatif à de grandes régions, qui permettront bon an mal an à chaque grande ethnie d’être maître chez elle quant à la gestion des problèmes de proximité et d’aménagement du territoire, laissant à l’Etat Nation les compétences régaliennes et quelques compétences clés comme l’éducation nationale. Mes chers collègues, la crise ivoirienne n’aurait pas la violence que nous lui connaissons, si les dioulas étaient sûrs, quoiqu’il arrive, d’être les décideurs à Ferkéssédougou sur les problèmes quotidiens et si les baoulés avaient la même assurance pour Yamoussoukro ? Et puis, n’est pas le moment pour nous, vieux jacobins, de procéder à cette révision de nos schémas jacobins à l’heure même que nous modifions profondément notre constitution pour garantir le caractère décentralisé de notre République ?
L’important est enfin que les pays africains arrivent à avoir un système stable politiquement, ouvert à l’étranger, d’abord l’étranger africain. Souvenons-nous que les difficultés de la Côte-d’Ivoire ont commencé, pour une part, avec des conflits avec les Maliens, les Burkinabés. Ce système politique doit ensuite être ouvert à l’étranger, par exemple aux Libanais, si présents dans les réseaux commerciaux de l’Afrique.
II - La nécessité, ensuite, de concentrer l’action de la France en Afrique en Afrique Occidentale et de passer progressivement le relais à l’union Européenne pour les pays du pourtour méditerranéen.
La France ne peut plus faire l’économie d’une politique très fortement différenciée selon les grandes régions de l’Afrique : il serait irréaliste et même incohérent de vouloir élaborer une politique de développement de tout le continent africain en général. Ce continent est immense. Adopter des dispositifs trop généraux d’aide à l’Afrique serait méconnaître à la fois la réalité des situations locales, nécessairement diverses, et faire fi des traditions historiques. En effet, il y a là une dimension historique : la responsabilité historique de la France envers le Maghreb, envers les anciens pays d’AOF et d’AEF ne s’applique guère pour les pays de la Corne de l’Afrique, de l’Afrique australe ou de l’Afrique centrale..
Quelle doit être notre politique envers le Maghreb ? La France et le Maghreb ont vécu depuis 1830 une histoire commune extrêmement forte, faite de joies et de drames majeurs. Il suffit un moment de penser aux anciens combattants d’Algérie, à la communauté Pieds-Noirs, à celle des harkis pour comprendre qu’il aura pendant longtemps encore une politique Française au Maghreb. Cela dit, L’UDF considère qu’à moyen terme, l’Union européenne est mieux qualifiée que la France pour mener l’essentiel de la politique économique, d’aide au développement, de contrôle de l’immigration à nos frontières avec les pays du Maghreb. Cette politique, en effet, doit être élaborée en relation avec le débat sur les frontières de l’Union européenne. Nous devons proposer aux pays du Maghreb, comme à tous ceux du pourtour méditerranéen allant de la Turquie au Maroc, un véritable statut de nation amie et privilégiée. Telle doit être la véritable réponse aux demandes plus au moins sous-jacentes d’adhésion à l’Union européenne du Maroc et d’autres pays mais également à la candidature très officielle de la Turquie. L’UDF refuse fortement la dilution du projet européen dans une fuite en avant sur cette question fondamentale de ses frontières. Nous refusons donc catégoriquement l’entrée d’un de ces pays dans l’Union européenne, mais nous devons leur proposer un partenariat généreux et des relations privilégiées.
Quant à l’Afrique francophone, la France y a, tout simplement une responsabilité écrasante : notre pays est le seul capable de présenter une politique de développement complète, à la fois sur le plan de la politique, de la défense, de la culture, de l’éducation, de la francophonie… La France doit prendre ici un engagement fort et durable. Elle doit y consacrer l’essentiel de ses forces. A titre d’exemple, Dominique de Villepin avait raison de répondre aux critiques parfois justes sur les accords de Marcoussis que si la France n’était pas intervenue fortement en Côte d’Ivoire, une catastrophe majeure serait déjà arrivée.
