Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Monsieur le Ministre,
Ce projet de loi sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer ce jour, se voulait une réponse forte aux violences urbaines que nous avons connues à l’automne dernier.
A ce titre, il aurait pu, et il aurait dû, être l’instrument d’une mobilisation nationale en faveur des quartiers urbains, bien au-delà de nos appartenances et de nos divergences politiques, pour décider d’un véritable plan Marshall des banlieues.
Un plan qui survive aux alternances politiques, un plan qui démontre la détermination de la nation, toute entière, à résoudre les difficultés des populations les plus reléguées de notre pays.
Bref, l’instrument de la cohésion nationale pour davantage de cohésion sociale.
Au lieu de cela, l’examen de ce texte aura été l’occasion de laisser libre cours à l’expression de nos divisions nationales les plus caricaturales, celles-là même qui expliquent que nous ayons abouti à la situation actuelle.
L’impression qui domine aujourd’hui, est celle d’un triple gâchis.
Impression de gâchis devant un texte qui, bien qu’imparfait, comportait des mesures intéressantes, mais qui ont été totalement occultées par l’ajout in extremis, par le gouvernement, et pour des raisons de pure opportunité, des dispositions créant le Contrat Première Embauche.
Sentiment de gâchis à l’issue d’un débat parlementaire précipité et tronqué, dans cette assemblée, par l’utilisation du 49.3, et qui a été précédé d’une absence totale de considération pour la démocratie sociale et le dialogue avec les partenaires sociaux.
Sentiment de gâchis enfin, quand on regarde la contestation sociale grandissante que provoque évidemment l’adoption du CPE, et quand on constate l’anxiété des jeunes qui monte d’un cran supplémentaire face au risque du chômage et de la précarité.
Etait il vraiment besoin d’en rajouter ?
Bien des dispositions de ce projet de loi étaient discutables et méritaient d’être amendées.
C’est, notamment, ce qui a pu être fait au Sénat, où la discussion a démontré toute l’utilité, dans une démocratie majeure et responsable, de laisser, au Parlement, le temps de débattre des projets de loi qui lui sont soumis.
Certaines dispositions recueillent notre assentiment.
Il en est ainsi tout d’abord, du principe de l’apprentissage junior, pour lequel des garanties, dans le domaine de l’encadrement éducatif, ont été apportées.
Nous approuvons, par ailleurs, la volonté du gouvernement de sécuriser les stages professionnels.
Nous sommes également sensibles à la création d’un service civil, qui offre aux jeunes en difficulté la possibilité d’acquérir des savoir-faire dans le cadre de missions au service de la collectivité.
Le groupe UDF aurait cependant souhaité que ce service civil soit obligatoire, de manière à ce que chacun consacre un moment de sa vie à l’intérêt général.
Nous ne pouvons, enfin, que nous féliciter de l’adoption, à l’initiative du groupe UC-UDF au Sénat, d’un amendement inscrivant le principe de l’anonymat des curriculum vitae.
Je me suis efforcé, depuis plus de deux ans, de promouvoir l’inscription, dans la loi, du CV anonyme.
C’est suite aux initiatives de l’UDF, dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, que la décision de confier une mission de réflexion à Roger Fauroux avait été prise, mission qui a abouti à un rapport très instructif.
Le débat a pu progresser, pour finalement aboutir à cet amendement qui est une avancée concrète, réelle, et importante de la législation dans le domaine de la lutte contre les discriminations à l’embauche.
Mais cette seule disposition ne peut être l’arbre qui cache la forêt.
Parce que vous avez voulu faire du CPE la mesure-phare de ce projet de loi, vous ne vous étonnerez donc pas que l’avis du groupe UDF sur celui-ci, guide notre vote.
Or, le CPE, à l’instar du CNE, nous apparaît comme un contrat doublement trompeur.
Trompeur d’abord pour le jeune salarié, puisqu’en fait de marche-pied vers l’emploi, ce contrat l’installe dans la précarité d’une relation de travail qui, pendant deux ans, peut être interrompue, à tout moment, par l’employeur.
Et cela sans qu’il soit besoin de motiver le licenciement.
