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05/04/05 - Intervention de François BAYROU à l'Assemblée Nationale sur le traité constitutionnel européen

Publication : 05/04/2005  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

M. François Bayrou - Si le « oui » l'emporte le 29 mai, l'histoire retiendra que ce 5 avril 2005 se sera tenu l'ultime débat sur la figure de l'Europe. Ce débat, qui a en réalité débuté en 1950, devait donner réponse à une question politique essentielle : voulons-nous, dans ce monde où s'organisent et se confrontent les superpuissances, conserver une voix respectée et influente, continuer à défendre les valeurs de la civilisation européenne et faire en sorte que cette Europe entende et respecte ses citoyens ?

La France, avec les autres pays européens, et notamment l'Angleterre, a façonné en partie le visage de la planète. Et, pendant des siècles, nous, nations européennes, avons vécu un équilibre des puissances qui donnait à chacune la chance de faire rayonner son génie. Et puis, imperceptiblement, nous avons vu se lever le nouveau monde. Les Etats-Unis ont fait basculer les forces au cours de la première guerre mondiale, en 1917 ; ils ont supporté l'essentiel de l'effort de guerre entre 1940 et 1945. Ensuite, la guerre froide a connu l'issue que l'on sait grâce, en partie, à leur potentiel technologique et économique. Ce jour-là, les plus lucides ont compris que le centre du monde s'était déplacé, et c'est le général de Gaulle qui l'a dit le mieux, le jour même où il fondait le RPF, en 1947 : « Nous nous trouvons désormais dans un univers entièrement différent de celui où notre pays avait vécu pendant des siècles. Nous fûmes longtemps accoutumés à une Europe équilibrée, où cinq ou six grandes puissances, tout en rivalisant entre elles, et se faisant périodiquement la guerre, avaient une civilisation semblable, une commune manière de vivre, un même droit des gens, où les Etats moins importants se trouvaient protégés par la parité des plus grands, où notre vieux continent dominait en fait le monde par sa richesse, sa puissance, son rayonnement, où la France pouvait mener, avec bonheur ou malheur suivant les circonstances, mais toujours à son gré, une politique traditionnelle, mais fondée sur des données constantes. Le tableau a complètement changé. Notre planète, telle qu'elle est aujourd'hui, présente deux masses énormes toutes deux portées à l'expansion, mais portées (...) par des courants idéologiquement opposés... Dans une pareille situation, placés là où nous le sommes, le maintien de notre indépendance devient pour nous un problème brûlant et capital. Il implique que nous nous appliquions à refaire l'Europe, afin qu'existe, à côté des deux masses d'aujourd'hui, l'élément d'équilibre sans lequel le monde de demain pourrait peut-être subsister sous le régime haletant des modus vivendi, mais non pas prospérer et fleurir dans la paix. »

Aujourd'hui, l'une de ces deux masses s'est effacée, mais une autre s'impose : la Chine, comme Alain Peyrefitte l'avait pressenti. Désormais, l'équilibre entre nations européennes s'est mué en une division qui ne permet à aucune de peser sur le destin du monde. Nous sommes nombreux à ne pas supporter cette réalité, cet effacement et il ne s'agit pas de fierté nationale : ce qui est en jeu, c'est le destin de ce que nous avons de plus précieux.

Le monde nous oblige à revoir nos points communs, et à redécouvrir des siècles d'histoire que notre mémoire courte avait abolis.

Car l'Europe existe ! Elle existait avant les nations et, aujourd'hui, un peuple européen se forme.

Nous avons créé une société qui ne ressemble à aucune autre, une société de liberté, de solidarité et de diversité. Nous n'avons pas l'apanage de la liberté, certes, mais nous sommes les seuls à avoir forcé le destin jusqu'à donner corps à la solidarité et à la diversité, à la fois.

La solidarité est en effet une production européenne ! Nous parlons souvent de la protection sociale à la française, mais elle est née de l'héritage britannique - Beveridge - et allemand - dans la mesure où elle est assise sur le travail. Et d'autres pays, comme la Scandinavie, ont poussé cette protection jusqu'à des niveaux que nous n'avons pas atteints. Nous ne la défendrons qu'ensemble !

