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21/09/06 - Discours de François Bayrou Journées parlementaires de l'UDF - Arras

Publication : 30/09/2006  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis


Mes chers amis,

Au terme de ces Journées parlementaires qui réunissent députés, sénateurs et parlementaires européens de notre famille politique de l'UDF, il me revient de conclure et de jeter un regard sur notre avenir commun : notre avenir de femmes et d’hommes engagés, notre avenir comme nation.

Mais tout d’abord, je veux remercier de leur accueil les Arrageois et Arrageoises représentés ici par leur maire, Jean-Marie Vanlerenberghe, et leurs élus ; j’aurais pu dire les Arrageois et les Arrageoises de tous les temps parce que le patrimoine architectural de cette ville est extraordinaire. Et en même temps la chaleur humaine qui rayonne et que l’on ressent chez les élus est, elle aussi, une chose extrêmement attachante et extrêmement enracinée ; je le sais depuis que je fréquente cette ville, mais je voulais le dire au nom des parlementaires que vous avez accueillis.

Cela me permet de saluer l'ensemble des élus d'Arras qui sont là, des élus d'aujourd'hui et des élus d'hier. C'est pourquoi j'adresse un petit mot particulier à Charles Gheerbrandt, ancien député d'Arras, ancien président de la chambre de commerce d'Arras, avec qui nous avons des souvenirs profonds et anciens et que je suis heureux de saluer.

Ces deux journées - un peu raccourcies en raison du débat sur Gaz de France – ont été pour moi marquées d'un climat exceptionnel. Je le dis aux élus et je le dis à ceux dont c'est le métier de nous observer et que je salue aussi : nous avons eu deux journées d'une très profonde entente et d'une très grande détermination.

Chacun d'entre nous a le souvenir de journées parlementaires antérieures où nous pouvions avoir des débats un peu agités en notre sein, parce que c'est vrai que la stratégie qui s'imposait à nous et que nous devions choisir n'était pas des plus faciles à adopter. Nous avons connu très souvent des nuances fortes qui s'exprimaient, non pas sur le but à atteindre, mais sur les moyens que nous choisissions.

Ce qui m'a frappé pendant ces journées et qui m'a ému, c'est le nombre de parlementaires qui ont tenu à dire qu'ils se reconnaissent dans la situation que nous avons construite pour notre famille politique et dans l'ambition qui est la nôtre de proposer au pays un autre choix que celui que l'on voudrait lui faire adopter, de manière préfabriquée, prédéterminée et prédigérée, choix qui s'est illustré tout l'été sur les couvertures des magazines.
Le sentiment des parlementaires a reflété, je le crois, le sentiment du pays.

Michel Mercier a dit : « quelque chose est en train de naître ». Je partage ce sentiment. Quelque chose est en train de naître dans l'esprit et le coeur des Français, qui est la recherche d'un autre destin que celui qui paraît leur être promis sans qu'ils aient eux-mêmes choisi ce destin.

La fin d’un « monopole à deux »

Il y a vingt-cinq ans, un peu plus maintenant, il y a plus d’un quart de siècle que chaque élection a entraîné une alternance et que ces alternances se sont toujours faites entre le PS et le RPR devenu UMP.

C'est cela le cycle qui s'achève, le cycle Chirac-Mitterrand, PS-RPR, les amis de l'un et les amis de l'autre, les héritiers de l'un et les héritiers de l'autre.
Ce cycle a été marqué par une très grande stérilité pour notre pays. Je ne parle même pas des idées mauvaises, nuisibles, des erreurs de trajectoires, cela peut arriver, mais il y a une chose qui est extrêmement frappante, ces vingt-cinq ans d'alternance presque ininterrompue ont entraîné aussi vingt-cinq ans de : « je construis, je détruis ».

Toute loi mise en place a été - quand elle était d'importance - immédiatement annulée par la majorité suivante. Nous avons, là, une des raisons de cette espèce de stagnation française dans laquelle nous avons été plongés, et qui en réalité a empêché les réformes de long terme de se bâtir et de se réaliser.

Aller-retour perpétuel entre l'UMP et le PS, « monopole à deux » de ces deux formations politiques respectables. Je ne suis pas en train d'expliquer que l'UMP et le PS sont illégitimes, ce qui l'est, c'est leur monopole sur la politique française. Ils n'ont, ni les uns ni les autres, gagné ce monopole devant une assemblée de citoyens. Et pardonnez-moi de le dire, mais leurs résultats ne méritent pas non plus qu'on leur garantisse ce monopole à vie.

