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15/02/2011 - PPLoi Livre numérique - intervention de Jean Dionis

Publication : 15/02/2011  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Proposition de loi relative au prix du livre numérique

Mardi 15 février 2011

Discours de Jean Dionis du Séjour

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur,
Mes chers collègues,

Voilà le secteur du livre confronté, à son tour, à la révolution numérique. La dématérialisation induit des mutations dans l'ensemble de la filière du livre : disparition et apparition d'acteurs, perte, création et déplacement de valeur, transformation de la chaîne de valeur, restructuration industrielle…

Disons-le d’emblée, le groupe Nouveau Centre est très réservé face à cette proposition de loi, qui consiste en fait à imposer à un marché naissant et plein d’avenir le cadre extrêmement strict et dépassé de la loi de 1981 sur le prix unique du livre.
La loi Lang a été créée essentiellement pour réguler un marché sans internet et protéger les « petits » libraires contre la grande distribution. Reconnaissons que l’impossibilité de « casser le prix » du livre a évité la disparition des points de vente les plus petits. Ainsi, en Grande-Bretagne, où la loi sur le prix unique a été abolie en 1995, on ne trouve quasiment plus que des grandes surfaces culturelles et une offre éditoriale appauvrie.

Mais l’enjeu du livre numérique n’est pas du tout le même, les acteurs sont différents, pour la seule raison – et cette proposition de loi semble l'ignorer – que le livre numérique est bien différent d'un livre ! Le monde numérique n'est pas le monde des supports matériels traditionnels, il obéit à des modèles économiques nouveaux.

L’essor du livre numérique va se jouer autour de quatre enjeux : l'accès, l’objet lui-même, c'est à dire le terminal de lecture, le prix (qui soit nettement inférieur à celui du livre papier) et enfin le droit : les Français souhaitent surtout pouvoir conserver et partager son contenu.

Quel sens y a-t-il à décalquer un système basé sur le transfert de propriété d’un objet matériel, le livre, alors que les usages radicalement nouveaux de la lecture numérique créent d’autres écosystèmes : l’abonnement à un catalogue et non une lecture titre à titre, l’accès à distance depuis une carte de bibliothèque d’un établissement public, l’économie de la contribution, etc. ?

***

Autre faille importante, cette proposition de loi, en ne visant que les opérateurs « établis en France » (art. 3), ne s’applique pas à Amazon, Google ou Apple. Il faudrait étendre le texte aux opérateurs commerciaux « exerçant en France » et « à destination d’acheteurs situés sur le territoire national ».
Reste d’ailleurs à savoir si cette disposition ne pourrait pas être invalidée au plan européen, sauf si elle relève d’une clause sur « la diversité culturelle ».

On peut donc douter de l’intérêt d’une loi française si de nombreux sites marchands étrangers proposent le même objet à des prix différents, sans protection aucune - alors que cette proposition de loi visait à répondre aux acteurs français du livre qui craignent un dumping sur l’offre de livres numériques de la part des géants américains.

***

Cette proposition de loi est également condamnée à l’impuissance faute d’une définition précise du livre numérique. Edicter une loi sur le livre numérique homothétique, n’est-ce pas avoir un train de retard ? Le  livre numérique n’est pas un simple pdf téléchargeable, mais un ensemble de produits déclinés sous des formats multiples, adaptés aux différents canaux de lecture (liseuses, téléphonie mobile, ordinateurs) et adaptés aux spécificités de la lecture numérique, avec des liens hypertextes, des vidéos, l’ouverture vers une profusion de contenus… Cette profondeur constitue justement la plus-value de l’objet numérique.

Tel est l’objet de l’amendement de mon collègue Lionel Tardy, qui vise à intégrer dans le texte même de la loi une définition du livre numérique.

C’est se tromper profondément sur l’enjeu du monde numérique que de considérer comme « accessoire », comme le fait l’article 1, tout ce qui fait le fonds de la démarche numérique, un basculement aussi radical que celui de la copie des moines calligraphistes à l'imprimerie de Gutenberg.

Par conséquent, cette proposition de loi se révèle très ambiguë, puisque d’un côté elle protège des fichiers sans valeur ajoutée en réduisant le livre numérique à la numérisation d’un texte déjà imprimé. De l’autre côté, elle ne s’applique pas à des services qui constituent l’essence même du livre numérique !

