Quand Olivier, vieux copain de l’Ecole Centrale et sa femme Cécile nous proposèrent de « passer nous prendre » à Agen pour marcher (un petit bout) du chemin de Saint-Jacques, d'Agen à Lourdes, Marie-Agnès et moi avons spontanément accepté.
Nous aimons tous les deux marcher. Nous avions testé, avec succès, l’hyper-proximité avec Cécile et Olivier, il y a deux ans, sur un catamaran autour de la Corse…. et nous n’avions pas encore de projets précis pour nos vacances prévues en septembre 2020.
Nous avions bien quelques craintes rentrées : nous n’avions jamais marché aussi longtemps, plus de 200 km…Nos bobos « persos » nous laisseraient-ils tranquilles, sexagénaires un peu sportifs, mais sans excès ? Trouverions-nous cet exercice trop long, trop lent, trop fastidieux ? Mais, nous avons ravalé assez vite nos doutes et poussés littéralement sur le chemin par nos amis, nous sommes partis…
Drôle de cheminement en vérité pendant les onze jours suivants : environ 20 km par jour, à un rythme de 3,5 km/h pendant 6 à 7 heures par jour, avec un sac de 8 à 10 kg sur le dos, pique-nique « on the road » à midi, demi-pension le soir en refuge pour pèlerin (voire en gîte ou en hôtel…), réveil à 6 h 30 pour partir à la fraîche vers 7h30-8h, extinction des feux au plus tard vers 21 h 30, tellement nous étions physiquement « cuits ».
Et pourtant, ce soir, de retour chez nous, dans le confort de notre quotidien, j’ai le sentiment agréable d’avoir passé…de très « bonnes vacances ». Mais finalement, méditais-je ce soir, en quoi ces vacances étaient-elles aussi bonnes que cela ? A la réflexion, j’ai trouvé trois explications principales.
- D’abord, le temps…soudainement, nous étions maîtres et riches en temps. Nous marchions l’essentiel de la journée lentement. Nous avions donc beaucoup, beaucoup de temps pour parler, écouter et regarder…Nous marchions le plus souvent à deux avec mon ami, fréquemment avec ma femme, rarement avec celle de mon ami et nous pouvions avoir, sans contraintes, ces longues discussions fraternelles devenues si rares dans nos vies modernes, parfois passionnantes, mais émiettées à l’infini. Bien sûr, cette alchimie amicale, un peu extraordinaire, était facilitée par l’ancienneté de notre amitié…Mais le Chemin, sa largeur, son calme (on n’y est gêné par personne…) et la lenteur douce de l’effort physique qu’est la marche y jouent aussi un rôle facilitateur décisif.
De quoi parlions-nous ? De nous, des nôtres, du roman, petit ou grand, de nos parcours personnels, mais plus le temps, soudain abondant, s’écoulait, plus le récit devenait vrai et, pour ceux qui ont le goût du vrai, captivant.
J’insiste. Cette marche là, lente, longue, répétée plusieurs jours successifs, crée les conditions de dialogues d’une exceptionnelle intensité. Arrivé à Lourdes, j’avais écouté Olivier sur la stratégie du directeur industriel de Volvo qu’il venait d’être, sur l’arrivée d’un gendre indien dans la famille et je suppose que, en ce qui le concerne, il en saura plus sur la gestion municipale d’Agen et sur le quotidien des maires. Mais au travers de ces remises à jour sur nos parcours de vie, s’opère quelque chose de bien plus important : cette disponibilité, cette écoute retrempent, resoudent pour longtemps les amitiés durables, trésors rares de nos vies modernes.
Et celles et ceux qui marchent seuls, me direz-vous ? Je ne peux rien vous en dire, si ce n'est sans doute qu'un tout autre Chemin.
- Ensuite, le Chemin,…et pas la route. La majeure partie de la marche se fait sur la terre de chemins ruraux et non pas sur le bitume de nos voies communales, comme c’est, par exemple, le cas pour les ballades à vélo dont je suis plus coutumier. Et ces chemins ruraux nous ont amenés au cœur de la ruralité gasconne. Et même si Agen n’est jamais très loin de cette ruralité, l’honnêteté m’oblige à dire que je n’y vais pas si souvent que cela. Je l’ai en tout cas retrouvée avec un vrai bonheur prenant le temps de détailler chaque composant d’un paysage, de mettre un nom à chaque arbre, à chaque plante croisée (avec l’aide décisive des magnifiques applis que l’on peut trouver sur nos smartphones, PlanteNet, etc…). J’ai essayé de comprendre les choix faits par nos agriculteurs pour leur assolement (grandes cultures au nord d’Auch, élevage et polyculture au sud d’Auch), pour leur accès décisif à l’eau. Nous avons traversé et aimé les tout petits villages condamnés à n’être plus que résidentiels et vu la résistance pleine d’avenir fournie par les petites villes et les bourgs plus importants, qui, eux, ont gardé leurs commerces et leurs services : la Romieu, Lectoure, Fleurance, Marciac, Maubourguet…
Faire le Chemin, c’est plonger dans la ruralité, avec ses dures réalités (tiens, il n’y a plus de réseau…tiens, bizarre de ne rien trouver d’ouvert dans ce village) et avec ses atouts magnifiques : d’abord, l’espace et puis la fertilité extraordinaire de notre campagne qui éclate sous nos yeux pour peu que l’on ait un peu voyagé de part le monde.
- Enfin, le Chemin, ce sont des rencontres extraordinaires. Bizarrement, nous n’avons pas fait ces rencontres « en chemin », ayant fait le choix d’un itinéraire « secondaire » un été où le COVID s’est tristement chargé de « faire le vide ». Nous les avons faites le soir avec nos hôtes, qui ouvraient leurs maisons, leurs refuges, leurs chambres d’hôtel. Belles personnes, ouvertes, originales.
