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HADOPI : Discours de Jean Dionis à la tribune de l'Assemblée

Publication : 30/04/2009  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici à nouveau rassemblés pour une nouvelle lecture du texte « Diffusion et protection de la création sur Internet » après le rejet du texte issu de la CMP du 9 avril.

Un tel rejet est rare dans l'histoire parlementaire. Pour être possible, un tel événement a forcément des causes diverses, tactiques et plus fondamentales, quant à la nature complexe et sensible du sujet à traiter.

Quant à nous, députés centristes, nous ne perdrons pas de temps en exégèse sur le poids relatif de ces différentes explications.

Pour la première fois depuis la dernière révision constitutionnelle, nous examinerons le texte issu des travaux de la commission des lois le lundi 27 avril. En abordant cette nouvelle lecture, le Gouvernement avait un choix simple. Soit il revenait au texte issu de la première lecture de l’Assemblée nationale, notamment en ce qui concerne la double peine, dont la suppression avait été votée à l'unanimité dans cette enceinte ; soit il en restait au texte de la CMP du 7 avril, en privilégiant la mobilisation politique de la majorité présidentielle.

C'est visiblement l'option du retour au texte de la CMP qui a été retenue et, à titre personnel, je le regrette.

Nos travaux parlementaires ont permis de faire émerger trois réponses politiques à la question de la rémunération de la création sur Internet.

Celle du Gouvernement, d'abord : cette offre se structure par la mise en œuvre de la riposte graduée, de la suspension de l'accès à Internet comme sanction finale de la riposte graduée et de la « double peine », c'est-à-dire la coupure de l'accès à Internet et le maintien du paiement de l'abonnement pendant la durée de la suspension.

Celle des deux groupes de l'opposition ensuite qui sont restés cohérents par rapport à leur position lors des débats sur la loi DADVSI, en refusant de sanctionner le téléchargement illégal et en proposant la « contribution créative », qui est la fille légitime de la licence globale.

M. Didier Mathus. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, les députés centristes vous ont, dès la première lecture, proposé une troisième voie, plus équilibrée et surtout plus efficace : nous sommes unanimes quant à l'exigence d'avoir immédiatement un volet répressif dans la lutte contre le téléchargement illégal et, à ce titre, nous sommes favorables – nous le répétons – au concept de riposte graduée. Ce concept est pédagogique, progressif et responsabilisant, c'est pourquoi nous le soutenons. En revanche, nous avons considéré que la meilleure sanction est l'amende et nous sommes opposés à la double peine.

Aujourd'hui, le Gouvernement a tranché et a choisi de revenir sur sa ligne initiale en abandonnant les amendements majeurs adoptés par notre assemblée. Nous avons bien conscience, madame la ministre, que votre choix est irréversible et qu’il est motivé par des raisons politiques plus que par une analyse comparée objective des solutions proposées.

Cela dit, puisque nous sommes amenés, par votre logique politique, à nous situer par rapport à vos arbitrages sur ce texte – riposte graduée, choix de la coupure de l'accès à Internet comme sanction, double peine – une majorité du groupe Nouveau Centre, et en premier lieu son président, François Sauvadet, tiennent à vous faire part du soutien qu'ils apportent à votre texte.

Ils vous soutiennent car ils pensent qu’en dépit de nos réserves il est urgent d'agir pour endiguer la destruction de valeur dans l'industrie culturelle.

Ils vous soutiennent car ils mettent leur attachement aux principes de la riposte graduée pour répondre au défi du téléchargement illégal au-dessus de leurs doutes sur la coupure de l'accès à Internet et de leur rejet de la « double peine ».

Ils vous soutiennent car cette affaire est aussi symbolique et qu'ils estiment qu'il est important de donner, maintenant, un signal fort en direction des artistes et du monde de la culture dans son ensemble.

Pour toutes ces raisons, au moment du vote solennel, puisqu'il y en aura enfin un, la majorité du groupe votera en faveur de ce texte et, en tant que porte-parole de notre famille politique, je me devais d'être l'expression de ses convictions.

Pour ma part – et je salue les pratiques démocratiques de notre famille politique qui me permet de m’exprimer longuement alors que je suis minoritaire dans mon groupe –,…

M. Christian Paul. Ce n’est pas le cas à l’UMP !

M. Jean Dionis du Séjour. … je continue à penser que cette loi, dont nous approuvons les principes fondateurs, est condamnée à l’échec pour trois raisons. Premièrement, l'absence de mesures fortes en faveur d'une offre légale attractive constitue une lacune grave. Deuxièmement, la coupure de l'accès à Internet plutôt que l'amende est un mauvais choix. Troisièmement, le rétablissement de la double peine est une provocation.

S’agissant du premier point, force est de constater qu’il n’y a pas grand-chose dans ce texte pour faire émerger l'offre légale, notamment les nouveaux modèles économiques d'avenir qui permettront de rémunérer justement les artistes sur Internet. Nathalie Kosciusko- Morizet, qui rappelons-le, est déjà dans « l’après-HADOPI », mène en ce moment même une importante réflexion sur les moyens de développer l'offre légale en ligne, ce dont nous nous réjouissons.

M. Christian Paul. Quel beau rôle, mais cela ne suffira pas !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous aurions préféré que cette réflexion se situe dans l’« avant-HADOPI », ce qui nous aurait permis de débattre d'un texte avec deux jambes : un volet répressif pour lutter contre le téléchargement illégal et un volet incitatif permettant de développer l'offre légale, car nous sommes convaincus que seules ces deux approches combinées permettront de résoudre durablement les enjeux de la rémunération des œuvres culturelles sur Internet.