De nombreuses questions restent non résolues. Si les textes récents, enrichis et insérés dans une offre à valeur ajoutée ne sont pas concernés parce qu’ils n’ont pas été imprimés avant, des offres comme les bibliothèques numériques sont-elles soumises ou non à l’article 3 ? Qui définit la nature d’une offre commerciale et le degré de services permettant de l’exclure du prix unique numérique ?

Autre point sur lequel je voudrais insister, la variété des œuvres impose d’avoir une vision fine, différenciée, du livre numérique. Un roman, un essai de sociologie, un manuel de cuisine, un beau livre richement illustré, une bande dessinée : autant de livres différents, autant de process de production différents. Par exemple, l’édition numérique des poésies de Philippe Jaccottet ou d’Yves Bonnefoy a peu à craindre d’un modèle de commercialisation tel que celui qui émerge, parmi d’autres, aujourd’hui, d’une vente aux bibliothèques, sans DRM, avec un accès de l’usager au texte à partir d’un identifiant et d’un mot de passe.
En revanche, la question ne se pose pas dans les mêmes termes pour un polar de Mary Higgins Clark ou un roman de Marc Lévy, ou encore pour les manuels universitaires, secteur où les particuliers, principalement les étudiants, représentent l’essentiel du marché et où le manque à gagner pour les éditeurs serait important.

Fixer aujourd’hui un prix unique ne va-t-il pas tuer dans l'œuf ces nouveaux modes de création et d'exploitation, ce qui ne serait guère dans l'intérêt de notre pays, des créateurs concernés ou du public. Se pose également la question des œuvres numériques libres ou ouvertes, qui pourraient bénéficier des cas d’exemption prévus à l'article 2.3.

Enfin, cette proposition de loi ne tient pas compte du modèle économique du livre numérique, qui induit une chaîne de la valeur radicalement nouvelle. Internet va balayer les intermédiaires dont la valeur ajoutée n’est pas assise. L’éditeur, dont la fonction est de sélectionner, imprimer, diffuser, est en turbulences dans la chaîne de valeur internet, qui va se recentrer autour d’un tandem auteur/distributeur électronique.

Dès lors, avec le débat que nous avons ici, est-ce que l’Etat ne se trompe-t-il pas d’enjeu ? Plutôt que de protéger l’éditeur, il faudrait au contraire une loi qui protège l’auteur, le créateur, et qui pose la question fondamentale de l'évolution du droit d’auteur dans nos sociétés numériques. Cette proposition de loi ne revient-elle pas à mener une bataille de retardement ?

Les distributeurs vont se retrouver en position de force, comme cela se passe aujourd’hui aux Etats-Unis, avec une situation qui risque d'être très similaire à celle de la grande distribution, qui impose ses conditions à ses fournisseurs. C’est pourquoi nous soutenons plusieurs amendements visant à construire un garde-fou protégeant les éditeurs de demandes excessives de la part des distributeurs.

***

Dans un univers bouleversé par le numérique, où les modèles économiques associés sont complexes et mouvants, il est pour nous indispensable que les nouveaux modèles de création et d'exploitation aient le droit de se faire entendre au même titre que les modèles traditionnels. Il y va de la compétitivité économique et culturelle de notre pays.

En effet, la plupart des études récentes sur l’état de la culture dans le monde, du livre de Frédéric Martel sur la « culture mainstream » à celui du directeur de France Culture sur le « bug de la culture made in France », font le même constat : la culture française perd du terrain et si elle ne réagit pas, elle sera marginalisée, et, face aux pays émergents, elle sera submergée.

La véritable révolution culturelle, celle de l'accès, de la participation du public à l'édification du savoir, a été gagnée par le Nouveau Monde. La culture à la française, orgueilleuse, élitiste, est percutée par une culture plus vigoureuse, plus entreprenante, celle des Américains.

Convaincu que la transposition de la loi Lang de 1981 aux usages du XXIe siècle, relève plus du syndrome de la ligne Maginot que d'un véritable accompagnement du phénomène de u le groupe Nouveau Centre ne votera pas cette proposition de loi.

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