Notre pays rentre cette semaine dans son troisième mois de débat et de conflit national au sujet de la réforme des retraites proposée par le gouvernement. Clairement, la semaine prochaine sera décisive quant à l’issue de ce conflit, le Sénat se prononçant sur cette réforme au plus tard le 12 Mars et le mouvement syndical jouant le mardi 7 Mars une de ses cartes majeures en appelant à une grève reconductible dans le pus grand nombre de secteurs d’activités.
Au tout début de la démarche gouvernementale, j’ai pris position en faveur de cette réforme (merci de lire ma chronique de début Décembre juste ici). Bien des choses ont bougé en 3 mois : l’âge légal de départ à la retraite envisagé est 64 ans et non plus 65 ans, des avancées ont été actées sur les carrières longues, etc.
Je l’ai fait principalement autour de trois arguments :
1) L’état des finances publiques françaises (3100 milliards d’euros de dette) ne permet pas d’envisager une aide supplémentaire du budget de l’Etat par rapport à celle apportée actuellement au déficit du régime des retraites (30 milliards d’euros par an).
2) La plupart de nos pays voisins européens ont adopté des âges de départ légaux à la retraite de 65 ans et plus (l’Allemagne, 67 ans). Il y a donc un vrai risque de perte de compétitivité à être les seuls à rester à 62 ans.
3) Les retraites représentent en France 24% de la dépense publique totale obligatoire, beaucoup plus que chez nos voisins. Difficile de donner plus à certaines politiques publiques prioritaires en France (la Justice, par exemple) sans rééquilibrer notre répartition de la dépense publique.
Trois mois de débat national ont passé. Je reste favorable à cette réforme, même si j’en vois clairement les défauts (rigidité, uniformité, …) et les limites.
Mais aujourd’hui, je voudrais essayer de prendre de la distance par rapport au débat législatif et interroger le présupposé « philosophique » de la plupart (pas tous, …) des opposants à cette réforme. Il suffit de lire les banderoles (d’ailleurs percutantes) des manifestants : « Métro, boulot, caveau », « ils ne nous voleront pas deux ans de notre vie », pour y voir une opposition manichéenne entre le travail et la retraite. Je force, à peine, le trait en résumant : « le travail, c’est l’enfer, la mort ; la retraite, c’est le paradis, la vie » ...
« Le travail, c’est l’enfer, le bagne, la mort… » Je sais la dure part de vérité qu’il peut y avoir dans cette vision pour des millions de concitoyens ayant des fonctions usantes, sous-qualifiées et mal rémunérées.
Mais, « la retraite, c’est le paradis, la vie… » mes contacts permanents, notamment comme maire, avec nos concitoyens les plus modestes et les plus exposés à la dureté du travail, me font dire que c’est beaucoup plus complexe que cela. Je n’ai pas entendu beaucoup de voix fortes et raisonnables dans ce débat dire qu’il y a, à la retraite, des risques forts d’isolement social et de tout ce qui va avec : ennui, nostalgie… et qu’il nous faut aussi regarder lucidement ces réalités massives.
Hors sujet par rapport au débat actuel ? Pas du tout, au contraire, ce sujet est au cœur de ce qui se passera après, dans deux ou trois mois, quand le débat actuel aura été définitivement tranché d’une manière ou d’une autre. Et quelque en soit l’issue, il faudra bien continuer à faire évoluer, et le travail, et les retraites pour éviter les défauts majeurs de l’un et de l’autre dénoncés ci–dessus.
Aussi, je voudrais essayer d’identifier les chantiers majeurs :
1) Plus de liberté personnelle dans la gestion de la transition travail-retraites : les situations personnelles et professionnelles sont tellement spécifiques qu’il faut renvoyer à chacune et chacun la responsabilité de gestion de cette transition. J’étais favorable à un système de gestion des retraites à point. Je pense que dans un avenir assez proche, il faudra y revenir.
2) Favoriser le travail des seniors : Les seniors (de 50 ans à 65 ans) ont été en France les victimes expiatoires des trop longues années d’un chômage très élevé. Ces années-là sont derrière nous, pour longtemps, grâce à la politique pertinente « pro-travail » du gouvernement et à la démographie française. Il nous faut donc construire une véritable politique de l’emploi des seniors qui aille bien au-delà du modeste « index senior » contenu dans ce projet de loi. Il faut mettre en place le temps partiel seniors, il faut travailler sur la nature (forcément différente en fin de carrière) des postes seniors et leurs rémunérations (pas forcément hors de prix pour les entreprises, etc.).
3) Faire des retraités des citoyens pleinement insérés dans la vie sociale du pays : là aussi, il est temps de bouger si on veut éviter que la chape de la solitude et de l’ennui ne tombe trop durement sur nombre de nos retraités. Pour cela, il faudra élargir les possibilités du cumul emploi/retraite, faciliter le bénévolat de nos retraités par la mise en place d’un véritable statut du bénévole associatif et encourager tous les dispositifs de réserve citoyenne mobilisable en cas de crise (sécurité civile, crise sanitaire, pompiers, etc.). En effet, de même que la mobilisation du capital d’expérience et de savoir-faire de nos seniors est un enjeu majeur pour les entreprises, de même la mobilisation citoyenne des retraités est une vraie piste d’avenir pour nos sociétés et plus précisément pour nos collectivités locales. Bien entendu, tout cela se module et se différencie suivant les personnes concernées, leur santé, leur âge, leur niveau de qualification, etc.
L’actuelle réforme gouvernementale, nécessaire à mon avis, ne peut en aucun cas nous exonérer de ces trois axes de changement qui, au-delà des enjeux de finances publiques, permettront enfin de sortir de cette rupture souvent sensible et violente entre vie professionnelle et retraite.
Commencer à aborder aussi le débat sur la réforme des retraites sous cet angle mort qu’est l’interface entre vie professionnelle et retraite ferait du bien à tout le monde…
Nous, les Français, sommes un peuple très politique et je crois qu’au fond de nous-mêmes, nous n’aimons pas les manichéismes trop simplistes « Travail=enfer et retraites=paradis ? ». Non, merci…
C’est plus compliqué que cela et ça tombe bien, les citoyens ont des idées pour rendre cette rupture si douloureuse plus humaine… Et si cette aspiration avait pour devise : « travail et retraite, un mélange qui vous va bien »…
J’espère vos réactions,
@+,
Jean DIONIS
Maire d’Agen
Cher Jean, je partage assez largement le point de vue que tu exposes ici. Sauf sur un point : les trois chantiers majeurs, dont tu soulignes justement l'importance, auraient du être des préalables à la réforme. Ce n'est pas le cas et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles l'effort demandé aux Français (2 ans de plus) passe si mal. Il n'est pas encore trop tard pour éviter un passage en force qui laissera sinon des traces dommageables. Cordialement, BL
Mr Dionis,
Je reconnais et je partage le bon sens dont vous faites preuve sur ce sujet épineux, merci ☺️ pour ces positions à la fois réalistes, pragmatiques et humaines !