« N’oublie pas les pauvres ! » lui avait murmuré à l’oreille un cardinal Brésilien juste après son élection et dès ses premiers jours de pontificat, il avait annoncé vouloir « Une église pauvre pour les pauvres » (lire ma chronique sur ce sujet http://www.jeandionis.com/blog.asp?id=18916 ) …puis vint cette visite inattendue, extraordinaire à Lampedusa (Italie)…..
Lampedusa, comme vous, je ne connaissais pas…même si la musique de ce nom méridional me disait vaguement quelque chose et pour cause….
Lampedusa, c’est le point le plus au sud du territoire italien, et l'un des plus méridionaux de l’Europe (après Chypre et la Crète), plus proche de l’Afrique que de l’Italie.
Lampedusa se trouve à 205 km au Sud de la Sicile, à 167km de la Tunisie, à 220 km de Malte et 355 km de la Libye (Tripoli).
En fait, Lampedusa , c’est une des vraies portes d’entrée dans l’Union Européenne. La proximité de la Tunisie et de la Libye font de l'île un point d’entrée privilégié pour les immigrés irréguliers qui veulent gagner l’Europe. Ceux-ci tentent la traversée au péril de leur vie dans des embarcations de fortune. L'île de Lampedusa a été le théâtre permanent d'affaires concernant le secours de boat people en mer..Ce phénomène a commencé en 1992 et n'a cessé de s'amplifier.Il constitue un levier de pression politique des autorités libyennes sur l'Italie et l'Union européenne. 31 700 migrants sans papiers sont arrivés sur l'île en 2007, (23 000 en 2005, 13 000 en 2004 et 8 000 en 2003)
Entre le 11 et le 13 février 2011, plus de 5 000 Tunisiens sans papiers sont arrivés sur l'ile, profitant d'un relâchement de surveillance douanière et policière suite à la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011.
Que diable allait-faire le Pape dans cette galère ? En fait, ce voyage n’était pas prévu de longue date dans l’Agenda pontifical. Le Pape l’aurait décidé « comme un coup de cœur, après la nouvelle d’un nouveau naufrage qui s’est planté en lui « comme une épine dans le cœur » (source La Vie M02863).
Il s’y rend et il délivre une homélie qui est une bouleversante relecture de la parabole du Bon samaritain à la lumière de la modernité de Lampedusa (lire http://www.lavie.fr/actualite/documents/homelie-du-pape-francois-aupres-...). Ecoutons quelques minutes le Pape :
« Aujourd’hui aussi cette question émerge avec force : qui est le responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Tous nous répondons ainsi : ce n’est pas moi, moi je ne suis pas d’ici, ce sont d’autres, certainement pas moi. Mais Dieu demande à chacun de nous : « Où est le sang de ton frère qui crie vers moi ? ». Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous « le pauvre », et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-même, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! »
J’ai pris cette homélie en pleine figure. J’ai vécu en Afrique, j’aime ses cultures et ses habitants. Mais c’est vrai que sur le sujet de l’immigration, il y a longtemps que mes convictions se sont cristallisées :
Et la phrase de Michel Rocard, alors Premier ministre, prononcée devant la Cimade en 1990 :: “La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part”, constituait, jusqu’à l’homélie du Pape, l’horizon indépassable de ma réflexion.
Cohérent, j’ai voté toutes les lois de 2002 à 2012 tendant à rendre plus difficile l’immigration familiale et à recentrer notre politique d’immigration nationale sur l’immigration professionnelle en fonction des besoins de celui-ci, évalué par secteur professionnel. Enfin, la proposition de N.Sarkozy de réduire de moitié l’immigration légale (de 200 000 personnes par an à 100 000) avait reçu mon approbation tellement il me semblait naturel de réduire notre immigration en temps de crise économique et sociale grave, comme celle que connait la France aujourd’hui….Enfin, le Maire d’Agen que je suis est bien placé pour voir les ravages d’une immigration illégale incontrôlée sur la vie sociale d’une ville moyenne…
Alors, éthique de responsabilité, quand je suis élu, contre éthique de conviction, quand j’écoute le Pape nous interpeller sur la mondialisation de l’indifférence ? Est-ce toujours la contradiction fondatrice et indépassable, conceptualisée par Max Weber, le grand sociologue allemand ?
Mais le Pape est venu m’interroger dans ma bulle de savon « belle, mais illusoire mais qui n’est rien, illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres….»
Alors, les questions se bousculent dans ma tête et dans mon cœur : Qu’ai-je fait de la générosité de mes 20 ans qui fit de moi un coopérant passionné, capable de donner temps et argent pour inventer un monde meilleur à l’échelle planétaire ? Qu’ai-je fait de mon engagement politique en faveur d’une aide au développement atteignant 1 % du PIB de la France ?
Ai-je rendu les armes, trop vite, avec l’argument trop facile « qu’il y a déjà tellement à faire à Agen » ?
Le Pape termine par une dernière question : « Qui de nous a pleuré pour ce fait et pour les faits comme celui-ci ? » Qui a pleuré pour la mort de ces frères et sœurs ? Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs propres familles ? Nous sommes une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du « souffrir avec »» Et combien de fois, le matin, après une heure de radio m’apportant toutes les (mauvaises) nouvelles de la terre, j’ai fait la triste expérience que mon cœur était devenu sec et incapable de trier entre l’écume des jours et les scandales qui appellent révolte .
Et si c’était cela la question ultime ? Sommes encore capables d’être sympathiques ? C’est-à-dire étymologiquement, sommes-nous capables de « souffrir avec » ?
Et bien, oui ! Je crois que nous les Français, nous savons être sympathiques, quand la cause nous parait indiscutable (Téléthon, lutte contre le cancer, catastrophes naturelles,….). Il nous reste à redevenir sympathique avec l’étranger, en redécouvrant combien il est proche de nous , sans naïveté, sans excès …….
Parce que vous nous avez réveillés, là où nous étions assoupis dans nos certitudes, merci Saint Père …
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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire
Très belle lecture de cette homélie du Pape
Merci!
samaritain
merci pour ce reveille à vous aussi. Amicalement. Katarzyna