Le message de l'UDF, le premier message de l'UDF dans la vie politique française, c’est que le pluralisme, c'est mieux que le monopole.

Pourquoi ? D'abord parce que nous sommes citoyens, formés, intelligents, nous sommes un peuple qui a un des plus hauts niveaux de formation de la planète malgré les difficultés qu'il rencontre. Et aussi parce que ce peuple intelligent sait depuis longtemps que la vie n'est pas en noir et blanc, qu'il y a dans la vie de très grandes nuances de couleur, d'explications, de compréhensions et que l'on ne doit pas réduire ces nuances à un antagonisme caricatural. C'est la première raison.

Il y a une deuxième raison plus importante, c'est que si vous n'avez en face de vous que deux appareils, deux candidats, alors ce ne sont pas les citoyens qui ont le pouvoir, c'est l'appareil du parti politique qui choisit le candidat en question. Le vrai pouvoir est entre les mains de ceux qui décident qui va être le candidat et pas entre les mains des citoyens.

Or, comme le général de Gaulle l'a voulu et à mon sens à juste titre, l'élection présidentielle remet aux citoyens le choix des deux candidats du deuxième tour. Et choisissant les deux candidats du deuxième tour, les citoyens dessinent un paysage politique nouveau et bâtissent la future majorité présidentielle et la nouvelle opposition.

Du profil du deuxième tour, on doit déduire ce que sera l'avenir de la vie politique du pays. Voici pourquoi, le 22 avril 2002 au matin, étant le premier rendez-vous de Jacques Chirac comme candidat concurrent contre lui (nous avions pris rendez-vous à l'avance, il n'imaginait pas, et moi non plus, le résultat de ce tour…), je lui ai dit : « Vous allez être élu avec plus de 80 % des voix. Il faut donc que vous teniez compte de ces millions de Français qui vont voter pour vous, des différences de sensibilité qu'ils expriment, en formant un gouvernement dans lequel aura sa place la palette des sensibilités qui va vous apporter son soutien ».

Sous la Ve République, la majorité future se forge après le premier tour : entre le premier et le deuxième tour.

La majorité qui a élu Jacques Chirac était une majorité républicaine. Son point commun - son programme commun si j'ose dire - est qu'elle était républicaine. Et en tant que majorité républicaine, elle avait des attentes de République, de démocratie et d'autorité. Les attentes communes que les adversaires d’hier avaient, surmontant leurs divergences en allant voter pour Jacques Chirac, on aurait dû les prendre en compte.

Il y a longtemps que je pense que les clivages du passé sont des clivages dépassés.

Et que si l'on y réfléchit bien, il y a, dans une large majorité du peuple français, des attentes semblables que la nouvelle politique qui sera construite à partir de 2007 doit prendre en charge.

Je voudrais vous dire quelques mots de ces attentes. Non pas comme un programme - on a eu beaucoup de mesures, de programmes, et encore à l'instant un certain nombre d'entre vous les ont exprimées… Nous aurons, cet automne en particulier (le 12 novembre) et en janvier, avec le projet présidentiel, l’occasion de revenir aux dispositions, aux mesures, aux choix législatifs qui seront les nôtres.

Mais je voudrais vous parler de ce que je ressens des interrogations de la France aujourd'hui. Ces interrogations, je vous conjure de le croire, dépassent de beaucoup les étiquettes des partis.

Je vais vous dire comment je ressens la France aujourd'hui, quelles sont les interrogations qui sont si lourdes devant elle, devant notre pays.
Je m'arrête un instant à notre pays. Ce que nous allons vivre, c'est un grand choix national. Je le dis en sachant ce que je sais, ce que je crois, ce que nous croyons du destin européen qui est notre charge et notre besoin.

Cependant, aujourd'hui, la question de la France est une question nationale. C'est une question que personne n'exprime mais qui va, je le vois, commander le choix des citoyens français.

Qu'est-ce que c'est que la France ? Qu'est-ce que nous, Français, nous portons ?

La nation, est-ce une forme dépassée, ou bien est-ce au contraire quelque chose de très riche, de très fort et de très grand pour l'avenir ?

Je crois, moi, que c'est très important. La nation, c'est la communauté au sein de laquelle il est légitime de décider, ensemble, d’un destin commun. On peut le faire parce qu'on a la même histoire, que l'on parle la même langue, et que l'on a les mêmes valeurs.

C'est précisément nous, parce que nous sommes européens, qui pouvons légitimement dire : pour nous, la nation c'est très important.


