Rendez-vous à Matignon

Le Premier ministre, Jean Castex, m’a reçu longuement (1h30) et attentivement mardi dernier, 19 janvier 2021. En 25 ans de mandat d’élu local, je n’avais jamais vécu une telle situation. On peut donc dire en toute rigueur qu’elle était hautement improbable.

Ëtre Premier ministre dans notre 5^ème République, c’est être le chef du gouvernement de la France et donc être le point de convergence ultime de tous les arbitrages gouvernementaux à faire. Et ils sont forcément très nombreux et très difficiles à faire dans un pays centralisé comme la France. C’est dire combien le temps, la disponibilité du Premier ministre sont rares et précieux. Très improbable donc ce rendez-vous direct entre le Premier ministre et le Président de l’Agglomération d’Agen…

Et pourtant, ce rendez-vous a eu lieu. Il faut bien, pour cela, avancer quelques explications.

Pour ma part, j’en vois deux.

• Première explication : il y faut d’abord une volonté.

Celle du Premier ministre, Jean Castex. Sa volonté de consacrer une partie de son temps, rare, à l’écoute des élus locaux, Maires, Présidents d’intercommunalités, de conseils départementaux ou régionaux. Je veux saluer cette volonté, mise en œuvre, de rencontrer, d’écouter et de dialoguer avec les élus locaux « quoiqu’il en coûte, au niveau de l’agenda du Premier ministre ». Dès son arrivée à Matignon, Jean Castex a insisté sur l’indispensable dialogue entre son gouvernement et ceux de la France des territoires. Et bien, en toute cohérence,… il donne l’exemple et pratique      lui-même ce dialogue entre la France d’en haut, qu’incarne l’Etat et celle d’en bas, qu’incarnent les territoires. Suffisamment rare pour être salué vigoureusement. Merci, monsieur le Premier ministre.

Et pour aller plus loin dans cette réflexion sur la gouvernance française, il ya longtemps que je n’ai plus la naïveté d’espérer un Président de la République ou d’un Premier ministre qui résoudraient magiquement tous les problèmes, bref qui « marcheraient sur l’eau ». Mais, oui, j’espérais depuis longtemps un Premier ministre, à la fois bon connaisseur de la France des territoires et de l’administration centrale, sympathique et efficace. Et bien, je crois que nous l’avons…

Lisez sur Wikipédia ou ailleurs son parcours de vie. Son histoire personnelle, d’enfant de           Vic-Fezensac dans le Gers à Maire de Prades dans les Pyrénées-Orientales en cochant toutes les cases de l’excellence technocratique (de l’ENA,….au poste de secrétaire général adjoint de l’Elysée), raconte bien le métissage qui a construit notre Premier ministre et que je trouve personnellement très intéressant.

• Deuxième explication à notre rendez-vous improbable : il y faut des symboles à valeur nationale.

L’objet de notre rendez-vous étant notre demande d’inscription de notre projet du Pont et du  barreau dit de Camélat à l’Accord régional de relance, pour faire rapide, il s’agit du contournement routier d’Agen par la route nationale RN21 à l’aide d’un pont franchissant la Garonne et d’un barreau routier de 3 km de long, je me suis demandé de quoi notre projet de Camélat était le symbole…

Camélat est d’abord le symbole de ce conflit ravageur entre la France métropolitaine et la France périphérique. Pour vous familiariser avec ce projet et pour comprendre pourquoi le refus répété de l’Etat de le gérer comme le projet prioritaire de notre agglomération, merci de lire notre chronique précédente « RN21 : plaidoyer pour une France oubliée » ( lire http://jeandionis.com/blog/rn21-plaidoyer-france-oubliee ). Malgré les Gilets jaunes, malgré la COVID, le message de l’urgence d’un rééquilibrage de l’action de l’Etat et des régions en direction de cette France périphérique ne passe toujours pas….et Camélat, qui coche toutes les cases du plan de relance et qui peine à y être accepté, est emblématique de la permanence de ces déséquilibres.

Camélat est ensuite le symbole criant de logiques, de logiciels divergents entre les administrations centrales de l’Etat et les territoires. Le symbole d’un projet conçu par l’Etat dans les années 1995     (en l’occurrence la DDE 47 de l’époque dirigée par un ingénieur visionnaire, Yves Massenet), porté depuis plus de 20 ans, de manière unanime par tout un territoire, celui d’Agen, comme le projet prioritaire et que l’Etat refuse à porter en tant que tel pour des raisons inacceptables (logique strictement patrimoniale d’Etat…).

Aujourd’hui, à Agen, il y a plus que de l’incompréhension à cause de ces conflits symboliques. Il y a de la colère, de la part des élus, des chauffeurs routiers, des entrepreneurs, des citoyens… Le refus d’inscrire ce projet dans l’Accord du plan de relance alors qu’il coche toutes les cases des exigences de ce plan serait vécu comme une humiliation, un affront fait au territoire agenais. L’affront de   trop ?

Le Premier ministre, en véritable homme politique, a senti la dimension symbolique de Camélat, de ce conflit.

Volonté d’une gouvernance française à la fois plus moderne et plus décentralisée, perception aigüe des symboles des conflits majeurs qui bloquent la France, voilà ce qui explique que notre demande de rendez-vous à Matignon soit passée « d’improbable » à …« vivement souhaitée » et « ayant eu lieu ».

Pour quels résultats ? Nous attendons les derniers arbitrages du Premier ministre.

Avec espoir que « les temps changent….. ».