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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Notes de lecture : « Adichats » de Michel Serres.

Publication : 06/07/2020  |  13:32  |  Auteur : Jean Dionis

On ne lit jamais que sur recommandation.

C’est Frédéric Delbert, maintenant aux commandes de notre prestigieuse librairie du centre-ville d’Agen, qui me mit sur la piste de l’« Adichats » de Michel Serres encore tout chaud des presses de son lancement. Il savait qu’il ne se trompait pas. Même à titre posthume, Michel Serres m’enseigne sur Agen, la ville dont je suis le maire.

Mystérieux, ce livre, cet adieu, qui prend corps chez Michel Serres en 2001, soit dix-huit ans avant sa mort (!) et pour lequel l’auteur ne voulait une existence qu’après sa mort…comme un message posthume, d’outre-tombe.

Tous les textes sont intégralement les siens. Mais le sommaire est de son éditrice, Sophie Blanquart. Elle, comme moi, comme tous les lecteurs de ce livre, a cherché le sens profond de ce projet de Michel Serres. Elle propose sa réponse : ce livre fait sa place à un Michel nostalgique du passé à jamais enfoui et oublié. Il s’approche parfois dangereusement du « C’était mieux avant » que Michel récusait de toutes ses forces, lui qui se définissait comme un « optimiste de combat ». Pas de place pour la nostalgie, avant que le combat ne fut terminé, sacré Michel !

Quant à moi, j’ai lu ce livre comme un témoignage d’une longueur et d’une qualité exceptionnelles (90 ans) d’un Agenais qui a habité notre ville jusqu’à la fin de son adolescence et qui, ensuite, ne l’a plus regardée qu’en exilé passionné n’y faisant plus que des passages furtifs.

Cette durée, 90 ans et ce double regard croisé d’habitant et d’exilé permettent au lecteur l’accès à une réflexion rare et précieuse sur l’identité agenaise.

L’identité, nous le savons maintenant, cela renvoie à nos chromosomes génétiques et à la manière dont ils s’accrochent entre eux. Bref, cela renvoie à notre ADN agenais.

Michel Serres insiste sur trois de ces chromosomes : les paysans, Garonne, le rugby.

Les paysans d’abord. Comme d’autres magnifiques romanciers, Michel Serres sait dans cet              « Adichats » nous ressusciter l’Atlantide perdue de la civilisation agricole d’avant la deuxième guerre mondiale. Tout un univers à jamais perdu d’odeurs, de musiques, de métiers, de mots.

Reste qu’Agen et le Lot-et-Garonne sont et resteront une terre bénie des dieux pour la fertilité de ses terres.

Les vallées de Garonne, du Lot, mais aussi de la Baïse, du Gers, du Dropt sont parmi les plus fertiles de France d’autant plus que nous avons de l’eau qui nous vient des montagnes et du ciel, pour un peu qu’on veuille bien laisser nos paysans la stocker en hiver pour en profiter lors des nos étés de plus en plus chauds.

1930-2020 : tout a changé chez nos paysans. Tout, sauf les terres fécondes, l’eau abondante, une polyculture qui lutte et s’adapte au monde moderne : le bio, les circuits courts, plus de fruits, plus de légumes…Agen renvoie toujours cette belle image de ruralité moderne et elle doit la porter fièrement comme un drapeau. A la lecture de Michel Serres, l’identité d’Agen comme haut lieu de l’excellence agricole et alimentaire française s’impose. Agen doit faire de sa proximité avec tous les paysans du Lot-et-Garonne une partie indélébile de sa signature.

Içi, c’est Agen, pas de place, jamais à l’agribashing,

Içi, c’est Agen, à jamais, respect et honneur à nos agriculteurs.

Garonne, ensuite. Là encore, Michel Serres nous fait voyager dans un pays à jamais disparu : les mariniers de Garonne, ses lavandières, le barrage de Beauregard, la drague de son père au pied de ce barrage. Disparu ? Pas si sûr. J’ai lu les pages magnifiques, véritable ode à sa lignée, consacrées à la drague familiale avec les mêmes émotions que le héros de Marcel Proust mangeant sa fameuse madeleine. Car, j’ai été, enfant et adolescent, habitant Beauregard, bercé par ces bruits métalliques venant exactement de la berge d’en face.

Personne ne parle aussi bien de Garonne que Michel. Ecoutons-le nous parler de ses baignades en Garonne : « Le fil de l’eau nous servait de drap et de couverture, les peupleraies de mur, les graviers de salon et le ciel pastel de toit ». Magnifique de poésie ….et de vérité.

Comme je m’y engageai solennellement lors de ses obsèques, « je suis convaincu aujourd’hui que rien ni personne n’arrêtera la réappropriation des berges de Garonne par les Agenais, et la reconstitution du lien entre la ville et son fleuve qu’il appelait de ses vœux. Garonne retrouvera ainsi la place qui a toujours été la sienne dans le cœur des Agenais…..»