Ce qui mûrit au sein du peuple français, c'est un choix national . Ce choix est me semble-t-il, contraint par deux grandes questions, et deux seulement.
Première de ces questions, question lourde, question principale : est-ce que le monde du pouvoir est en relation avec les Français ? Est-ce que les citoyens se reconnaissent dans ce qui est projeté sur leur écran de télévision ? Est-ce qu’ils y voient, comme citoyens, le reflet de leurs interrogations, leurs volontés incarnées ? Ont-ils le sentiment au fond, comme le dit la Constitution, que la République, c’est pour le peuple et par le peuple ?

Je vous confie mon sentiment, je crois que la rupture, la fracture entre les citoyens et les pouvoirs est aussi grave, sinon plus qu'elle ne l'a jamais été. Je pense que l'immense majorité des Français ne reconnaît pas son pays dans ce que les gouvernants lui en disent. Tous les jours, nous en avons des confirmations.

Hier, est apparue dans les journaux la note du préfet de Seine-Saint-Denis, la plus haute autorité représentant l'Etat dans le département, sur la réalité de la sécurité en Seine-Saint-Denis. C'est une note que je vous invite à lire parce qu'elle dit beaucoup du malaise français, du malaise de 2002, du malaise de 2005, du malaise de la dissolution. On peut trouver des événements successifs qui traduisent le même malaise.

Les Français se sentent plus éloignés du pouvoir qu'il ne l'ont jamais été.

Ce que dit le préfet de Seine-Saint-Denis dans cette note, c’est très simple et d'une certaine manière accablant, cette note dit : ce que nous racontons aux gens sur les progrès en matière de sécurité, n'est pas vrai. L'insécurité, dit le préfet de Seine-Saint-Denis, a augmenté dans ce département qui est un des plus observés de France. Les violences ont augmenté de près de 10 %, les vols avec violence, les incidents très lourds ont augmenté de plusieurs dizaines de pour cent au fil du temps. On a dit qu'il y avait davantage de policiers, ce n'est pas vrai, il y a, dit-il, moins de policiers. On a dit que l'on mettrait des responsables expérimentés, ce n'est pas vrai. On ne met que des responsables jeunes et qui sortent de l'école. Donc il y a une irruption de la réalité qui surgit comme cela, au sein du discours habituel selon lequel tout va mieux et tout va beaucoup mieux que cela n'allait en 2002.

Je ne dis pas cela pour laisser entendre qu'il est facile d'être Ministre de l'Intérieur. C'est même une des responsabilités lourdes de la République. Comme pour l’éducation nationale, ce sont des responsabilités à l'égard desquelles les Français sont à juste titre très exigeants et dont les moyens d'action sont toujours plus limités qu'on ne le croit.

Mais ce que je veux dire, c'est qu'entre les discours officiels et la note accablante du préfet, les Français sont plus près du constat accablant du préfet que des discours officiels. Les Français ne croient pas quand on leur raconte que tout va bien pendant qu’ils constatent que, dans leur vie, rien ne change.

Cette distance avec le pouvoir, je pourrais en citer des exemples multiples... Je vais en citer un : on nous raconte tous les jours qu'il y a en France moins de 2 millions de chômeurs, or tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Il faut avoir à l'esprit cette idée que l'on ne décompte qu'une certaine partie des chômeurs : les RMIstes par exemple qui sont, si j'ose dire, des chômeurs « maximaux », ne sont pas comptés dans les statistiques du chômage, et les ASS ne sont pas non plus décomptées dans les statistiques du chômage. Donc ce n’est pas 2 mais 4 millions de chômeurs que nous avons, et à un pays qui a 4 millions de chômeurs, il ne faut pas lui raconter que le chômage baisse.

Tant mieux s'il y a amélioration des chiffres due en grande partie à la démographie, mais cela n'a pas changé la situation sociale et réelle du pays, des familles, qui sont pour un grand nombre d'entre elles en voie d'exclusion. Il y a une distance très grande entre « le pays réel et le pays officiel » pour reprendre une citation d'un auteur - dont par ailleurs je n'approuve pas l'orientation. Il y a une distinction très importante entre les deux.

Cette fracture n'est pas réparée, elle s'est au contraire creusée jusqu'à être un gouffre. C'est la première question française.

Est-ce qu’on peut refaire un pays ensemble ? Pouvons nous rebâtir notre pays ensemble ? Si l'on ne sait pas répondre à cette question, dans la période qui précède l'élection présidentielle, si l'on se contente de communication, les mêmes déceptions suivront.

