Discours prononcé par Jean DIONIS
Monsieur le Président, chers collègues,
Vous nous réunissez aujourd’hui en séance extraordinaire “Néo Terra” sur la transition écologique que doit mettre en œuvre notre Région, la Nouvelle-Aquitaine.
Vous nous appelez à la mobilisation générale, ce sont vos termes, sur ce sujet. C’est une démarche très forte, très rare. Au nom de mes collègues, du groupe Union Centriste, je veux d’entrée vous dire que nous trouvons votre initiative pertinente, que nous vous félicitons de l’avoir prise et maintenue malgré toutes les contraintes qui ont pesé sur elle qu’elles soient calendaires ou politiques. Vous nous appelez à un élan collectif, nous participerons à cet élan.
Je dirais même nous participons déjà au titre des mandats locaux et des responsabilités locales qui sont les nôtres à cet élan dans chacun de nos territoires.
Débat après débat, fiche d’actions après fiche d’actions, le groupe Union Centriste Nouvelle-Aquitaine s’investira pour transformer les pistes ouvertes lors de notre séance plénière en véritables politiques publiques de transition écologique. Le travail produit par notre groupe en amont de cette séance est un gage de notre volonté de nous mobiliser positivement sur ces enjeux.
Oui, il y a urgence. Et il y a clairement une urgence climatique qui concerne très directement notre Région (+1,4 degré en 70 ans). Il y a aussi urgence dans l’effondrement de la biodiversité dans notre Région, comme le montrent les chiffres de votre document Neo Terra.
Nous le disons donc aujourd’hui sans ambiguïté, nous sommes partants pour une transition écologique forte, exigeant de notre part des changements de comportement individuels et publics importants, y compris dans notre vie quotidienne. Oui, nous sommes partants pour changer la manière de nous alimenter, de nous déplacer, de nous loger. Et nous sommes partants pour convaincre nos concitoyens de l’urgence et du bien-fondé de ces changements.
Une nouvelle fois, le groupe Union Centriste veut rendre hommage au travail de pionniers un peu prophétique fait par le mouvement écologique dans son ensemble pour en arriver au consensus à portée de mains d’aujourd’hui. Au mouvement écologique d'aujourd'hui de garder la lucidité et la capacité d’autocritique, justement pour embarquer tout le monde et pour construire autour de la transition écologique le consensus national et régional le plus large possible.
Et parce que nous souhaitons ardemment ce consensus le plus large possible sur ce qui doit être une priorité nationale, alors monsieur le Président, nous avons un certain nombre de réserves à faire quant à la conduite de votre démarche, à sa nature profonde et à certains des thèmes et fiches d’actions emblématiques d’erreurs ou de risques, de fractures graves au sein du corps social.
Vous nous avez remis un ensemble de documents impressionnants produit d’un travail collectif exceptionnel que nous voulons saluer.
Notre première réserve de fond sur ce travail concerne l’absence d’engagement financier.
La France a déjà vécu, notamment en 2007 avec le Grenelle de l’environnement, des mobilisations générales qui se sont brisées sur l’absence de moyens financiers proportionnés aux ambitions affichées. Or vous le dites d’entrée, aucune estimation financière n’a été faite, de toutes ou partie des fiches d’actions proposées. Et cette absence même fragilise d’entrée toute votre démarche. Monsieur le Président, nous partons de loin, le discours de ce conseil régional est vertueux en matière de transition écologique. Mais les faits sont têtus, notre point de départ comme d’ailleurs dans toutes les autres régions de France, est une base financière réduite (CA 2018, budget de l’environnement : 1% en fonctionnement, 3% en investissement).
Monsieur le Président, le groupe Union Centriste vous demande solennellement de ne pas arrêter la démarche au vote de ce soir. De la continuer là où cela fait mal, au niveau des arbitrages financiers. Je crois d’ailleurs que vous êtes favorable à la poursuite de ce débat y compris dans cette dimension-là.
Notre deuxième réserve de fond quant à votre démarche est d’ordre démocratique. Clairement, vous vous inscrivez dans le prolongement de la loi nationale de transition écologique et vous relayez un certain nombre de dispositifs réglementaires d’Etat.
