Cette semaine, j’ai décidé de vous livrer mon regard sur les événements exceptionnels qui se sont déroulés en Tunisie et que les observateurs, en l’occurrence inspirés, ont baptisé « la révolution de Jasmin ». Rares sont les moments où un peuple a rendez-vous avec son Histoire. En l’espace d’un mois, les Tunisiens viennent d’écrire la page la plus importante pour leur pays depuis l’indépendance obtenue par Habib Bourguiba en 1956.
Le départ du président Ben Ali devant la pression populaire est une première dans le monde arabe. Cette issue est caractéristique de la fin d’un régime dictatorial. La dictature, c’est la concentration des pouvoirs légaux dans les mêmes mains. Le seul pouvoir capable de faire plier une dictature, c’est la rue, c’est la révolte populaire lorsque le peuple n’a plus peur de la répression dictatoriale. Et lorsque la rue l’emporte comme en Tunisie, le dictateur n’a plus qu’une option ouverte : la fuite, indigne de la part d’un chef d’Etat. A l’inverse, tout l’honneur d’une démocratie réside dans l’acceptation et la reconnaissance par ses dirigeants de leurs défaites, d’ailleurs honorables, lors des élections.
Or, la démocratie ne peut pas être un produit de luxe réservé aux pays au niveau de vie élevé. Elle n’a rien d’évident. Pensons à la crise ivoirienne provoquée par le refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir après la victoire d’Alassane Ouattara aux élections présidentielles (lire www.jeandionis.com/blog. ). Pensons aussi aux difficultés que la démocratie rencontre aujourd’hui à Haïti, en Thaïlande, en Irak ou en Afghanistan et ailleurs. Mais de deux choses, l’une: Soit la démocratie a vocation à devenir universelle, elle a un bel avenir devant elle, soit nous ne la concevons que comme un système politique transitoire et réservé aux seuls pays de la vieille Europe et aux pays anglo-saxons, et elle est sans grand intérêt. J’affirme que la démocratie, et au cœur de celle-ci, les élections libres constituent un idéal universel. C’est pourquoi je me réjouis qu’un régime dictatorial, policier et corrompu tombe, défait par la jeunesse et les forces syndicales de ce pays. Bien sûr, Ben Ali pouvait mettre en avant, certaines réalisations : la Tunisie connaissait un certain essor économique et des avancées sociales avec, notamment, des hôpitaux et des universités très performants. Mais le musellement de toute opposition, la mainmise du clan Ben Ali sur tous les leviers de pouvoir et l’organisation d’un Etat massivement corrompu étaient devenus intolérables.
Et il était très important que la France, qui a toujours soutenu Ben Ali, refuse d’accueillir le président en fuite. Après avoir été très discrète et très prudente sur les événements tunisiens, au nom de la modestie et du refus de donner des leçons à la terre entière (et on peut entendre cet argument), puis très maladroite avec les mots de ses ministres, Frédéric Mitterrand (« Dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ») et ceux de Michèle Alliot-Marie (« Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type »), il était temps que la France marque clairement son soutien au peuple tunisien.
Ce soulèvement populaire a été également rendu possible par la force d’internet et des réseaux sociaux, théâtre virtuel de la révolte qui a accompagné et même propagé le message des manifestants tunisiens pour former une véritable révolution digitale. Le web est souvent décrit comme un outil d’asservissement, sachons reconnaître qu’il peut aussi être un outil de liberté incontrôlable pour un appareil policier. Entendons nous bien : La jeunesse Tunisienne a gagné d’abord parce qu’elle a été courageuse et qu’elle n’a plus eu peur des policiers de Ben Ali. Cette révolution et ses martyrs n’ont rien de virtuels, mais une fois que l’on a reconnu cette vérité première, il est aussi juste de dire que la jeunesse tunisienne a gagné parce qu’elle a su, avec les vidéos YouTube, les pages face book, les sms déborder l’appareil policier d’Etat…..et cela c’est un joli pied de nez à tous les pisse-froids qui nous décrivent les technologies avec une plume exclusivement « Orwellienne ».