Je pense à ce jeune couple, ayant fait le choix de Roquefort dans le Gers, lui, pilote de ligne d’Air France, qui fait un deuxième métier de brasseur de bière, elle, ingénieur agronome, qui gère le gîte et les enfants et tout le reste .
Nous avons payé parfois une demi-pension tarifée raisonnablement, parfois le fameux « Dona ti vo» (donne ce que tu veux) du Chemin.
A la fin de notre (bout de) Chemin, Lourdes…que je connaissais à peine. Je l’ai trouvée frappée au cœur par le COVID, et pourtant, belle et mystérieuse.
Frappée au cœur par l’interdiction, due au COVID, des pèlerinages. Quelle ville au monde résisterait à ce choc qui l’a fait passer, brutalement, de 6 millions de visiteurs par an à…personne ou presque ?
Belle. Je ne m’attendais pas à voir une ville, site marial inclus, aussi bien intégrée dans le cadre grandiose des Pyrénées. Honneur à nos anciens qui ont réussi ce chef d’œuvre d’urbanisme.
Mystérieuse. Catholique pratiquant, mais aussi construit par le rationalisme de mes études, je m’interroge…Apparitions, miracles,…Que s’y est-il vraiment passé ? Le mystère de cette interrogation m’a suivi pendant tout notre court séjour.
La dimension spirituelle, pas vraiment conviée au programme de nos vacances « sur le Chemin » arrivait ainsi à nous surprendre comme l’a si joliment dit Jean-Christophe Rufin dans son livre « immortelle randonnée : Compostelle malgré moi » : « Je ne sais pas ce que j’y cherchais, mais je l’ai trouvé ».
Soyons clairs. Sans nos vieux copains, jamais nous ne serions partis. Nous avons été poussés sur le Chemin.
Par hasard ? Pas si sûr.
Il est bon parfois de casser le rythme de nos vies retrouver la spiritualite
Le calme, la beauté, la réalité de la nature
L'authenticité de la vie a la campagne loin des villes, des populations urbaines bien éloignées de nos rythmes de vie campagnards
C'est toujours un bonheur, Jean, de te lire " à coeur ouvert". Bises;
J'ai voyagé un petit bout de temps à la lecture, la belle lecture, de votre récit. Vous m'avez transportée sur ces beaux chemins de Compostelle, un miracle quand physiquement je ne pourrais marcher sur vos pas. J'ai apprécié votre style d'écriture et il m'a rappelé celui de Jacques AULONG dont j'ai senti la présence au long de cette lecture. Je partage vos sentiments ressentis tout au long de votre périple. Bel exemple pour se recentrer et apprécier à sa juste valeur la valeur de la vie. La suite l'année prochaine ?... Un grand merci pour ce beau moment d'évasion.
Béatrice
De bien beaux moments. Merci à toi d'avoir su les faire partager ....
Cher Jean. Je te savais "Marcheur". Je ne parle pas de politique mais de ton "chemin clunisien", il u a quelques années, que j'avais également parcouru... rien que pour le plaisir de faire un billet humoristique dans le Petit-Bleu sur le parallèle de nos deux aventures. Pour ma part, je marche surtout en montagne. L'air y est plus pur, en ces temps de pandémie.
Mais ce qui m'étonne chez toi, c'est que tu arrives à trouver le temps de prendre du temps... et d'en perdre encore pour coucher sur le papier tes sentiments. Le temps (comme l'espace) qui sera le grand luxe des générations à venir. Le temps qui manque forcément à nos élus pour répondre à toutes les sollicitations.
Comme toi, lors de mes longues marches avec mes copains, je dialogue et j'échange. Pas sur la stratégie commerciale du Groupe Volvo, mais tout bêtement sur nos vécus, nos ressentis, notre vision de l'actualité, sur nos pessimismes partagés à propos de l'évolution du monde, de nos démocraties, de nos comportements de plus en plus individualistes et superficiels. Je fais court. Un monde à l'opposé de celui dont on rêve et que l'on entrevoit parfois... sur les chemins de St Jacques ou dans les Pyrénées. J'étais, hier, dans la vallée d'Aulon, et certains lieux m'ont semblé paradisiaques.
Ne te lamente pas pour Lourdes déserté, ni pour ce que ça représente : une supercherie qui a très bien marché (comme toutes les supercheries). Bravo ! Pour m'être retrouvé en plein hiver (lorsque j'allais travailler au Château, Musée pyrénéen), absolument seul à la grotte, cassant la croûte en tête à tête avec la Vierge, je peux te dire que l'on a une autre vision du miracle lourdais... surtout après avoir lu l'enquète de Zola sur la question. Car c'est grâce à la terre et non au ciel que nous bénéficions de milliards de miracles au quotidien. Et donc, en 4-5 milliards d'années d'existence de notre Terre : ça en fait des miracles. Nous en sommes le résultat. C'est ça le miracle ! Mais prenons conscience que tout cela est bien fragile et que notre Terre est (pour nous) unique. Et pourtant : nous la détruisons.
Mais en fait, ce que j'avais à te dire, c'est que je t'avais trouvé bien fuyant, l'autre jour, sur la tombe de DUCOS. Je peux comprendre que tu sois un peu gêné. Sarion a moins de scupules... En tout cas, bravo ! Tu parles de DUCOS comme si tu le connaissais. Tu te l'es bien approprié. Je suis fier de ma réussite. Ton adjointe à la Culture, par contre, est moins locace. J'espère qu'elle appréciera le film que je lui ai remis. Rassurez-vous ! En dehors d'Agen, ce film plait énormément.
Cordiales salutations. René Dreuil