Pour moi, c'est la première interrogation. Je ne cesserai pas de parler de ce sujet. Le jour où les Français reconnaîtront une démocratie dans laquelle leur voix peut être entendue, à ce moment-là tout changera.

Et pour que leur voix soit entendue, il faut que l'on change nos institutions. Des parlementaires travaillent actuellement à proposer un projet de texte de Constitution pour la VIe République, qui sera présenté devant les Français dans les semaines qui viennent, avec des principes qui sont des principes de novation formidables, tous simples.

Par exemple : les Français ont un droit égal à être représentés au Parlement, quoi qu'ils pensent. Même si ce qu'ils pensent ne nous plaît pas. Je me suis battu contre le Front national toute ma vie, mais je pense que le Front national devrait être à l'Assemblée Nationale, puisqu'il a fait 15 % des voix aux dernières élections.

Il faut avoir le courage de regarder en face la réalité des opinions ou des pulsions du pays si l'on veut que les citoyens considèrent que ce qui se passe à l'Assemblée Nationale est vrai, que ce n’est plus un théâtre d'ombres comme c'est le cas aujourd'hui. Je suis pour un changement institutionnel, on aura beaucoup l'occasion d'en parler.

C’est une grave question que celle du gouffre entre le pays réel et le pays officiel. Si l'on ne parle pas du gouffre, on aura des surprises, je vous le promets.

Vous n'imaginez pas l'écho qu’a recueilli par exemple sur Internet la polémique que j'ai fait naître à propos de la trop grande proximité entre les médias et les pouvoirs ! Des centaines de courriers et des milliers de contributions dans les forums sur Internet où s'est déplacée une partie de la démocratie française, notamment parmi les jeunes, ce qui va tout changer pour l'élection qui vient, du moins je le crois.

C'était donc la première question : est-ce que la démocratie nous appartient ou est-ce qu'elle appartient aux puissants ? Est-ce que nous, peuple français, nous avons notre mot à dire ?

La deuxième question, ce n’est pas celle d’une fracture mais celle d’un choc.
Il y a deux mouvements très profonds qui sont aujourd'hui en confrontation, qui forment un tremblement de terre.

Le premier de ces mouvements est la vague immense de la mondialisation : concentration des entreprises, délocalisation des entreprises, effet de gigantisme … Où sont les dirigeants ? On n'en sait rien. Et à quelles lois obéissent-ils ? Il est très difficile de le dire. Et d'ailleurs, si vous votez une loi qui ne leur plaît pas, et bien ils déplacent le siège social pour se trouver à un endroit ou ce serait plus plaisant pour eux, juridiquement, fiscalement.

Et avec en même temps, l'extraordinaire énergie déployée par ce mouvement de mondialisation.

L'autre mouvement est le projet républicain français . Projet qui a été conçu et pensé dans le cadre de nos frontières hexagonales, avec nos valeurs nationales, avec le postulat que les gouvernants républicains français auraient la faculté de voter des lois républicaines françaises qui régiraient l'économie française, le travail…

Ces deux mouvements-là, le modèle républicain français qui est en chacun d'entre nous, la mondialisation qui concerne chacun d'entre nous, sont en confrontation.

Il faut exprimer cette confrontation pour que les Français comprennent, reconnaissent les mouvements intérieurs qui les animent. Il faut que nous proposions dans notre projet, que ces deux mouvements, non pas s'affrontent et s'annihilent, mais se conjuguent pour donner un nouveau modèle à la France.

Je crois que si nous savons le faire, ce nouveau modèle ne concernera pas seulement la France. S'il y a un moment où cette ambition française de parler au monde, en tout cas de parler à l'Europe et avec l'Europe, s'il y a un moment où cette ambition française a eu tout son poids, c'est maintenant. Je sors un peu du débat national, mais je crois que cette question n'est pas seulement pour 63 millions de citoyens français - c'est une immense question pour eux et quiconque voudra abandonner le modèle républicain français aura de lourdes surprises selon moi - mais c'est une question pour la planète.

Y a-t-il des valeurs au-dessus de l'économie ? Ou est-ce que désormais les valeurs s'arrêtent là où l'économie commence ? C'est une question pour les peuples en voie de développement, une question pour beaucoup de civilisations qui viennent de loin, une question pour les familles, une question pour l'éducation, une question pour la culture.

Je crois que nous pouvons réaliser le modèle républicain français du XXIe siècle dans un projet national, humaniste, qui soit un des moyens pour que l'humanité trouve un nouvel espoir.