Alors, oui, aujourd’hui, je tiens avant tout à partager la joie de la communauté tunisienne de France (environ un million de personnes) dont on a vu la liesse dans les rues de Marseille ou Paris. Cette « révolution du Jasmin », qui a malheureusement coûté la vie à plus de 80 personnes, est un signe d’espoir pour le peuple tunisien.
Que va faire le peuple Tunisien de sa victoire ?
Peut-on annoncer, comme certains le font déjà, la propagation de ce mouvement de révolte dans d’autres pays arabes aux régimes autoritaires ? Je ne le pense pas tant les spécificités nationales, culturelles et historiques de chaque pays sont différentes. Le peuple tunisien a montré un chemin pour reprendre sa destinée en main, à chaque pays de trouver le sien. Je ne me risquerai donc pas à un calcul géopolitique trop avancé sur cette question.
Soyons honnête. Je n’ai plus l’émotion et l’innocence de mes 20 ans, ces sentiments au souffle puissant que j’ai connus en 1979 lorsque le Shah d’Iran a été renversé. J’étais à l’époque plein d’espoir pour le peuple iranien, des attentes rapidement déçues par le régime des Ayatollahs. J’espère de tout cœur que ce vent de liberté qui s’est levé en Tunisie ne soit pas étouffé par les luttes de pouvoir qui vont forcément avoir lieu et qu’il soit préservé des dérives autoritaires et islamistes. Aidons la révolution Tunisienne, mais gardons aussi les yeux ouverts et ayons de la mémoire !
En 1987, Habib Bourguiba, le père de l’indépendance devenu un autocrate paranoïaque, était renversé par Ben Ali. Son arrivée avait suscité une vague d’espoir immense pour les tunisiens. 23 ans après, espérons que son départ marque le début d’une ère nouvelle en Tunisie et que les déceptions de l’histoire passée ne se répètent pas. Le peuple tunisien a été courageux, il mérite cette liberté chèrement acquise.
@+
Blogging
› Voir tous les billets du blog
Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire
proche Tunisie
Je n'ai quitté le sol européen que deux fois dans ma vie, en 44 ans. La deuxième fois, c'était pour un voyage en Tunisie. J'avais touché une petite prime inattendue de mon boulot. Nous étions début janvier, il y a six ans. Avec une copine franco-marocaine,nous avons fait nos comptes,et notre pot commun ne nous permettait qu'un voyage,bradé en cette période de l'année: une semaine sur la côte tunisienne.Toutes deux mères célibataires,assumant seules le poids de nos charges de famille, nous n'avions jamais pu partir ainsi pour une semaine seules.C'était inespéré.La liberté,ne penser qu'à nous, tout oublier, pour la première fois... Et puis la Tunisie, sous le soleil de Janvier, deux jours de pluie,le désert,l'hôtel qui nous semblait trés luxueux... tous les clichés de base pour touristes européens. Les Tunisiens que nous rencontrions nous voyaient d'abord comme des vaches à lait, à qui vendre tout ce qu'ils pouvaient. Et puis... il y eut des rencontres imprévues, loin des regards, des sentiers battus.La pauvreté certes, je reste marquée, mais autre chose: la peur, indescriptible,l'envie de parler, d'échanger, les mots glissés en douce à voix basse, d'un artisan "ne vous fiez pas à ce que vous voyez, ce qu'on veut bien vous montrer...". Alors j'ai déserté les autocars, les circuits trés encadrés, les soirées bien organisées, de toute façon j'avais pas le budget. J'ai marché, comme j'ai toujours fait, chez moi à Agen. j'ai marché, des heures, des kilomètres. J'ai regardé cette autre Tunisie, discrète. Tunisie d'une arrière cours où je me suis assise sur un seau retourné, regarder une vieille femme nettoyer avec soin les tripes d'un mouton, les laver longuement, sans un mot échangé entre nous, que des regards. J'ai repensé à ma grand mère, à la campagne, qui lavait de même les abats du cochon à la tue-cochon aussi en janvier. J'ai regardé cette fillette attablée dans le restaurant que tenait son père, sous son regard, étudiant avec application ses leçons. J'ai regardé cette jeunesse, ces enfants qui attendaient le car de ramassage scolaire, au bord d'une route en plein désert. Des enfants partout, qui