Nous vous mettons en garde contre l'enchaînement idéologique suivant : il y a urgence à mettre en œuvre une transition écologique, et c’est vrai. Et nous avons partagé ce constat au début de notre discours. Puis, subrepticement on passe à un discours qui affirme que l’urgence exige l’état d’urgence, avec ce qui l’induit de recul de la démocratie, des libertés, et notamment des libertés locales.
Nous vous mettons en garde contre un discours d’urgence qui se dégraderait en un discours apocalyptique, dangereusement angoissant. Nos concitoyens ne sont pas à effrayer, ne sont pas à contraindre. Ils sont à convaincre ! Et vous devez pour cela « embarquer » tout le corps social : les associations et les collectivités locales en premier. D’où l’importance du volet citoyenneté, du volet pédagogique. Il nous faut convaincre monsieur le Président, et le rejet massif de la taxation écologique du carburant en novembre dernier à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes doit nous servir de leçon démocratique.
Bref, nous vous demandons solennellement d’infléchir cette démarche de manière la plus girondine possible. De poser la Région Nouvelle-Aquitaine en aiguillon, en professeur, en avant-garde peut-être, mais pas en puissance contraignante. Nous vous demandons solennellement de ne pas, à l’occasion de cette démarche, faire régresser les libertés locales. Les lois de décentralisation ont donné aux territoires la responsabilité de leur sol, de leur patrimoine foncier. C’était une avancée démocratique majeure, ne participez pas aux côtés de l’Etat à une régression démocratique. Soyons clairs, l’étalement urbain excessif doit être combattu sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Aquitaine et par chacun de nos territoires. Et nous sommes avec vous dans ce combat-là. Mais vous ne pouvez ignorer l’extrême diversité géographique, socio-économique de nos territoires. Il vous faut donc conventionner, convaincre les territoires. C’est long ? C’est aléatoire ? Peut-être, mais c’est le seul chemin durable.
Enfin, notre troisième réserve structurelle sur votre démarche porte sur l’absence de hiérarchisation de toutes vos fiches d’actions. Gouverner c’est choisir. Et s’il y a urgence, c’est qu’il y a des priorités. Alors il faut identifier ces priorités, et il faut qu’elles apparaissent clairement dans les arbitrages que vous rendrez.
Le groupe Union Centriste Nouvelle-Aquitaine vous interroge : est-ce que la lutte contre le réchauffement climatique et la sortie des énergies carbonées est la priorité n°1 de votre démarche Néo Terra ? Et si vous l’admettez, alors il faudra bien ouvrir un certain nombre de débats contradictoires, et les revisiter avec comme cap politique, cette priorité.
Si la sortie des énergies carbonées est la priorité, de manière très directe pour diminuer les gaz et l’effet de serre, alors il faudra nous dire pourquoi on peut s’opposer au projet de LGV GPSO et à la diminution du mur de véhicules sur l’A10 et l’A62 qu’il permettrait. Si la sortie des énergies carbonées est une priorité, alors il faudra ouvrir dans cet hémicycle le débat sur le nucléaire et notamment sur le nucléaire en Nouvelle-Aquitaine.
Au Blayais et à Civaux, monsieur le Président, nous reviendrons en finale sur le non-dit inacceptable de vos documents sur le nucléaire. Quelle est la position de notre assemblée sur la fermeture ou le prolongement des deux plus anciennes tranches du Blayais ? Quand celles-ci sont d’une puissance de 1800 MWatt, que ces deux seules tranches du blayais susceptibles d’être fermées produisent le 1/3 de l’électricité de la Nouvelle-Aquitaine, le Conseil régional de NA ne peut pas s’échapper et se cacher derrière l’Etat pour dire sa position sur ce débat.