Je suis sûr de ce choc : mondialisation et modèle républicain français. La question présidentielle va se jouer sur cette deuxième question-là. C'est là que nous devons placer notre réflexion.

Je voudrais ajouter une troisième question, qui est peut-être déplacée en politique, mais je vais la dire quand même : il y a, au-dessus de nos décisions et de nos actions, la question d'une exigence morale .

Je vais citer deux exemples d'atteintes à une exigence morale élémentaire.

La dette enfreint une exigence morale élémentaire. On ne fait pas payer par ses enfants sa vie de tous les jours. On peut partager avec eux des équipements, on peut bâtir une maison en disant que, peut-être, ils en prendront une part de la charge, c'est de l'investissement ; mais on ne fait pas payer à ses enfants la vie de tous les jours, l'achat de la voiture, de la batterie de cuisine, etc… Non, tout cela, on ne le fait pas payer aux enfants, on l'achète peut-être un jour pour le transmettre aux enfants, mais on ne fait pas l'inverse.

Ce que nous avons laissé faire en matière de climat est aussi une atteinte à une exigence morale élémentaire. Songez, c'est vertigineux quand on y pense, que notre génération aura brûlé en un peu plus d'un siècle tout le carbone fossile que la planète Terre avait produit depuis son origine. Des milliards d'années brûlées en un seul siècle - c'est cela que nous avons fait.

Nous le ramassons dans la figure, parce qu'en brûlant tout cela, naturellement, nous avons porté une atteinte profonde au climat de la planète. Mais il est impossible de corriger cette atteinte profonde sur le court terme. Quelque décision que nous prenions, le climat est déjà changé pour les cinquante ans qui viennent. Il y a des choses engagées qui sont extrêmement lourdes.

Cela veut dire naturellement que, si vraiment cette question nous intéresse, il faut que nous soyons courageux, nous Français, mais que cela ne peut pas suffire. Nos décisions en termes d'isolation, de biocarburant, d'alternative au pétrole, d'abaissement des normes pour les voitures, en termes de ferroutage - et nous sommes très loin d'avoir fait les bons choix - cela ne peut pas suffire parce que, quand bien même les Français seraient les plus vertueux de la planète, la météorologie fait que ce n'est pas l'air français que nous respirons, c'est l'air « des autres ».

Il faut bâtir une gouvernance européenne et mondiale capable de dire à toute l'humanité que l'on est en train de massacrer la petite planète sur laquelle on vit.
Ce n'est pas une petite chose.

Cela rejoint les questions qu’Agnès Rochefort, en particulier, a posées ce matin sur la famille, l'éducation, l'enfant, la façon dont en France on transmet le sens des limites qui seules permettent à un être humain de se construire.

Voilà les sujets que nous avons à affronter.

Une équipe aux idées novatrices

Il y a, pour moi, une certitude ; c'est que nous avons l'équipe pour le faire. Ce n'est pas rien que d'avoir une équipe pour cela ! Chacun dans leur domaine de compétence, ceux qui sont à la tribune et ceux qui sont dans la salle, ont la capacité, l'autorité, le rayonnement pour se faire entendre sur ces grands sujets.

Pour moi, c'est infiniment précieux. L'équipe formidable que nous formons ensemble, nous l'avons construite, il faut maintenant que les Français la découvrent : ce sera une part de mes responsabilités que de la faire découvrir.

Deuxièmement, puisque nous avons l'équipe, puisque nous avons les hommes, il faut aussi que nous fassions apparaître, en termes très simples, les idées originales qui sont les nôtres, pour que les années qui viennent ne ressemblent pas aux années qui s'achèvent.

Je veux simplement énoncer très rapidement deux ou trois de ces idées-là que, pour l'instant, les Français n'ont pas encore tout à fait entendu, encore que nous les ayons serinées ou déclinées chaque fois que nécessaire…

Je voudrais évoquer le principe d'activité universelle .

Valérie LETARD ce matin a fait un très brillant exposé sur ce qu'était la vie de ces femmes et de ces hommes - ce sont plus souvent des femmes - qui n'ont que les minima sociaux et qui ne peuvent pas reprendre du travail parce que, si elles reprennent du travail, elles perdent les avantages liés aux minima sociaux.
C'est une sorte de trappe à pauvreté et à exclusion, elles sont comme prises au piège.

Nous, nous proposons d’inverser cette logique : il ne devrait pas - sauf incapacité qu'il faut reconnaître - y avoir de minima sociaux qui ne s'accompagnent pas d'une activité dans la société.

