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21/03/06 - Explication du vote au nom du Groupe UDF sur le Projet de loi Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (N° 1206)

Publication : 21/03/2006  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mes Chers collègues,

La rencontre entre la création artistique et les nouvelles technologies de l'information est un choc majeur. Ce choc présente à l'évidence des dangers pour le monde de la création, dangers incarnés par la pratique de masse du téléchargement illégal.
Ce choc présente aussi des formidables perspectives. D'abord pour les créateurs eux-mêmes capables d'être en relation beaucoup plus facilement avec d'immenses publics et cela avec des coûts d'intermédiaire beaucoup plus faibles. Mais c'est aussi une formidable perspective démocratique internet permettant une diffusion à une échelle jamais envisagée et ceci à des prix sans cesse plus bas. La culture ayant souvent été un des privilèges d'élites réduites qui ne voient la révolution démocratique que permet l'arrivée d'internet comme média majeur de diffusion culturelle. L'UDF dans ce débat a dès le début eu deux objectifs politiques majeurs :
1. stimuler la création artistique et inventer pour cela un nouveau modèle de rémunération compatible avec internet.
2. permettre au plus grand nombre un accès aux trésors de la culture dans des conditions d'accessibilité, d'ergonomie et de modicité de prix jamais atteintes.
Pour cela ce texte de loi était une chance et nous, à l'UDF, avions en tête le modèle porté par le législateur européen.
Nous considérons que la consommation de la culture sur Internet doit devenir l'assiette principale de la rémunération des auteurs, d'où notre soutien aux plates-formes légales payantes. Elles restent très insuffisantes - trop peu ergonomiques, trop chères, leur catalogue est trop limité - mais c'est la direction à prendre. C'est pourquoi aussi nous soutenons les mesures de protection techniques, à condition qu'elles soient respectueuses des libertés privées.

Enfin, nous nous inscrivons dans la ligné de la Directive européenne en rappelant que son article 8 invite les États membres à mettre en place des sanctions « efficaces, dissuasives et proportionnées ».
Pourtant, à l'issue de ces débats nous ne pouvons pas cacher notre déception. D'abord sur la forme :
Il s'agissait d'un exercice de transposition d'une directive datant de 2001 avec pour date échéance au 31/12/2002.
Or, le Projet de loi n'a été déposé qu'en Décembre 2003 il ne sera promulgué qu'en 2006 soit un retard de plus de trois ans - La France transpose en 24ième position (seule avec l'Espagne). Quand est-ce que nous serons sérieux en matière de transposition européenne ?

Et puis il y eut le choix incompréhensible de l'urgence sur un texte que l'on savait sensible politiquement car heurt frontal entre le monde de la création et le monde des internautes (9 millions de personnes parmi les plus jeunes de notre pays ayant pris des habitudes de téléchargement gratuit).

Vint ensuite le vote à contresens de la directive européenne des groupes PS et UMP le 21 Décembre en faveur de la licence globale, déclenchant une volonté, d'ailleurs compréhensible du gouvernement de revenir sur les positions de la directive, mais avec une accumulation de maladresses procédurales donnant une image très dégradée de ce débat, qui méritait beaucoup mieux.

Ensuite sur le fond :

La directive européenne est d'abord une affirmation du droit d'auteur exclusif y compris, et surtout, sur Internet.

Cette affirmation a été contestée par les tenants de la licence globale qui, au mépris de la directive, ont voulu faire du téléchargement une des exceptions au droit d'auteur.

L'UDF a été la seule famille politique à ne jamais varier sur ce point central et à condamner sans hésitation l'impasse qu'est la licence globale

Cette solution séduisante de prime abord est pour nous le type même d'une fausse bonne idée.

Fausse bonne idée car la création d'une redevance globale même volontaire c'est tout simplement la création d'une taxe en plus. Cette taxe additionnelle à l'abonnement internet concerne potentiellement plus de 20 millions d'internautes pour un montant évalué par la SPEDIDAM elle-même à 6,90 € par mois. Cette taxe dont les promoteurs sentent bien qu'elle serait difficile à avaler par le bon peuple internaute a été présentée de manière fallacieuse comme une taxe optionnelle. Nos débats se sont chargés de faire éclater en plein jour la supercherie qui était la licence globale optionnelle. Il fallait assumer le choix d'une taxe additionnelle sur l'ensemble des internautes. Et ce choix pouvait se défendre. Une telle taxe ne doit pas être diabolisée. Elle existe déjà en ce qui concerne les supports vierges. Nous devons par contre nous poser la question de ses avantages et de ses inconvénients. Or, ses inconvénients sont majeurs.
D'abord le caractère de taxe injuste imposant une contribution à une grande partie du monde internaute français qui ne télécharge pas (environ 60%) mais pour qui l'internet c'est d'abord et seulement la messagerie et la consultation d'informations en ligne.
Ensuite une taxe freinant la diffusion de l'internet. A un moment où la diffusion d'internet concerne tous les Français y compris les plus modestes d'entre eux leur imposer ce prélèvement serait un contresens social et une aberration en matière de diffusion internet. Le coup de frein à ce développement dont tout le monde se félicite en France ce deux dernières années serait immédiat, la fracture sociale numérique réactivée.
Enfin, "la cerise sur le gâteau" la répartition de cette redevance légale, de cette taxe !!! Les promoteurs de ce système un peu kolkhozien en sont encore au bon vieux système de la caisse de répartition où les règles de redistribution aux auteurs et aux ayants droit auraient été forcément bien approximatives parce que non corrélées à la réalité de la consommation en ligne. Cela fait quand même beaucoup pour un système dont le seul avantage serait de légaliser l'existant. Non, la solution aux problèmes actuels n'est pas à chercher du côté du système de licence légale et je vais dénoncer ici le double langage draguant les internautes à l'Assemblée et les artistes à l'extérieur de nos collègues notamment du Parti socialiste.
2 - la Directive, c'est aussi l'affirmation à l'article 6 des Mesures techniques de protection :
Ces mesures sont légitimes pour répondre au téléchargement illégal même si leur arrivée crée une véritable tension avec un autre droit fondamental à défendre : le droit à copie privée.
Saluons ici la transposition réussie à l'article 7, avec de véritables avancées pour le logiciel libre et l'interopérabilité avec pour objectif de permettre à une personne de pouvoir lire sur ses différents dispositifs de lecture l'œuvre acquise légalement. Monsieur le Ministre nous vous confions la responsabilité de défendre ces avancées au Sénat sinon la CMP risque d'être compliquée.