Le courage politique s’est enfin de reconnaître que nos moyens ne nous permettent pas d’être présent partout en Afrique et, plus précisément, de reconnaître que la France n’interviendra pas en tant que telle de manière significative, ni dans la Corne d’Afrique – sauf à Djibouti, ni en en Afrique centrale, ni en Afrique Australe (en dehors de Madagascar)
• III - L’urgence, enfin, de faire de l’évaluation permanente une ardente obligation dans le domaine des dispositifs d’aide au développement.
Il nous paraît essentiel – et cela doit commander toute notre politique d’aide au développement de l’Afrique - de revoir complètement nos mécanismes d’évaluation de nos dispositifs d’aide au développement.
Depuis près de quarante ans, la France déploie une aide multiple, parfois brouillonne, incohérente, contradictoire même, mais toujours motivée par de bons sentiments et un souci louable de « sauver l’Afrique ». Or, plus de trente pays africains sont plus pauvres aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1980. Il est donc nécessaire d’évaluer ce qui a été fait. De multiples politiques africaines ont été décidées, en France en particulier, mais aussi dans d’autres pays européens, en Angleterre notamment. Qu’est ce qui marche et qu’est ce qui ne marche pas ? et bien nous savons mal répondre à cette question de base ? Par exemple, il y a eu jusqu’à 40 000 Français en Côte-d’Ivoire, y compris des instituteurs, des professeurs…Quel bilan faisons- nous de cette présence française en Côte d’Ivoire Quels sont les résultats de l’action des ONG, des actions gouvernementales ? Quel est le meilleur système : la coopération d’Etat ou la coopération des ONG ? Quel est l’effet réel des actions menées par l’ONU, que ce soit à travers l’UNICEF, l’OMS, le FAO ? Sur toutes ces actions, il est nécessaire d’avoir des rapports d’évaluation lucides et pragmatiques, afin que les débats parlementaires et l’action gouvernementale puissent être réalistes et porteurs de solutions. Nous le savons tous – l’Afrique est un terre de passion, de générosité, mais aussi de gaspillages que nous devons traquer sans cesse….et cela passe par une véritable ascèse de l’évaluation.
Une fois ces principes posés, il devient possible de réfléchir à une politique de développement de l’Afrique. L’enjeu, aujourd’hui, c’est de placer l’Afrique sur la voie d’une croissance durable, de mettre en place un plan de développement complet et intégré qui traite les problématiques sociale, économique et politique d’une manière cohérente et équilibrée.
Il s’agit aussi d’accélérer l’intégration du continent africain dans l’économie mondiale, d’élaborer un cadre stratégique pour un nouveau partenariat avec le reste du monde.
Il s’agit enfin d’adresser un appel au reste du monde pour établir un partenariat avec l’Afrique dans son propre développement en se fondant sur son propre échéancier et son propre programme d’action.
Tout plan de développement de l’Afrique doit se fixer trois objectifs, simples et prioritaires : favoriser une croissance accélérée et un développement durable, éradiquer la pauvreté généralisée et profonde, stopper la marginalisation de l’Afrique dans le processus de mondialisation.
Plusieurs conditions minimales sont nécessaires pour réaliser le développement durable : d’abord, des initiatives en matière de paix, de sécurité, de démocratie et de bonne gouvernance politique ; ensuite, des initiatives économiques et de bonne gouvernance des entreprises ; enfin, des approches sous-régionales et régionales au développement.
Ensuite, il faut prendre des mesures dans quelques secteurs en priorité : d’abord, combler le retard dans le domaine des infrastructures, combler l’écart numérique, investir dans les technologies de l’information et des communications, développer l’énergie, les transports, l’eau et l’assainissement. Ensuite, mettre en valeur les ressources humaines : réduire la pauvreté, combler les disparités dans le domaine de l’éducation, inverser la tendance à la fuite des cerveaux, faire une ffort considérable en matière de santé. Enfin, développer l’agriculture, des initiatives pour l’environnement, la culture, la science et la technologie.