Jean-Christophe LAGARDE nous a expliqué qu'il y a, dans sa ville de Drancy, des immeubles entiers de RMIstes, alors que la ville paie des entreprises extérieures pour venir nettoyer les parties communes des immeubles et que les RMIstes paient les entreprises par les charges qui s'ajoutent à leur loyer. C’est pas dingue, ce truc ?

L'idée que l'on est quitte avec une femme, un homme, une famille, quand on lui a fait un chèque, cette idée n'est pas la nôtre. Nous pensons que le RMI, c'est mieux que rien, mais le RMI sans rien d'autre, c'est de l'exclusion.

Donc nous proposons, dans cette campagne présidentielle un principe nouveau qui s'applique à toute la société, qui va exiger l'engagement et le relais de la plus petite des collectivités locales de France, et des comités de quartiers, et des associations. Principe qui consiste à dire : il y a tant de tâches qui ne sont pas assumées dans la société française et il y a tant de gens qui n'ont aucune tâche à assumer : nous allons rapprocher les uns des autres.

Ce principe d'activité universelle, personne, jusqu'à maintenant, ne l'a copié. Je pense que cela peut parfaitement venir ! Au moins, s'il vous plaît, battons-nous pour qu'une telle idée, qui est progressiste au sens propre du terme, une telle idée avance et triomphe.

Cela peut changer la vie des gens. Parce que l'exclusion, elle, les détruit en peu de mois. Et il faut, après, beaucoup de temps pour en revenir.

L'activité universelle, c'est pour les adultes.

Le service civique , c'est pour les jeunes.

Je me réjouis que cette idée ait été reprise, y compris par ceux - successivement le PS puis l'UMP - qui disaient qu'elle était totalement impossible et même réactionnaire. J'ai entendu cela en 2001, puisque c'est en 2001 que nous avons proposé cette idée, lors d'une grande manifestation qui - les plus anciens s'en souviendront - s'appelait "la France humaine", quand nous avons choisi pour la pré-campagne le slogan de "la France humaine".

Comme Pierre Albertini l'a dit, à très juste titre, ce matin, la société française telle qu'elle évolue est faite de ghettos. Des quartiers se séparent, des îles se séparent et dérivent de plus en plus loin les unes les autres.

Les riches avec les riches, les pauvres avec les pauvres. Pour les communautés religieuses c'est pareil. Chacun chez soi, chacun sa loi, chacun sa coutume, chacun ses moeurs, chacun ses mépris.

Ceci est pour nous contraire aux principes républicains. C'est pour cela qu'il faut un lieu de brassage.

C'est pour cela qu'il faut un moment dans la vie où l'on apprend que les autres sont différents, où on les rencontre dans leur vie. Et on découvre quelque chose qui est, pour moi, fondamental : que la société c'est : « je reçois, c'est vrai, mais aussi je donne », « je suis aidé, mais je m'engage ».

Cette idée, certains disent qu'elle coûte cher, c'est sûrement vrai. Mais elle coûte moins cher que les dégâts qui sont aujourd'hui ceux de la ghettoïsation de la société française. Et elle coûte moins cher que de voir un très grand nombre d'activités totalement abandonnées, excusez-moi de le dire, l'insécurité dans les trains de banlieues changerait bigrement s'il y avait là des garçons et des filles avec des talkie-walkies...

Et l'école, les activités dans les associations, tout cela relève d'un moment d'engagement dans la vie qui changera considérablement de l'enfermement dans son propre ghetto.

Nous défendons ce deuxième principe de service civique, de nature à changer complètement la société française. Je me réjouis de voir tant de bonnes volontés vouloir, désormais, l'édifier !


La question des charges sociales .

Nous avons un grand problème avec le poids des charges sociales, pour deux raisons que tous les artisans connaissent bien, et tous les salariés aussi :
Première raison : cela coûte si cher un salaire, avec les charges. On vous raconte que l'on a supprimé les charges. Évidemment cela n'est pas vrai, il suffit de regarder les feuilles de paye, on a annoncé la suppression d’une toute petite partie des charges : 2 %. Cela coûte très cher et surtout les toutes petites entreprises ne peuvent pas créer les emplois dont elles auraient besoin.

Cela et les tracasseries administratives font que beaucoup renoncent. Savez-vous que beaucoup d'artisans suppriment tout simplement les emplois qu'ils avaient, pour rester tout seuls ? Ils disent : on est plus tranquille tout seul. Ceci ne peut pas aller.

On a un problème avec les charges parce que premièrement cela coûte trop cher de créer de l'emploi, et deuxièmement le salaire est trop bas. Il y a tellement de charges que ce qui revient au salarié, c'est très peu. On a ainsi un problème de niveau de vie.