semblaient massivement scolarisés, en uniforme. J'ai écouté un fonctionnaire me dire avec du miel dans la voix son pays, son travail, une pointe de tristesse tout au fond, trés loin dans sa voix,que j'ai pris sottement pour de l'envie envers notre administration à la française, quinze ou vingt minutes dans le vif du sujet, à échanger sur nos emplois respectifs, nos administrations, mais... après deux heures d'entrée en matière à "tourner autour du pot", pour ce que j'avais ressenti... en fait deux heures à échanger des politesses, se soucier de ma satisfaction de mon séjour, me proposer de l'améliorer s'il le pouvait, et autres interminables salamalèques, qu'en occidentale jamais sortie de son trou je n'avais jamais rencontrées. La politesse, la courtoisie à l'orientale, doublée de ce sens de l'hospitalité que le Maghreb, la Tunisie en particulier, ont élevé au rang d'un art inégalé. Deux heures à voir un inconnu se soucier de ma santé, mon séjour, m'interroger sur ma famille, me proposer en fin de compte l'hospitalité de sa maison, vouloir me présenter sa famille... mon emploi du temps imposé par le tour operator m'a obligé à décliner l'invitation. Et on vient me dire après que c'est nous les civilisés! Mais au delà des apparences, au delà du choc des cultures, je repense à ces élèves par milliers.Le contraste effrayant pour moi, occidentale, entre ces enfants en uniforme pour l'école, et ces prisonnières elles aussi en uniforme, marchant au bord d'une route, allant vers leurs travaux forcés, encadrées par des gardiennes armées. Le regard de notre guide à ce moment là, son lèger mouvement de tête disant "non, ne me posez pas de questions!", la peur au fond de ce regard, une peur qui m'a figée.Malaise, plus qu'un malaise, face à cette réalité derrière les apparences riantes d'un pays en pleine expansion économique. Une dernière image, un souvenir qui bêtement m'émeut encore comme ce jour là où, sur une plage de Tunisie, des collégiens faisaient du sport, cours d'éducation physique avec leur professeur. Je les reverrais toute ma vie.Je m'approche, ils sont une dizaine, une quinzaine d'années. Ils forment un groupe, ils s'élancent en courant à petite foulée, légèrement penchés en avant, se font des passes. Devant eux, d'autres élèves les attendent, essaient un plaquage sur leurs camarades en pleine course tenant dans leurs bras un ballon de rugby. Je les revois, ils ont quinze ans, ils jouent au même rugby que les garçons de leur âge dans mon pays de l'Agenais. Demain l'un d'eux sera peut être le capitaine du SUA, pourquoi pas? Ces collégiens d'hier sont sans doute les acteurs de cette révolution de Jasmin d'aujourd'hui. J'ai confiance, non que leurs chances de trouver la voix de la démocratie aille de soi, dans cet environnement économique et politique en pleine mutation qui est celui de la Tunisie ces jours ci... J'ai confiance parce que ce pays a misé sur sa jeunesse, son éducation, parce que les parents d'hier ont enduré beaucoup de choses dans l'espoir de récolter les fruits pour leurs enfants, tellement orientés vers cet espoir qu'ils en ont surmonté l'insupportable. Les fruits de cet espoirs sont arrivés à maturité, il faut le souhaiter. Ces fruits s'appellent démocratie, liberté, droit d'un peuple à disposer de lui même... Il est temps pour la Tunisie de récolter ces fruits, elle l'a mérité, le peuple tunisien l'a largement conquis pour ses fils. Il nous appartient de soutenir et d'accompagner ce peuple frère. Dans le respect et la fraternité. Partager nos valeurs communes: Egalité, Liberté, Fraternité. Pour tous. Et rugby!
quelle belle leçon....
un renversement dans la dignité après beaucoup d'humiliations....c'est une belle leçon donnée par le peuple tunisien! il eut été dommage et incompréhensible d'envoyer nos chars...n'est ce pas ? comme il est bien dommage que de telles paroles aient été prononcées....m^me maladroitement parait il....mais qui donc nous fera retrouver nos vraies valeurs républicaines???? en 2012, peut être..alors, mes meilleurs voeux à tous, et à la France.....sincèrement...