Et surtout pour dire en fonction de sa position comment il met en œuvre la transition écologique sur notre grande Région. Si l’Etat décide de fermer la moitié du Blayais comme cela est probable, alors ce ne sera pas la même histoire du tout qu’avec quatre tranches prolongées. Nous devons débattre ici, maintenant, de ces différents scénarios. Et avec tout le respect que j’ai par exemple pour le vélo, la trottinette, leurs politiques publiques sont des questions moins importantes que celles de l'avenir du nucléaire en Nouvelle-Aquitaine. Voilà pour les réserves structurelles.
Au niveau de vos 11 ambitions et de vos 86 fiches d’actions, le groupe Union Centriste salue une nouvelle fois l’ensemble constitué qui est une bonne base programmatique pour l’élan que vous appelez de vos vœux. Il réaffirme cependant sur 4 thèmes les mêmes réserves et les mêmes oppositions que lors du débat du SRADDET même si sur certains sujets et notamment sur l’eau, nous voulons saluer les efforts faits pour arriver à un consensus à la fois cohérent avec la transition écologique et efficace sur le terrain.
Nous maintenons notre demande d’objectifs fixés en matière foncière en fonction de la diversité territoriale et de manière conventionnelle avec les collectivités locales compétentes en matière de droit des sols et d’urbanisme. La Région n’a pas à participer à l’ensemble des contraintes posées par la loi et l’Etat dans ce domaine.
Nous réaffirmons notre opposition à une politique concernant le photovoltaïque qui reste ambiguë sur l’énergie renouvelable la plus prometteuse de notre Région en voulant la contenir uniquement sur les surfaces artificialisées.
Une telle position n’est pas acceptable : ni pour nos agriculteurs qui sont privés par cette disposition de la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique et de nouveaux revenus pour eux, ni pour la politique énergétique de la Région. Il n’y aura pas de modification substantielle du mix énergétique de la Région si vous cantonnez le photovoltaïque aux parties urbanisées et artificialisées de notre territoire.
Nous réaffirmons l’urgence d’une politique régionale de réserves en eau à la fois pour le soutien de la biodiversité à l’occasion des bas étiages et pour les besoins de nos agriculteurs et ceci dans le cadre d’une politique de l’eau économe sur la ressource et gérer de manière publique pour garantir le respect de l’intérêt général. Nous voulons saluer le chemin parcouru dans ce domaine sous la conduite d’Henri Sabarot mais le compte n’y est pas. Encore un effort cher Henri, encore un effort monsieur le Président.
Sur cette affaire, y compris les climatologues les plus inquiets des effets du changement climatique se sont prononcés favorablement à l’adaptation de nos politiques publiques de l’eau. Et notamment à la constitution de réserves en eau pour faire face à des périodes de sécheresse de plus en plus longues. Il y va de la survie de notre agriculture, il y va aussi de la survie d’une partie de notre biodiversité, celle de nos rivières et de nos ruisseaux en souffrance sans soutien lors de nos étiages les plus bas.
Enfin, nous regrettons que cette session n’ait pas permis un débat digne de ce nom sur la question de l’énergie en Nouvelle-Aquitaine et vous ne pourrez mener ce débat qu’en y incluant la question du nucléaire en y affirmant une ambition plus importante dans le photovoltaïque, voire dans certaines énergies aujourd’hui marginalisées (énergies marines, etc). Le groupe Union Centriste vous demande une prolongation du débat Néo Terra, notamment sur ce volet énergétique.
Monsieur le Président, je vous l’ai dit en introduction de mon propos, nous participerons à l’élan politique collectif que vous appelez de vos vœux pour la transition écologique néo-aquitaine. Nous approuvons donc la feuille de route « Neo Terra ». Mais nous voulons le faire les yeux ouverts. Avec détermination. Sur ce sujet, le temps de la communication politique, le temps du « greenwashing », est maintenant terminé. Nos concitoyens nous regardent. Ils ne nous pardonneront pas si nous nous en tenons, comme cela a pu l’être par le passé, à quelques mesurettes d’adaptation. Les réserves que nous mettons en avant, et les oppositions ciblées et limitées que nous portons à certaines de vos fiches d’actions n’ont d’autres ambitions que d’aider à construire d’abord le consensus régional dont ce débat a besoin et ensuite l’élan collectif appelé par un tel chantier.