Nous cherchons tous autour de l'idée de trouver une autre base que le travail pour les charges sociales. Vous m'avez entendu cent fois raconter l'histoire de l'impôt sur les portes et les fenêtres ? On a inventé au XVIIIe siècle un impôt génial, facile à contrôler, dont il est facile aussi de fixer le montant, avec lequel on ne peut pas tricher, c'était l'impôt sur les portes et les fenêtres. Il suffisait que l'inspecteur du fisc passe dans la rue, qu’il compte le nombre de vos fenêtres et vos portes, et c'était réglé ! Il est en effet très difficile de dissimuler les portes et les fenêtres, et c'était une mesure juste parce que les pauvres en ont moins que les riches. C'était formidable - surtout au début.

Au bout de cinquante ans, on s'est aperçu que les gens muraient les portes et les fenêtres. C'est une grande loi fiscale : quand on choisit une base unique pour un impôt, la base a tendance à disparaître ! C'est comme cela pour le travail.

Seulement, il n'est pas facile de trouver une autre base pour les charges sociales que la base actuelle.

Nous avons évoqué pourtant un grand nombre de pistes. Jean ARTHUIS défend la TVA sociale. On va voir ce que cela donne en Allemagne, parce qu'ils ont fait un petit pas dans cette direction. D'autres défendent la CSG. D'autres ont pensé qu'il fallait viser la valeur ajoutée des entreprises : que l'on ne taxe plus l'entreprise sur le nombre d'emplois, mais sur ce qu'elle gagne ou ce qu'elle ne gagne pas. J’ai même évoqué une taxe sur les mouvements financiers. Et il y a une idée que nous avons avancée : un plan de long terme sur une fiscalité environnementale.

Peut-être faut-il un petit peu de tout cela. Mais il y a une idée d'application immédiate que nous sommes les seuls à avancer.

Pour vérifier si, oui ou non, ce sont les charges qui pèsent sur le travail et le salaire, il y a un moyen de faire très simple, c'est que l'on donne à chaque entreprise la possibilité de créer un tout petit nombre d'emplois sans charges. Pour toutes les entreprises, le même petit nombre d'emplois : la proposition que j'avais faite, c'est deux emplois sans charges, garantis pendant cinq ans, parole de l'Etat.

Cela ne s'adresse pas à un public particulier, ni à un âge particulier, ni encore à un niveau de formation ou de salaire particulier, c'est pour tout le monde, haut ou bas de la pyramide. On va bien voir si, en effet, il y a dans la société française une capacité de création d'emplois - je suis persuadé qu'elle existe.
C'est le début d'une politique de déplacement des charges sociales, parce que ces charges-là devront être assumées par une compensation qui ne sera pas sur le travail, mais sur autre chose.

C'est en direction de la toute petite entreprise, bien entendu, mais c'est tout d'un coup un ballon d'oxygène qui peut commencer au mois de juin 2007, et qui permettra aux plus petites entreprises, de réaliser un certain nombre de leur potentiel, j'allais dire de leurs rêves, d'augmenter leur activité, d'améliorer leur performance, deux emplois nouveaux sans charges par entreprise.

Cette idée-là pour l'instant n'a pas été reprise. Profitez-en, avant que l'immense concert des vocations au décalque, auquel on assiste, ne fasse son oeuvre.

Voilà, pour moi, le devoir d'innovation que nous avons : identifier les problèmes de la société française, énoncer les questions qui se posent à elle.


Je m'arrêterai sur un certain nombre de questions qui sont des questions de femmes et d'hommes, des questions de la vie de tous les jours. Je veux en citer trois, en commençant par les femmes.

Cette campagne, nous avons l'intention de la centrer autour de la condition féminine . De la condition des femmes, de leur vie, et notamment de cette contrainte sur leur vie que représente le fait d'avoir, très souvent, deux vies en même temps.

Vie de travail et responsabilité de famille. Parce que même si cela va mieux, même si c'est mieux équilibré, c'est tout de même surtout les femmes qui portent une grande part de la responsabilité de la famille.

Nous voulons en parler avec elles, du travail précaire, des CDD, des temps de travail à 20 heures, des emplois du temps que cela représente, et nous voulons en parler aussi simplement qu’elles le font dans leur propre vie.

C'est pour nous un très grand enjeu que l'équilibre à trouver autour de la condition de la femme. Salaire plus bas d'un tiers que le salaire des hommes. Exigences plus lourdes, fragilité qu'elles ressentent parce qu'elles se retrouvent souvent seules, et que tout ceci est lourd à porter.