Il faut détruire Carthage?
C'est à se demander si paradoxalement ce n'est pas le développement économique (FMI 2008) et globalement la relative modernité (occidentalisation) de la Tunisie par rapport à d'autres Etats Arabes voisins qui favorisa cette Révolution. Et on se souvient en effet du cas de la Révolution Iranienne de 1979 dans un pays qui était beaucoup plus avancé dans sa sphère régionale ... J'ai en mémoire le fait que mes amis Algériens sortaient de leur pays pour trouver en Tunisie un espace de relative tranquillité (téléphonie-internet-culture), ou même travail, malgré tout. Le meilleur Etat qui soit c'est un Etat faible et c'est valable partout, et plutôt bon pour ceux qui aiment la liberté (pensez à la LOPPSI et autres en contrepoint).
Le peuple Tunisien doit preseverer dans sa vigilance citoyenne!
Très ému, j'ai été très attentif jour après jours du déroulement du soulèvement populaire en tunisie. Ce qu'a fait le peuple tunisien est formidable. Les comités de quartier créés spontanément après la sortie des milices m'a boulversé d'émotion! Le peuple en soutien à son armée républicaine!!! Pour ma part, je souhaite parler de l'après soulèvement. Je pense que la diplomatie française doit maintenant travailler un peu plus sur le long terme. La pratique diplomatique "à la française" depuis l'arrivée de sarko au pouvoir ... et même avant lui ... travaille à "flux tendu". Aucun stratégie d'anticipation n'est mise au point! Monsieur Fillon disait à l'assemblée nationale: "Parfois l'histoire va plus vite que la diplomatie" ... enfin un truc dans le genre. Moi je pensais naïvement que c'est AUSSI la diplomatie qui faisait l'histoire des peuples! En fin bref, passons. La diplomatie française doit maintenant et vite travailler sur une stratégie d'anticipation d'un effet dominos qui se dessin progressivement sur le maghreb. Les medias n'ont jamais parlé de la marche pacifique que compte organiser le parti de Said SADI demain à Alger! Le seul Parti Laïque de l'Algérie a deposé une autorisation auprès du minstère de l'interieur pour organiser une marche de protestation contre le fonctionnement des institution, et pour une justice et une liberté dans ce grand pays ... Et ici en france, rien! Makach Oualou!!! Le minsitère de l'interieur a bien entendu interdit cette marche. Le parti Kabyle maintien sa marche pour demain, il est soutenu par les artiste, les syndicats de travailleurs (independants), il est egalement soutenu par le mouvement des étudiants ... La réponse du pouvoir a été simple. Organiser des groupes de casseurs, falsifier des cartes du parti pour infiltrer le cortège ... Bref, le pouvoir veut (de)montrer au media etranger et aux algériens que nous ne sommes pas en mesure d'organiser ue marche pacifique! La route nationale reliant la kabylie à la capital est aujourd'hui filtrée. Toute immatriculation de véhicule d'origine kabyle est priée de rebrousser chemin! Lorsque les médias (même toi cher Jean) abordent la probabilté d'une propagation de la révolution du jasmin, jamais personne n'a cité l'ALgérie. On a cité la jordanie, l'Egypte, ... mais jamais l'ALgérie! COmment doit-on encore interprèter ça??? Le gouvernement Algérien fait tout actuellement pour espèrer le chaos en Tunisie. Personne n'en parle! Pourtant les journaux algériens sont accéssibles sur le net! Je pense que la france va encore rater son rendez-vous avec l'histoire. L'histoire risque encore d'être plus rapide que la diplomatie Française. ... Bref, c'est tout le mal que je souhaite à l'Algérie!