Et que dire de la diversité culturelle à la française ! Toujours les empires laminent. L'Europe, au contraire, défend la diversité des cultures et des langues. Elle le fait mieux que la France - je pense en particulier aux cultures régionales (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF), mais songez qu'en Allemagne, 75 % des chansons sont produites directement en anglais !

Nous nous honorerions à entendre ce que l'Europe nous dit en matière de droit, de protection de la vie personnelle, de séparation des pouvoirs, de transparence.

L'Europe doit-elle ou non exister ? Doit-elle être unie ? Doit-elle être démocratique ? Ce fut un long débat que celui-ci : la décision visionnaire, en 1950, de mettre en commun le charbon et l'acier ; l'audace de la CED ; le sursaut du marché commun en 1957 ; l'eurodépression des années 1970 et 1980, avec les trois décisions de Valéry Giscard d'Estaing - création du système monétaire, élection du Parlement européen au suffrage universel, institution du conseil européen - ; l'action de Jacques Delors et de François Mitterrand ; l'Acte unique ; la volonté d'Helmut Kohl et de François Mitterrand de créer une monnaie unique ; le traité de Maastricht ; les échecs du traité de Nice, et aujourd'hui, comme une conclusion logique, le pouvoir politique, et donc la constitution.

Le référendum représente un risque, mais c'est un risque qu'il était juste de prendre. Nous ne répondons pas seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres peuples européens. J'étais hier avec des étudiants originaires de 22 pays de l'Union : tous savent bien que de la réponse de la France dépendra l'avenir du projet. En effet, contrairement à d'autres pays, la France ne peut s'opposer à l'adoption du traité constitutionnel sans remettre en question la construction européenne elle-même. Porteuse du projet constitutionnel, elle ne peut le renvoyer au néant Car tel serait bien l'effet d'un vote négatif !

Je voudrais maintenant répondre aux principales objections avancées contre l'adoption de la Constitution.

Le premier argument est le manque de lisibilité du texte. Pourtant, la première partie, relative au fonctionnement des institutions, donne les règles du jeu en seulement 60 articles, soit 4 pages de journal. Elle consacre la transparence du fonctionnement institutionnel et la séparation des pouvoirs. Quant à la deuxième partie, consacrée à la charte des droits fondamentaux, elle fait du texte un texte conforme à la définition de la Constitution donnée à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée et la séparation des pouvoirs établie, n'a point de constitution ». Enfin, la troisième partie, qui a suscité tant de débats, ne fait que reprendre les quinze traités qui faisaient l'Europe d'hier, sans y introduire de dispositions nouvelles.

Deuxième raison avancée par les partisans du non : le fonctionnement opaque de l'Europe, tout récemment illustré par la directive Bolkestein. Or, précisément, ce projet constitutionnel institue, pour la première fois, une obligation de transparence. Dans l'Europe précédente, celle du traité de Nice, rien n'empêchait de délibérer de questions aussi importantes en secret. Désormais, les délibérations seront publiques et l'approbation des gouvernements et du Parlement européen sera requise pour tous les textes importants. Avec la Constitution, l'Europe prend visage démocratique.

Troisième question hautement importante sur le plan politique : n'y a-t-il pas perte de souveraineté ? Pour le groupe UDF, l'Europe est au contraire synonyme de souveraineté retrouvée. Dans le domaine monétaire, par exemple, avec le franc, nous n'exercions qu'une « souveraineté d'apparence ». La monnaie unique nous a permis de retrouver une souveraineté monétaire, certes partagée mais réelle.

Quatrième question : celle de l'identité européenne qui risquerait de se dissoudre au fil des élargissements à venir, et notamment de l'élargissement à la Turquie. Or, la Constitution cimente l'identité européenne, représente un antidote à ce risque de dissolution.

Quant à l'identité française, est-elle menacée par la Constitution ? Lors des débats auxquels j'ai participé, j'ai entendu toute sorte d'arguments caricaturaux selon lesquels ce texte mettrait en question, pêle-mêle, la laïcité, le droit au divorce, l'interruption de grossesse, l'école publique...

