Nous venons de vivre l’impensable…
Mercredi dernier 6 janvier, la démocratie américaine a vacillé sous la double pression d’un Président sortant, battu, Donald Trump, mentant sans aucune limite quant aux résultats des élections et celle de ses partisans, tentant d’enrayer, dans la violence, la certification de la dernière élection présidentielle par le Parlement américain.
Inimaginable…
Et pourtant, il est possible que la démocratie américaine n’ait tenu qu'à un fil, que par la volonté et le sens de l’honneur de quelques responsables Républicains, comme le vice-président Mike Pence ou le chef de la majorité des républicains au Sénat, Mitch McConnell. Ecoutons celui-ci alors qu’il est sous la pression d’émeutiers venant de son camp : « Les citoyens, les tribunaux, et les Etats ont tous parlé. Si cette élection est renversée par de simples allégations venant des perdants, alors notre démocratie entrera dans une spirale mortelle ». Ils ont tenu bon. Le parlement a repris son travail de certification et validé l’élection de Joe BIDEN. Celui-ci sera officiellement intronisé Président des Etats-Unis d’Amérique le 20 janvier prochain.
Trois jours plus tard, le vendredi 8 janvier, le Président de Twitter, Jack Dorsey, prend la décision de suspendre définitivement le compte Twitter de Donald Trump.
Pour justifier sa décision, le réseau social pointe deux tweets de Donald Trump datés du vendredi 8 janvier, qui peuvent « inciter à la violence » et qui enfreignent donc ses règles internes.
« Nos règles sur l’intérêt du public existent pour permettre aux gens d’entendre directement ce que les élus et leaders politiques ont à dire (…) Ces comptes ne sont pas entièrement au-dessus de nos règles » a également fait savoir la plateforme.
Avec plus de 88 millions d’abonnés, Twitter était jusqu’à aujourd’hui la plateforme de prédilection de Donald Trump, celle qui lui servait à faire des annonces politiques, fulminer contre les médias ou insulter ses adversaires au quotidien.
Cette suspension de Twitter, suivie par des suspensions analogues sur les autres réseaux sociaux (Facebook, instagram,…) a immédiatement reposé l’ensemble des débats de fond bien identifiés depuis les débats sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN 2004), dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur à l'Assemblée nationale : la décision de Twitter est-elle légale ? La responsabilité de Twitter pouvait-elle être engagée par rapport aux actes meurtriers commis au Capitole ? Quelles limites à la liberté d’expression sur Internet et plus précisément sur les réseaux sociaux ?
Au risque d’en décevoir beaucoup, il me semble que la décision de Twitter est légale. Sauf obligation mise en œuvre par la loi, la plateforme Twitter est maître du contrat qu’elle passe avec ses abonnés. A partir du moment où ceux-ci signent ce contrat (les fameuses conditions générales d’utilisation), ils doivent les respecter. S’ils ne le font pas, et Twitter a estimé que Trump en appelant ses partisans à la violence ne le faisait manifestement pas, alors, Twitter est en droit de suspendre ce contrat. Dont acte.
Par ailleurs, la responsabilité de Twitter, qui n’est qu’un hébergeur, donc à priori un intermédiaire technique, à priori irresponsable, pouvait sans doute être engagée quant à l’obligation que lui fait la loi de retirer de sa plateforme tous les contenus signalés enfreignant certaines interdictions précisées par la loi, et notamment l’incitation à la violence, ici visée…C’est en tout cas visiblement la lecture qu’en a fait Jack Dorsey, le PDG de Twitter.
Reste la question démocratique de fond : quelles limites à la liberté d’expression sur Internet ? Et qui pour les mettre en œuvre ? Le droit français, quant à lui, est bien fait. Il pose en principe la liberté d’expression. Mais, il l’équilibre avec des « garde-fous » comme l’interdiction de diffamer.
La présidence de Trump a posé un problème inédit : l’utilisation des moyens et du prestige de la fonction de président de la plus célèbre démocratie du monde pour mettre en œuvre une stratégie politique ouvertement populiste : l’émotion plutôt que la raison, la société post-vérité, et le fameux « la vérité est ailleurs » qui relativise radicalement l’importance de la vérité et qui s’autorise chaque fois que cela est nécessaire, le mensonge comme outil politique.
Trump est loin d’être le seul à avoir détourné les réseaux sociaux en utilisant cette stratégie « post-vérité ». Mais, il est celui qui s’en est le plus massivement servi d’où les 88 millions d’abonnés sur Twitter.
Que faire ? Rappeler encore et toujours qu’Internet, ce n’est pas le Far-West ou le paradis sur terre, mais, c’est un espace où s’applique le droit et ses règles et parmi ses règles, le débat central, extrêmement politique et sensible, est celui du mensonge et de la vérité. Aucune société ne peut se construire sans confiance réciproque entre ses différents membres et cela passe par des paroles de vérité. Le Nouveau Monde, la société virtuelle à venir, comme les autres, devront nécessairement resacraliser la vérité. Séparer ce qui relève du débat contradictoire d’opinions libres et respectables de ce qui est mensonge construit et intentionné.
Nous ne ferons pas l’économie de mailler notre société de « gardiens du temple », qui seront des autorités sectorielles pour détecter et signaler les mensonges évidents. Je connais les limites de cette approche. Olivier Babeau, président de l'Institut Sapiens, le dit très bien dans un entretien donné au Point de cette semaine : « Le problème des censures est toujours le même, c’est la fameuse question de Juvénal : « qui gardera les gardiens ? » Autrement dit qui décidera de ce qui est haineux ou pas ? Du vrai et du faux ? » . Questions vertigineuses…mais, nous n’avons plus le choix. Il faut nous organiser, j’allais dire nous vacciner contre le mensonge de masse.
Il va nous falloir articuler experts scientifiques et la Justice, qui devra en final apprécier les preuves forcément contradictoires des parties en présence.
Bref, comme le dit, joliment, le physicien Etienne Klein, il va nous falloir retrouver le goût du vrai.
C’est urgent !...Sinon, nos démocraties seront devant un danger mortel.
Tout à fait d'accord avec la décision de Twitter ! Trump est un danger pour son pays et pour l'humanité !
Je pense que ton analyse est excellente Jean !!!!
C de Gaulle qui dit:"en politique on a le droit d'être astucieux,surtout il ne faut pas mentir ".Ce que je viens de lire est un vœux pieux !!Qui a fait imprimer dans agen actu en page 4 un gros titre : 17 ans de stabilité fiscale les impôts n'augmentent pas à Agen!!!Gros mensonge s'il en est.......plus de 50% d'augmentation du foncier bâti constate sur mes avis d'imposition !!!!
La librté d'expression est inaliénable
Merci, Jean, poour cette analyse qu nous éclaire. Ce qui s'est passé aux USA est grave pour la démocratie,
mais on peut s'interroger aussi sur cette puissance des réseaux avec lesquels nous allons vivre....
Bonjour,
Cela fait longtemps que tout le monde le sait, nous souffrons de l'invasion de la médiocrité, de la bassesse, des pièges, des rackets, des sabotages, et des horreurs qui circulent via Internet et les réseaux sociaux sous les abris d'une liberté d'expression qui-bien que bardée de lois et de règlementations-ne réagit pas. Rien n'y fait, nous sommes de vraies passoires, des ventres mous. Nous avons fait des progrès considérables dans de nombreux domaines mais pas dans celui des qualités morales. Ainsi la citation de Paul Valéry énoncée bien avant l'émergence d'Internet est toujours d'actualité : "Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur".
Conclusion : Si nous laissons la barbarie nous envahir, nos démocraties seront laminées et nous avec.