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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire

Leçons Ukrainiennes

Publication : 25/04/2019  |  09:52  |  Auteur : Jean Dionis

Nous n’avons pas l’habitude de tourner nos regards vers l’Ukraine. Trop loin, si différente de la France.

Nous avons tort.

D’abord parce que l’Ukraine est un grand pays (plus grand que la France), peuplé de 45 millions d’habitants.

Ensuite parce que l’Ukraine fait frontière entre l’Union Européenne et la Russie et que cette frontière a donné lieu, dans un passé récent, à une véritable guerre civile entre l’Ouest soutenue par les Européens et l’Est soutenue par les Russes et que pour l’Union Européenne, la stabilisation de cette frontière doit être un objectif majeur.

Enfin, parce que l’Ukraine est une véritable démocratie dans une région (la Mer Noire, la frontière occidentale russe) où ce n’est pas aussi évident que chez nous, au sein de l’Union Européenne.

Justement, dimanche dernier, l’Ukraine votait. Selon l’édition numérique du Monde du dimanche 21 avril, cinq ans après avoir mené la révolution dans la rue, les Ukrainiens ont à nouveau renversé la table, dimanche 21 avril, sans violence, ni fracas, en portant au pouvoir un néophyte complet, Volodymyr Zelensky.

Cet humoriste et producteur à succès dénué de la moindre expérience politique réalise un hold-up électoral, en récoltant, selon les premiers sondages de sortie des urnes, un score raz-de-marée de 73 % des voix, loin devant le sortant, Petro Porochenko. Jamais président ukrainien n’avait obtenu un soutien aussi massif, et ce n’est là que l’un des records engrangés par                  M. Zelensky, qui devient, à 41 ans, le plus jeune président qu’ait connu le pays.

Ce que l’histoire retiendra, surtout, c’est que les Ukrainiens ont préféré, en élisant un parfait inconnu, faire un saut dans le vide plutôt que de poursuivre leur route avec une classe politique décrédibilisée par des années de prévarication.

Inconnu, Volodymyr Zelensky ne l’est pas tout à fait : ce natif d’une famille juive, dans le centre russophone et industriel de l’Ukraine, est même le compagnon de nombre de foyers depuis ses premiers pas d’humoriste sur scène et à la télévision, il y a vingt ans. Inconnu, Volodymyr Zelensky l’est surtout par son absence, jusqu’à sa déclaration de candidature fin 2018, du moindre engagement politique.

Il est assez facile de comprendre contre quoi les Ukrainiens ont voté : corruption, guerre, pauvreté, ces maux associés à l’ère Porochenko. Ce pour quoi ils ont voté est moins évident, et le flou entretenu par le vainqueur durant sa campagne – elle fut menée quasi exclusivement sur les réseaux sociaux et à coup de formules chocs mais très générales – n’a pas contribué à lever le voile.

 

Que faut-il penser de cette étrange et néanmoins importante élection présidentielle Ukrainienne ?

D’abord se méfier des fausses bonnes leçons. J’ai lu et entendu beaucoup de choses sur le fait que confier la présidence de la république à un comédien de télévision serait inquiétant. Je ne partage pas cet avis.

Le métier de comédien de télévision est un métier tout à fait honorable. J’allais dire un métier comme un autre. Mais il est plus que cela. Il oblige à savoir communiquer avec l’opinion publique avec les moyens modernes de communication : télévision et réseaux sociaux…Au contraire, il est de fait un tremplin redoutable de notoriété et de sympathie. Ce métier est donc, au contraire, un des chemins efficaces pour accéder à la vie publique.

Vous en doutez ? Pensez à Ronald Reagan, acteur de cinéma, élu à deux reprises président des Etats-Unis de 1980 à 1988. On n’aime ou pas ses arbitrages politiques et idéologiques, mais il a fait le travail ! 

Non, nos interrogations, notre vigilance citoyenne doivent porter sur l’absence de programme de Volodymyr Zelensky, nouveau président Ukrainien, non sur le métier du candidat. J’entends bien la priorité donnée à la lutte contre la corruption et c’est tout à fait central. Mais justement parce qu’elle est première, la lutte contre la corruption ne peut  se contenter de gentilles généralités. Il faut dire quand, comment et avec quelles lois et quels moyens, la corruption sera combattue.

Plus fondamentalement, la politique ne retrouvera sa crédibilité que si elle retrouve le chemin du contrat. Il faut d’urgence recontractualiser nos campagnes électorales, faire moins de communication et plus d’engagements entre le peuple souverain et celles et ceux qui sont candidats pour être les représentants de ce peuple souverain.

Ce faisant, nous retrouverons le chemin tracé par les philosophes politiques des Lumières Françaises et notamment du « contrat social » de Jean-Jacques Rousseau. 

A une toute autre échelle, plus locale, c’est ce chemin du « contrat candidats-électeurs » que nous empruntons depuis 10 ans avec bonheur à la Mairie d’Agen. A chaque élection municipale (2008, 2014), nous avons détaillé notre programme en une centaine d’engagements dont nous suivons l’exécution en permanence et dont nous rendons compte à chaque famille agenaise tous les ans.

Ce chemin est un chemin vertueux. L’ambiguïté, créée par l’absence de programme, est souvent le prélude à des divorces sévères entre élus et citoyens, divorces qui ravagent la confiance réciproque entre mêmes élus et citoyens sans quoi rien n’est possible.

Naturellement, je souhaite bonne chance au peuple ukrainien et son nouveau Président. Démocratie oblige.

Mais, nous Français, pouvons revendiquer une solide culture démocratique. Elle nous permet de nous mettre en état de vigilance en Ukraine et ailleurs, à chaque fois que l’absence de programme signera une stratégie d’ambigüité coupable.

 

Crédit photo AFP

Les réactions

Bonjour Mr Dionis,

C'est tb de réaliser un papier sur cette élection ...qui , il faut le reconnaître, n'a pas fait la une de nos quotidiens ou JT...et pourtant , c'est un sujet d'importance , l'Ukraine est un grand pays avec une histoire bien compliquée. Comme vous dites , il est nécessaire de se poser et de comprendre les raisons qui ont conduit à cette élection .

Cette forme "moderne" de populisme dans le cadre d'une démocratie n'a pas, ou si peu... besoin de fond, mais surtout de puissance de communication !

Très belle analyse !

Merci pour l' analyse de Jean Dionis claire, bien documentée et objective. Il me semble que voter pour ce type de candidat, aimable histrion connu seulement pour ces talents d'amuseur public symbolise bien une forme de dèsintérêt pour la vie politique, autant que de déculturation progressive de la société. Mais aussi une manifestation de "ras le bol" généralisé du politique. J'entendais sur France Inter ce matin, de la bouche même d'in lycéen, que 30% seulement des moins de 25 ans se déplaceront en France pour voter dimanche pour élire nos représentants au Parlement européen. 1ère raison invoquée : le manque d'éducation à l'Europe au lycée et dans l'enseignement supérieur. Les politiques considèrent l'importance d'une Union européenne comme acquise pour la génération Erasmus. C'est un tort. J'ai fait partie de l'équipe pédagogique qui a créé les Sections européennes dans le Secondaire: officialisée en 1992: je suis bien placée pour savoir que c'est un éternel recommencement!
Pour conclure provisoirement, il me semble qu'un système éducatif de qualité et un budget important consacré à la culture peuvent régler pas mal de problèmes, le plus urgent étant de contrer la montée de toutes les formes de populisme. Merci pour votre attention.

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