Ainsi Garonne fait partie de l’ADN d’Agen et nous ne devons y toucher « qu’avec une main tremblante ». J’aurai cette main tremblante lorsque nous arrêterons l’architecture du Pont de Camelat, quatrième pont que va se donner Agen en deux mille ans d’histoire. Michel nous manquera ce jour-là et nous aurons à cœur de lui être fidèles.

Enfin, le rugby. Il faut lire le chapitre « clocher ovale ou éloge du rugby » (page 153). Pour Michel Serres, le rugby est un « savoir secret », toute une culture faite de collectif, d’altruisme, de girondisme. Le rugby est pour lui une société secrète, protégée par des règles du jeu complexes et une fraternelle confrérie créée par l’affrontement partagé avec ses coéquipiers !

 Je crois qu’il a profondément raison. Le rugby, à Agen, a une fonction symbolique, au sens premier de ce mot. Il nous aide « à vivre ensemble », « à faire cité ensemble ». A ce titre, assez rare pour une ville, l’apprentissage du rugby à Agen s’approche d’un service public à rendre à nos enfants.

Bien compris, Michel. Paysans, Garonne, Rugby, sont dans notre ADN. Ils sont nos chromosomes notre culture.

Ils doivent être regardés comme des marqueurs de l’identité durable de notre vie. Nous devons les retrouver quand nous définirons une ambition raisonnable pour Agen, lorsque nous parlerons compétition territoriale, fierté agenaise.

Je vous donne rendez-vous, pour tous ces enjeux fondamentaux, le jeudi 16 juillet, lors de l’installation du prochain conseil communautaire d’Agen.

Merci, Michel.

Comme toujours, avec toi, après t’avoir lu, l’avenir est plus clair, plus heureux, plus fraternel.

Adichats,

 

Les réactions

Agenais ayant passé les belles années de mon adolescence dans votre ville je suis comme Michel SERRES, un exilé qui vit maintenant dans la banlieue d’Agen (Toulouse)….. Bien que n’étant pas un de vos électeurs, je vous remercie beaucoup de continuer à m’adresser «  vos lettres d’informations ».

Je vous connais depuis qu’un soir, autour d’une table dans un restaurant de la rue « Voltaire » où nous participions à un repas organisé par les « Charlots », nous avons discuté d’un problème administratif que vous m’avez aidé à résoudre en ma faveur. 

Cordialement

Jean-Pierre PASCAL

Bonjour Jean et merci de nous avoir révélé ce livre d'adieux de Michel Serres.

Tu nous rappelles ses liens avec la paysanerie, avec le rugby, mais surtout avec GARONNE. Tu nous parles de la réapropriation de GARONNE par les Agenais. Il serait en effet appréciable de faciliter l'accès aux quais, de réaménager ces quais en promenade et avec une piste cyclable qui conduirait à Passeligne. Et si l'on doit rebaptiser un lieu en mémoire de notre philosophe : ce sont les quais qui doivent porter son nom. C'est ce que j'avais dit, il y a plusieurs mois dans un "Courrier des Lecteurs" du Petit-Bleu... en suggérant aussi des "Rencontres (philosophiques) Michel Serre".

Je garde précieusement sur mon répondeur téléphonique un long message de notre illustre Agenais... où il me parle de Ducos du Hauron. C'est Annie Maille (la belle soeur de son épouse) qui m'avait mis en relation avec lui. J'avais tourné, chez elle, dans son grenier, une scène majeure de mon film. "Quand DUCOS vous a pris le coeur, tout vient de lui et tout vous y ramène"... bel adage non ? Mais de DUCOS, je t'en reparlerai une dernière fois à la fin du mois.

Je me doute que tu as beaucoup d'autres sujets de préocupation. C'est pour celà qu'il existe des adjoints. Mais faudrait-il encore qu'il lisent leurs messages et qu'ils répondent. En plus, il parait que tu risques de partir dans les ministères ? Alors... l'affaire DUCOS... vue de Paris...

Malgré mes mauvaises relations avec la MAIRIE, je te transmets toutes mes amitiés.

René

J'aimerai connaître les sentiments de Jean sur les conférences de JANCOVICI.
Merci

Que ceux qui disent n'avoir jamais pu finir un livre de Michel Serres lisent au moins Adichats. Il y a des pages merveilleuses sur l'identité, Agen, Garonne et le rugby. Comme lui, je suis un exilé de mon Languedoc natal et de l'Auvergne de  mon père. Je suis venu à Agen, il y aura bientôt 46 ans, pour y exercer mon métier avec la ferme intention d'en repartir le plus tôt possible. Mais finalement, j'y suis resté et j'ai appris à aimer la ville, Garonne, le canal, le coteau. Je suis devenu farouchement agenais. Merci Michel Serres pour ce merveilleux plongeon dans la mémoire. Impossible d'imaginer l'Agen du futur sans préserver les racines des siècles passés. C'était mieux avant? C'est à la fois vrai et faux. Lancés sur la longue ligne droite du temps, cela ne fait pas de mal de regarder dans le rétroviseur de temps en temps. Votre langue maternelle l'occitan de Garonne a failli disparaitre avec l'économie du fleuve que vous avez bien connue. Vous ne croyiez pas à son avenir. Moi si! J'aurais tant aimé en parler avec vous.

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