J'en cite un deuxième : la banlieue telle qu'elle évolue aujourd'hui. J'en ai parlé avec les maires de banlieue : je considère qu'une allumette suffirait aujourd'hui pour mettre le feu. Que la situation n'a pas changé, que les réponses promises - et comment pouvait-on faire autrement - n'ont pas suffi.

Ce qui me frappe, quand je regarde la banlieue, c'est que cette question est très étroitement liée à une autre : on trouve beaucoup l'Etat en France là où ça va bien ; on ne trouve jamais l'Etat là où ça va mal, jamais.

La présence de l'Etat, en France, est exclusivement réservée aux endroits où ça va bien : les centres-villes, les capitales, les quartiers des ministères. À la fois, dans le monde rural lointain et dans les banlieues, l'Etat est totalement absent.

Je propose d'inverser ce mouvement. Je pense qu'il faut alléger l'Etat là où ça va bien, et qu'il faut implanter l'Etat là où ça va mal.


Rétablir l’école de la réussite et de l’excellence

C’est la même logique pour la carte scolaire. La suppression de la carte scolaire signifierait que, dans les établissements difficiles, ne resteraient que ceux qui n'ont pas les moyens ou l'imagination de partir. On institutionnalise les ghettos.

Ce n'est pas que je sois adversaire d'une souplesse - créons les souplesses nécessaires, expérimentons même si nous le voulons - mais là encore, je propose le mouvement inverse : pourquoi veut-on partir des établissements scolaires en crise ? Pour deux raisons : premièrement parce que ce sont des établissements où la paix scolaire, le calme élémentaire, la discipline n'existent plus, en tout cas c'est ce que les parents pensent ; et pour une deuxième raison, parce que l'on n'y réussit pas.

Je pense qu'il faut deux mouvements strictement inverses : d’abord, prenons l'engagement d'imposer le calme, le respect réciproque et l'ordre au sein de ces établissements ; en même temps, rebâtissons des parcours d'excellence.

Que l'excellence, le plus haut niveau d'exigence possible, ne soit pas seulement pour le lycée du centre-ville, mais soit aussi pour les établissements en situation difficile. Ayons-là des parcours d'excellence !

J'ai approuvé le Ministre de l'Éducation lorsqu'il a dit qu'il était en désaccord avec Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sur la carte scolaire. Mais je me suis interrogé quand il a ajouté - lui ou ses collaborateurs - que de toute façon la question ne se posait plus puisque les « mentions très bien » avaient désormais la faculté d'aller dans les établissements de centre-ville.

C'est exactement le contraire qu'il faut faire. Je veux qu'il y ait des parcours de « mentions très bien » dans les établissements dits défavorisés, leur offrir les mêmes options et les mêmes chances, quitte - je vais prononcer une phrase un peu problématique qui sera sujet de débat- à réfléchir à des parcours de sélection à l'intérieur de ces établissements pour que l'excellence y soit reconnue et consacrée.

Voyez-vous, ce qui faisait la fierté des écoles de la IIIe République, c'était la réussite au concours des bourses. Il y a eu un temps où il y avait un concours pour les bourses les plus élevées. Les écoles des quartiers étaient portées par la fierté lorsqu'elles avaient des résultats remarquables à ce genre de concours.

Je pense qu'il faut réfléchir à consacrer l'excellence pour qu'on la voie, qu'on la montre et qu'on la soutienne. Et que l'excellence ne soit pas pour ceux qui s'en vont, mais qu’elle soit pour ceux qui restent.


C’est cela le modèle républicain français, dont je crois à la pertinence, dont je crois à l'actualité et dont je crois qu'il est attendu par les Français pour leur avenir.

Je n'ai pas envie d'une société de ghettos. Je n'ai pas envie d'une société qui renonce. Je n'ai pas envie d'une société où les moins favorisés sont entre eux et où les plus favorisés ne sortent pas de leur cercle de privilèges.

Je veux d'une société où il ne soit pas un vain de penser que l’égalité, cela existe, que la fraternité, cela existe et que la liberté a tout son poids aussi.

C'est un projet pour la France !

Il importe que nous posions bien les questions, que nous comprenions ce qui se passe. Il importe que nous ayons l'équipe pour que les Français voient un mouvement en marche. Il importe que nous ayons des réponses novatrices. Il importe que nous ayons des convictions et du coeur.

Et avec cela, la France va trouver la surprise qu'elle cherche.

Je vous remercie.

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