3 - La Directive, c'est enfin l'article 8 , appelant les états membres à prévoir des sanctions "efficaces, proportionnées et dissuasives"


Et bien, nous le disons fortement le groupe UDF se retrouve dans le contenu de cette directive et aurait approuver une transposition fidèle et modeste de celle-ci.

Mais le texte de loi qui est soumis à notre approbation s'en écarte sur des points importants :
1. L'article 9 et le collège des médiateurs chargé d'arbitrer les litiges entre l'application des mesures de protection et du droit à la copie privée
Or, monsieur le ministre, vous ne créez pas un collège de médiateur puisque le projet de loi indique clairement que ses décisions auront valeur exécutoire.
Votre collège des médiateurs est donc une autorité de régulation. Il faut lui donner son vrai nom. Nous sommes loin de ce que prévoit en son article 6, alinéa 4, la directive européenne.
Vous créez une véritable confusion et un risque de conflit entre la commission de la rémunération pour la copie privée et le collège des médiateurs. Comment voulez-vous que ça marche ? Au collège des médiateurs incomberait la définition de l'espace de la copie privée - le nombre d'exemplaires par type de supports, etc. À la commission pour la copie privée - article L. 122-5 du code de la propriété industrielle - incomberait le type de support éligible, le taux de rémunération et les modalités de versement. Qui ne voit pourtant le lien entre l'espace de la copie privée, le préjudice porté aux auteurs et le financement à lever ?

2. Sur l'amendement 150 - prévoyant de lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de pair à pair n'incluant pas la gestion des Mesures techniques de protection

Il s'agit d'un débat important, car le logiciel libre est une voie d'avenir, un moteur de croissance. Il est, à côté du logiciel propriétaire, l'autre modèle économique de développement de l'industrie du logiciel et il est heureux, pour l'économie comme pour la société, que ces deux modèles coexistent.
Or, il existe actuellement un vrai débat au sein de la communauté du logiciel libre. Pour le moment, les éditeurs de ces logiciels travaillent surtout sur des applications bureautiques, de bases de données ou sur des operating systems. Ils commencent à s'intéresser au peer-to-peer, mais ils se demandent s'ils doivent « y aller » et comment « y aller » - en incluant ou non la fonction des DRM. Pour certains d'entre eux, notamment le créateur de Linux, l'ajout de cette fonction ne pose aucun problème. Le débat est donc en cours. Dès lors, faut-il légiférer ? Notre avis est qu'il est urgent de laisser vivre la communauté du logiciel libre.
En outre, je nous nous interrogeons sur l'efficacité nationale d'une telle disposition. Compte tenu de la facilité avec laquelle un éditeur peut déplacer son logiciel, nous souhaitons bien du courage à ceux qui voudront les sanctionner.
3. Sur les articles 13 et 14, à savoir sur le régime des sanctions applicables :
Nous émettons des doutes sur le caractère "efficaces, proportionnées et dissuasives" des sanctions mises en place par la loi.
Mêmes si les conditions n'étaient pas satisfaisantes - il était trop tard, nous n'en avions pas débattu - vous aviez proposé en décembre, monsieur le ministre, un concept intéressant : la riposte graduée.
Si certains éléments étaient inacceptables, comme la police assurée par des agents assermentés des sociétés de répartition - la fameuse police privée de l'Internet condamnée ici même par François Bayrou -, d'autres étaient à reprendre, comme la gradation des sanctions, le principe de la responsabilisation de l'abonné et la prévention par l'envoi de messages d'avertissement avant sanction méritaient d'être retenus.
En conclusion, des débats confus, heurtés, pollués par des hésitations politiques des principaux groupes de l'Assemblée et par des maladresses procédurales et un texte, qui même s'il s'inspire en grande partie d'une directive européenne que nous faisons notre, s'en écarte sur des points importants.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDF a le sentiment d'une occasion manquée, d'un rendez-vous gâché.
Il ne votera pas ce texte. Certains, dont je suis, sensibles aux choix fondamentaux qu'il incarne (refus de la licence légale, notamment) s'abstiendront. D'autres, la majorité, voteront contre.

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