Permettre le licenciement sans raison d’un salarié n’est pas notre conception d’une législation du travail moderne et protectrice.
Pour faciliter l’instauration d’un climat de confiance dans la relation de travail, les règles du jeu du contrat doivent être au préalable, claires et stables.
Trompeur ensuite pour l’employeur, dans la mesure où l’absence de justification du licenciement ouvre la voie à une multiplication des recours devant les juridictions prud’homales.
Ce n’est, certes, que l’application normale du droit, mais cela ne fait qu’augmenter l’insécurité juridique dont se plaignent déjà de nombreux chefs d’entreprises.
Une insécurité juridique renforcée par les doutes existant sur la conformité de ce contrat aux engagements de notre pays signataire de la convention 158 de l’OIT.
Celle-ci stipule, en effet, qu’un travailleur ne peut être licencié sans "motif valable lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise".
L'article 2 permet, certes, de déroger aux dispositions de la convention pour « les travailleurs en période d'essai, ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise à condition que cette période soit déterminée par avance et qu'elle soit raisonnable ».
Je rappelle que la Cour de cassation considère comme « raisonnable » une période d'essai maximale de trois mois.
L’absence de justification du licenciement pendant deux ans nous fait douter de la conformité du CPE à cette convention.
J’ajoute qu’en créant un contrat de travail supplémentaire, avec son régime juridique spécifique, on ne fait que rendre davantage complexe le droit du travail, que la majorité voulait simplifier.
Depuis 2002, les interventions législatives sur le droit du travail ne font, en effet, que se multiplier.
Suspension, puis abrogation de certains articles de la loi de modernisation sociale, réforme partielle de la procédure du licenciement, réforme du dialogue social, création du contrat jeune en entreprise, suppression des CES et CEC, création du CIVIS lui-même mis en veilleuse avec la création des contrats d’avenir et du contrat d’accompagnement dans l’emploi, création du CNE et, maintenant, du CPE dans l’attente de l’entrée en vigueur des contrats seniors.
La législation du travail évolue ainsi continuellement, à intervalles réguliers, sans qu’elle n’ait de véritable impact sur les créations d’emploi, ni qu’elle ne gagne en lisibilité.
Une lisibilité et une stabilité de la loi dont les employeurs sont également demandeurs pour embaucher sereinement.
Ils ont moins besoin d’un contrat de travail supplémentaire, déjà trop nombreux, que d’une croissance économique soutenue par des décisions efficaces de l’Etat dans les domaines économique et fiscal.
Ils attendent, également, de l’Etat qu’il assure une meilleure adéquation entre leurs besoins de recrutement, et la formation des jeunes, et plus généralement, des demandeurs d’emploi.
Nous avions présenté des amendements visant à rendre plus sûr le contrat, tant pour les salariés que pour l’entreprise : vous les avez refusés.
Il ne s’agit pas ici de nier la gravité des difficultés que connaissent les jeunes pour entrer sur le marché du travail, et avoir accès à l’emploi pérenne.
Mais le CPE est une réponse inadaptée.
Nous sommes également bien conscients du besoin de souplesse, de flexibilité, qui est nécessaire au monde de l’entreprise.
La sécurité des salariés ne peut être assurée en mettant en cause la capacité de l’entreprise à évoluer dans son univers concurrentiel.
De même, les performances et la compétitivité de l’entreprise ne peuvent pas être obtenues aux dépens du salarié.
C’est la raison pour laquelle il est clair pour l’UDF, que nous ne pouvons avancer réellement dans ce domaine, qu’avec les partenaires sociaux, dans la logique d’un rapport « gagnant-gagnant » entre employeurs et salariés.
Pour l’UDF, d’autres solutions existent, comme une meilleure adéquation des formations aux besoins des entreprises, une sécurisation accrue des parcours professionnels, la modernisation d’un CDI qui confère aux salariés des droits et des garanties s’accentuant avec l’ancienneté, un droit à la formation pour tous.
De ce point de vue, le CPE est une décision à contre-sens.
Il creuse un peu plus le fossé existant entre nos concitoyens et l’entreprise, alors qu’il y a urgence à réconcilier les Français avec le monde économique.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDF n’approuvera pas votre texte.
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