Enfin, les ressources doivent être mobilisées, par des initiatives concernant les flux de capitaux : l’accroissement de la mobilisation des ressources internes, l’allégement de la dette, l’amélioration de l’APD, l’apport de capitaux privés. En particulier, de multiples initiatives doivent améliorer l’accès aux marchés.
Les députés du groupe UDF entendent défendre plusieurs principes et objectifs : donner aux Africains les moyens de prendre en charge leur propre développement, faire en sorte que l’Afrique attire à la fois les investisseurs africains et étrangers, libérer le vaste potentiel économique du continent, promouvoir l’intégration économique, sous-régionale et continentale… L’objectif est ici d’élaborer un nouveau partenariat avec les pays industrialisés et les organismes multilatéraux en se fondant sur des engagements, des obligations, des intérêts, des contributions et des avantages mutuels.
J’insisterai en particulier sur la croissance économique et les investissements.
Les principaux investisseurs africains ont tendance à investir dans des activités d'échanges commerciaux, puis à exporter leurs profits, ce qui sape la capacité de production. Selon la Banque mondiale, la fuite des capitaux compte pour près de 40 % de la richesse privée de l'Afrique.
Les investisseurs africains et étrangers se plaignent du coût élevé des affaires en Afrique, pointant du doigt la corruption, les formalités bureaucratiques, les transports, les communications et les coûts énergétiques, une faible productivité de la main-d'œuvre et les coûts liés à l'instabilité sociale et politique. En outre, l'Afrique se compose d'une série de petits marchés qui ne sont guère intégrés entre eux, ce qui rend d'autant plus difficile la distribution des produits ou l'approvisionnement en matières premières.
Nous considérons que les pays africains devraient s'intéresser davantage à l'économie mondiale et proposons quelques idées :
- créer un environnement macroéconomique stable qui favorise le secteur privé ;
- transformer l'environnement législatif et réglementaire afin de promouvoir le développement du secteur privé ;
- réduire le coût des affaires en Afrique ;
- diversifier l'économie des pays africains en encourageant l'investissement privé et en acquérant la technologie étrangère ;
- améliorer les infrastructures par l'entremise d'investissements privés ;
- élargir les marchés en intégrant les marchés régionaux.
Il revient également aux pays du G8 d'ouvrir leurs marchés aux produits africains et d'offrir une assistance technique afin que les pays africains puissent participer pleinement aux discussions commerciales internationales.
Tels sont les grands principes qui, selon nous, doivent encadrer toute politique de développement de l’Afrique .
Mais rien de tout cela ne se fera, si nous ne repensons pas notre manière de faire et d’être en Afrique. Nous avons donc osé quelques pistes nouvelles ce matin : d’abord, tirer les leçons de l’échec de l’Etat-nation en Afrique, parce qu’il est incompatible avec la réalité de base de l’Afrique, qui est l’ethnie ; ensuite, élaborer une politique différenciée pour chaque grande région de l’Afrique, en distinguant les pays du Maghreb, où il revient à l’Union européenne d’élaborer un statut de nation amie, privilégiée, et l’Afrique francophone, où notre pays a un devoir d’action ; enfin, évaluer très sévèrement et lucidement les politiques africaines qui ont été menées jusqu’ici.
L’Afrique n’est pas seulement une exigence morale pour la France. Elle est source d’avenir Français. Tous les amoureux de l’Afrique le savent. Nous pouvons beaucoup recevoir d’elle, de sa formidable vitalité et joie de vivre. C’est déjà vrai dans les domaines sportifs et culturels. Cela sera vrai un jour plus proche que nous pensons en matière d’économie et de politique. C’est avec cet espoir et cette certitude que nous devons ne pas hésiter à bousculer notre politique Africaine actuelle.
Je vous remercie.
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