Deuxièmement, j’en viens à votre mauvais choix, celui d’avoir préféré la coupure de l'accès à Internet plutôt que l'amende.

Roma locuta est, causa finita est. Rome – ou l'Élysée – a parlé, la cause est entendue ! La cause est-elle entendue ? La messe est-elle dite ? Au Parlement sans doute, mais ailleurs, madame la ministre ? Vous avez décidé de ne pas écouter les nombreuses voix de la majorité qui vous demandent d'abandonner cette fausse bonne idée de couper la connexion à Internet des contrevenants.

Alain Juppé, ancien Premier ministre, homme de culture, que je respecte profondément, a déclaré qu’« un système d'amendes serait toutefois plus compréhensible et plus facile à gérer ». Or vous avez décidé de ne plus entendre. Vous avez décidé de politiser de manière manichéenne le débat. Eh bien, nous refusons la tournure que prennent nos débats dans cette dernière ligne droite. Permettez à des députés de la majorité présidentielle – j’en suis – de s'adresser prioritairement à leurs collègues de la majorité. On a dû vous dire ces derniers jours, mes chers collègues : « Ce sera eux contre nous. Ce sera la gauche contre la droite. Ce sera la culture contre les pirates et leurs alliés. » Eh bien non !

Jusqu'au bout, je veux me prononcer en député libre, avec comme seule exigence de savoir si ce texte sert l'intérêt général de la nation (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR), c'est-à-dire la famille qui réunit artistes, interprètes, producteurs et internautes.

M. Jean-Louis Gagnaire. Il a raison !

M. Jean Dionis du Séjour. Certains d'entre vous – et je les respecte – pensent qu'ils rendent service au Président de la République et à la majorité présidentielle en votant ce texte malgré tout. Nous sommes un certain nombre à penser que, pour atteindre cet objectif, il faut avoir le courage de dire que ce projet est aujourd'hui dans une impasse.

Alors, je vais encore une fois vous rappeler les sept péchés capitaux de la coupure de l'accès à Internet :

Premièrement, cette coupure sera vécue comme une agression symbolique contre l'art de vivre ensemble de notre époque.

Deuxièmement, elle sera longue à mettre en œuvre : pas de déploiement du dispositif avant début 2011.

M. Christian Paul. Nous corrigerons cela en 2012 !

M. Jean Dionis du Séjour. Troisièmement, elle sera coûteuse à mettre en place – 70 millions d'euros –, contrairement à l'amende qui, elle, ne coûte rien

Quatrièmement, elle ne rapportera rien aux créateurs et aux artistes, contrairement à l'amende qui, elle, pourrait rapporter 8 millions par an.

Cinquièmement, elle sera une source de graves problèmes de sécurité – systèmes d'alerte publique, télé-médecine – concernant les biens et les personnes, car elle exige la coupure simultanée de la messagerie.

Sixièmement, elle impose la constitution d'une liste noire d'internautes accessibles à tous les opérateurs, condamnée par la CNIL et l'ARCEP.

Septièmement, et c’est le plus grave, elle isole juridiquement la France.

Madame la ministre, que vous le vouliez ou non, ce texte s'est invité dans la campagne pour les élections européennes.

Dans ce contexte, repousser d'un revers de main la décision du Parlement européen, votée par 90 % du PPE, de ne pas suspendre l'accès d'un internaute sans l'intervention d'une autorité judiciaire a quelque chose de choquant pour les européens convaincus que nous sommes.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Sept péchés capitaux, cela fait beaucoup de mauvais choix !

Enfin, j’en viens au rétablissement de la double peine, qui s’apparente à une provocation. En faisant le choix de la coupure de l'accès à Internet comme sanction de la riposte graduée, vous vous condamniez à boire le calice jusqu'à la lie. Ce choix contenait en germe la double peine : en allant au bout de votre logique punitive d'implication des fournisseurs d'accès à Internet dans la lutte contre le téléchargement illégal, non contente de leur causer une dépense inutile de 70 millions d'euros – du reste qui va payer ? –, vous n'avez plus les moyens de leur compenser les coupures des connexions à Internet pour les internautes que vous leur ordonnez de mettre en œuvre. Ce faisant, vous légiférez en créant un dispositif d'exception par rapport à l'article 121-84 du code de la consommation.

Madame la ministre, depuis le début de nos débats, je ne sais pourquoi, l'image du Titanic s'est imposée à moi en pensant à l'HADOPI. Vous allez faire voter votre loi. Vous construirez à coup de millions ce paquebot législatif. Vous lui imposerez quoi qu’il arrive la route de l'Atlantique-Nord, et ce malgré le coup de semonce imprévisible du 9 avril. Mais que d'icebergs sur votre route : le Conseil constitutionnel, le Parlement européen, les contentieux, la jurisprudence et, en bout de course, la vraie vie, les jeunes. Aujourd'hui, sur ordre, l'orchestre s'est remis à jouer, mais qu’en sera-t-il demain ? Demain, si la loi est le catalyseur d'un nouvel équilibre plus respectueux des droits d'auteur, j'en serai heureux et je reconnaîtrai sans aucune difficulté que je me suis trompé.

Mais si, comme je le crois en conscience, cette loi se révèle un échec, j'aurai comme seule satisfaction celle du devoir accompli, à savoir d'avoir porté une parole libre pour vous prévenir des difficultés que vous allez rencontrer.

M. le président. Merci, monsieur Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce jour-là, peut-être, la majorité présidentielle sera heureuse de trouver des hommes de dialogue.

M. Christian Paul. Ils ne seront plus là !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour ma part, je considère les débats qui vont suivre comme un témoignage, une contribution pour les projets de loi qui viendront prochainement, immanquablement. L'après-HADOPI commence aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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