M. Jean Dionis du Séjour - Et même les écoles maternelles !

M. François Bayrou - Toutes ces craintes sont infondées. Mais il convient, pour les apaiser, de rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision de novembre, a affirmé que la Constitution française demeurait la référence en matière de droit interne, qu'elle restait le sommet de la hiérarchie des normes, notamment en matière de laïcité, principe inscrit en son article premier. S'agissant de la vie personnelle et familiale, les articles 2 et 9 de la charte des droits fondamentaux reprennent les dispositions des articles 3, 16 et 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui s'appliquent en France depuis 54 ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Cinquièmement, sur le plan social, dit-on, ce projet constituerait un recul. Au contraire, pour la première fois, un texte européen donne pour objectifs à l'Union : le développement durable, l'économie sociale de marché, le plein emploi, le progrès social, la lutte contre l'exclusion, l'égalité entre hommes et femmes, la solidarité entre générations et la protection des droits de l'enfant. C'est, je le répète, sans précédent !

Mais on peut aussi faire valoir que seules les puissances financières ont intérêt à un monde sans régulation comme l'a bien vu M. Monks, président de la Confédération des syndicats européens, lui qui affirme que « c'est la jungle qui convient au capitalisme international » mais qu'au contraire, « les travailleurs et les syndicats ont besoin de régulation, donc de volonté politique, donc de Constitution » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF).

Sixièmement, l'indépendance de l'Europe. Elle n'est pas menacée. Seul l'article I-40, alinéa 2, fait allusion à l'OTAN en disposant que l'Union respecte le choix de certains Etats membres et leurs obligations découlent du traite de l'Atlantique Nord. Notre liberté n'est en rien amputée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Enfin, le dernier argument pour le non est purement et simplement mensonger : le refus du projet n'aura, dit-on, aucune conséquence sur la construction européenne. Personne ne peut prétendre servir l'Europe en votant non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et les bancs du groupe socialiste) Ce refus serait directement contraire à la dynamique de la construction européenne.

Je lance un défi aux partisans du non : qu'ils trouvent un seul responsable politique européen osant soutenir devant les Français : « votre non n'a pas d'importance, il nous rendra service, il nous permettra de faire une Europe plus intégrée, plus politique, plus sociale ! »

Qu'ils en trouvent un seul présentable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste)

Nous, citoyens français, nous sommes responsables individuellement du plus beau, du plus grand projet que le siècle ait offert à l'humanité. Nous devons décider si nous allons de l'avant, vers l'unité, ou si nous revenons à la division, si nous allons vers la démocratie et le libre débat des citoyens ou si nous retournons en arrière vers l'Europe des initiés et des experts.

Des forces considérables attendent que nous disions non. Les puissances établies ont intérêt à demeurer sans concurrents politiques. L'un des intellectuels les plus brillants parmi les néo-conservateurs américains, M. John Hulsman, pilier de l'Heritage Foundation, dit : « L'Amérique doit en permanence prendre note des désaccords intra-européens afin de les exploiter. Seule une Europe qui s'élargit au lieu de s'approfondir, une Europe à la carte, répondrait à la fois aux intérêts des Etats-Unis et » -merci bien ! - « à ceux des citoyens des pays du Continent ». Malheureusement aussi, certains en Europe espèrent secrètement que le résultat de notre référendum sera négatif car ils ne veulent pas d'une Europe unie ou parce que, comme une partie de la classe politique britannique, ils redoutent d'être ensuite confrontés à un choix historique : sortir de l'Union ou rester en son sein ! Tous ceux qui rêvent de voir l'Europe dériver, se dissoudre, redevenir une simple zone de libre-échange, fêteraient donc la victoire du « non » en France. Il ne nous restera hélas qu'à déplorer les conséquences de la décision que nous aurons prise, celle de l'affaiblissement de la France.

Cette Constitution, c'est notre projet. C'est nous qui avons forcé le destin pour qu'il soit présenté aux Européens et adopté par eux. Il est juste que ceux qui l'ont conçu et porté assument le choix définitif : soit le consacrer, soit l'abattre.

L'UDF demande donc aux Français de voter « oui » : oui à l'Europe, oui au projet qu'ils ont voulu, oui à eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

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