Notes de lecture : le siècle vert par Régis Debray.

Il y a quelques semaines, en feuilletant l’hebdomadaire « La Vie », je suis tombé sur un entretien avec Régis Debray parlant du changement de civilisation qu’était pour lui l’arrivée de l’écologie comme valeur et enjeu politique centraux de notre 21^ème siècle, à partir d’un essai rédigé sur ce thème par lui-même, « le Siècle Vert ».

L’écologie par Régis Debray, c’est effectivement une des toutes premières priorités politiques de notre époque, traitée par un des grands témoins du 20^ème siècle. Agé aujourd’hui de presque 80 ans, quand je pense à son parcours de vie, je me dis in petto : « Quelle vie !». Normalien, agrégé de philosophie, il prend fait et cause pour la Révolution et ne fait pas qu’en parler puisqu’il s’engage avec Che Guevara dans les maquis boliviens. Fait prisonnier, torturé, il va rester dans les geôles boliviennes pendant plus de 4 ans de 1967 à 1971. Revenu en France, il sera le conseiller du Président François Mitterrand pour les relations internationales de 1981 à 1985. Le reste de son parcours est consacré à l’histoire, la philosophie et à la littérature.

Ecoutons Régis Debray poser lui-même le sujet: « Un autre monde est en train de naître devant nos yeux. Un autre esprit dans nos façons de penser, d’espérer et d’avoir peur. L’angoisse écologique qui donne la couleur à ce siècle nouveau n’annonce rien de moins, pour notre civilisation, qu’un changement d’englobant. Ce fut l’Histoire, ce sera la Nature. De quoi prendre le vert au sérieux ».

Captivé, je suis donc allé chercher le « siècle vert » dans notre librairie agenaise, Martin-Delbert et me suis mis en lecture.

C’est d’abord l’état des lieux de notre pays, la France, façonné par des millénaires d’histoire et par la poussée écologiste de ces dernières années qui a retenu mon attention.

Selon Régis Debray, la France est (encore) civilisée. Elle est féminisée, présentifiée et revitalisée. (voir pages 14 à 18).

Civilisée, car on peut (encore) y contester le pouvoir sans y risquer sa vie comme dans la grande majorité des nations de cette Terre.

Féminisée, car on y assiste massivement à la prise inédite des responsabilités de premier plan par des femmes et de citer, pour preuve, Florence Parly, ministre des armées…Et, c’est très bien ainsi.

Présentifiée, car la France, dans ses profondeurs, a abandonné toute volonté de construire un avenir collectif très différent de son présent. Fin de l’histoire et de son cortège de tragédies sanglantes au 20^ème siècle. L’heure de la Nature a sonné.

Je suis, dans l’ensemble, d’accord avec l’état des lieux de la France dressé par Régis Debray et, comme lui, je jette d’ailleurs un regard bienveillant et approbateur sur cette lente et massive transformation de nos convictions collectives.

En clair, et je n’arrête pas de le dire, les écologistes ont été prophétiques quant à leur refus du déséquilibre entre ce que nous prenions au système terre et ce que nous lui rendions. Ils ont eu raison. Ils ont d’ailleurs toujours raison sur ce point central et, au passage, ils m’en ont convaincu .

Mais, à un moment donné, il faut bien passer de la science du milieu qu’est l’écologie, évidemment utile socialement, à l’idéologie écologiste telle qu’elle est mise en avant par les écologistes politiques.

Et cette idéologie écologiste, nous ne devons pas hésiter à la soumettre au débat contradictoire et démocratique.

L’idéologie écologiste est-elle autre chose qu’une grande peur millénariste, comme il y en a eu tant d’autres dans notre histoire, de l’effondrement du système terre ? Ne sous-estime-t-elle pas grandement les capacités de cet étrange animal, seul doué d’histoire, qu’est l’Homo sapiens ?

Et dans ce débat, fondamental, avec les tenants de cette idéologie, il faut quelques convictions fortes que je partage avec Régis Debray.

Il y a d’abord une tentation autoritaire dans le mouvement écologiste au nom de l’urgence. Je cite Régis Debray, se méfiant d’une biocratie « où un haut comité d’experts, flanqué d’hommes à poigne viendrait proclamer : Le temps nous est compté. Assez d’atermoiements. On va vous serrer la vis pour vous sauver la vie » (page 42). De cet état d’urgence écologique qui liquiderait la démocratie, nous n’en voudrons jamais. Nous nous y opposerons de toutes nos forces.

Il y a enfin une tentation passéiste avec un retour complètement idéalisé à la nature originelle qui sacrifie au passage les notions de progrès et d’histoire qui donnent un sens, un projet à l’aventure humaine. Nous devons nous vacciner contre une dérive misanthrope de l’idéologie écologique. L’Homme n’est pas un parasite à contenir puis à éliminer pour que la Terre vive.

Il y a donc un humanisme écologique à construire. Vite.

J’en avais senti l’urgence devant la vigueur des débats familiaux essayant de concilier urgence de la transition écologique et respect de la démocratie (lire ma chronique transition écologique : http://jeandionis.com/blog/transition-ecologique-lecons-familiales )

C’est finalement du côté du Pape François et de son encyclique « Laudato si » qu’est venue la construction la plus humaine d’une écologie d’avenir. (lire ma chronique : http://jeandionis.com/blog/cop-21-pape-francois-colibri ).

Régis Debray est, dans sa conclusion, très proche de cet humanisme écologique.

Ecoutons-le une dernière fois :

« Le beau chantier, laïque, celui-là, que serait quelque chose comme une coopérative jardinière à l’échelle de la planète, sous la coprésidence du terreau et de l’horticulteur. De quoi voir espérer renaitre, en quelque lieu de mémoire, dans un coin de l’astre errant, ne désespérons pas, une fête de la rose, moins fallacieuse et plus durable que celle que nous ont fait miroiter tant de songes et d’orgueil évanouis ».