Après Christophe Guilly et son ouvrage « la France Périphérique » (lire mes notes de lecture http://jeandionis.com/blog/electro-choc-france-peripherique-christophe-guilluy ), après David Djaïz et « sa Slow démocratie » (lire mes notes de lecture http://jeandionis.com/blog/slow-democratie-notes-lecture ) , je me suis plongé dans la lecture de « l’Archipel Français » (mars 2019).
Pourquoi ?
Parce qu’avant de participer à l’invention du « monde d’après le coronavirus », je veux comprendre le présent, l’actualité…dont c’est banal de dire qu’elle est inédite et extraordinaire : élection surprise d’Emmanuel Macron en 2017, gilets jaunes en 2018, coronavirus en 2020.
Et précisément, Jérôme Fourquet identifie clairement, dans son « Archipel français » l’élection présidentielle de 2017 comme la secousse initiale majeure de la période historique dans laquelle nous sommes immergés. Quel est le sens profond de ce tremblement de terre français ? Cette question me taraude. Non seulement parce que je n’y ai pas fait preuve de beaucoup de lucidité historique (consolons-nous, je n’étais pas seul….), mais surtout parce qu’elle est la clé pour la compréhension de notre présent (y compris avec le coronavirus).
La thèse de l’Archipel français reconnait l’existence de causes contingentes et circonstancielles propres à cette élection (affaiblissement du PS à l’issue du quinquennat Hollande, affaires Fillon, etc…), mais au final, les remet à leur place, secondaire par rapport aux changements de fond sociétaux, sociologiques, et politiques de la période (1981-2017) qui se sont cristallisés dans cette élection historique.
Changements sociétaux, d’abord : J. Fourquet commence son livre avec la dislocation des matrices idéologiques majoritaires pendant la première moitié du 20ème siècle, catholique, bien sûr, mais aussi marxiste et cela donne une première partie sociologique passionnante où le directeur du département de l’opinion à l’IFOP montre tout son talent de déchiffreur des tendances lourdes de notre société française : basculement – somme toute rapide – de notre vie sociale : PACS, mariage gay, PMA, crémation, consommation répandue du cannabis mais aussi l’explosion du nombre des prénoms que nous donnons à nos enfants (2 000 en 1900, 13 000 aujourd’hui !!).
Changements sociologiques, ensuite : avec l’exode rural qui se termine, mais aussi avec la désindustrialisation massive dans certaines régions de France (Nord, Est, mais aussi Midi de la France), nouvelle immigration (pays d’Afrique noire, Europe de l’Est), intensification des échanges dus à la mondialisation.
Changements politiques, enfin : avec trois secousses sismiques majeures.
Celle de l’année 1983 où les immigrés sont devenus pleinement visibles et où le FN a émergé.
Celle de l’année 2005 où la France dit « non » au projet de traité constitutionnel européen.
Celle de l’année 2015 , des attentats terroristes où tout le monde n’a pas été Charlie.
A partir de ce triple constat, difficilement contestable, Jérôme Fourquet théorise une hypothèse centrale : l’ancien clivage droite/gauche n’est plus opérant. Il vient d’être remplacé par un clivage majeur autour de la mondialisation avec d’un côté ses « gagnants ouverts » et de l’autre ses « perdants fermés » et ce clivage a un effet de bombe à fragmentation sur la société française qui s’éclate sur de nouvelles lignes de partage : le niveau de diplôme scolaire, le lieu de résidence (et l’on retrouve içi les thèses de Christophe Guilly : métropoles versus périphéries, mais Fourquet y apporte une dimension infra-urbaine par quartier, à mon avis très pertinente…). Et bien sûr, le niveau de revenu, avec le retour un peu glaçant des antagonismes de classe.
Voilà pour le constat sociétal, sociologique, politique, encore une fois difficilement contestable tellement il relève de la mesure fine de phénomènes quantifiables et voici la thèse qui, elle, relève de la science et de la prévision politiques et qui, donc pour être intellectuellement honnête, doit être falsifiable au sens où l’entend Karl Popper, le grand épistémologue autrichien.
Nous verrons bien en 2022 si cette hypothèse, émergence d’un grand groupe central progressiste, pro-européen, pour une mondialisation rééquilibrée, sort confirmée de cette échéance. Je le souhaite. Mais c’est incertain, et la pandémie n’a fait que renforcer des forces inverses à cette mondialisation toujours croissante.
Reste la nation multiple et divisée…Le militant politique et le Maire que je suis depuis 12 ans sent de toutes ses tripes que sur ce point central, Jérôme Fourquet a raison.
Oui, la France de 2020 est une nation multiple et divisée et cette division ne se limite pas à celles des métropoles régionales et de la périphérie. Elle déchire le corps social à l’intérieur même de chacune de nos villes, dont la réalité est effectivement celle d’archipels de quartiers à la fois communiquant entre eux, mais pour l’essentiel repliés sur eux-mêmes.
Faut-il se résigner à cette division ? Non, clairement. C’est un danger mortel pour une nation qui se proclame une et indivisible. La France n’est qu’une construction politique. Elle peut se briser.
Comment lutter contre les mécanismes très puissants de la division ? Je n’aurai pas la prétention folle de réponses définitives. Mais, je tiens à faire deux contributions citoyennes.
D’abord veiller comme à la prunelle de nos yeux à tout ce qui fait identité nationale, la langue, la culture, les symboles (drapeau, etc…), mais surtout toutes les institutions qui nous rendent solidaires : les impôts nationaux, l’éducation nationale, la sécurité sociale, la défense nationale qui de fait, nous font vivre ensemble.
Enfin, il nous faut dédiaboliser la réalité des communautés qui composent la cité et la nation. Dans une nation multiple et divisée, il est compréhensible que les citoyens se rassemblent en communauté d’origine nationale, de sensibilité religieuse, de centres d’intérêt personnel. Cette réalité doit être reconnue et protégée, ses dérives doivent être combattues. Mais il faut au contraire s’appuyer sur cette vitalité communautaire pour alimenter et renforcer les liens d’appartenance à une cité ou à une nation.
Vaste programme… certes, certes. Mais, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (article premier de notre constitution), ce n’est pas le même projet politique que la « France est un archipel », nation multiple et divisée.
Il va falloir choisir.