« Non à l’indifférence »

Agen a eu de la chance mercredi dernier.

Pour la cérémonie de baptême de l’Ecole Simone Veil, au nom du conseil municipal d’Agen, j’avais invité Haïm Korsia, Grand Rabbin de France et lui avais demandé de nous parler du « Devoir de mémoire et de transmission », si fortement incarné par Simone Veil…et, à notre plus grand bonheur, il a accepté.

Et les quelque deux cents Agenais (pas assez) qui l’ont écouté au Centre des Congrès étaient unanimes pour dire qu’ils avaient vécu un moment rare.

Rare parce qu’Haïm Korsia est un grand intellectuel, aussi à l’aise en philosophie qu’en exégèse des textes sacrés et un grand conteur, maîtrisant l’art de la parabole et celui de l’humour.

Rare parce qu’Haïm Korsia rayonne d’une gentillesse simple qui le rend profondément aimable.

Mais l’essentiel était ailleurs. Il était dans le message porté.

Haïm Korsia, finalement, nous a donné ce soir là un message assez simple : « Ne soyez pas indifférent ».

L’indifférence, c’est ce sentiment glacial qui fait que nous ne nous sentons pas concernés, touchés par quelque chose, ou que nous n'accordons aucune attention, aucun intérêt à quelqu'un, à quelque chose.

Pour reprendre la conférence d’Haïm Korsia, l’indifférence commence à gagner chez nous quand nous réagissons de plus en plus comme la fourmi de la fable de Jean de la Fontaine « la Cigale et la Fourmi » . Rappelez-vous : « Vous chantiez ? Et bien, dansez maintenant ! »  avec, en sous-entendu subliminal cette aigreur rance : « ce qui t’arrive, c’est bien fait pour toi ! ».

La lutte contre l’indifférence, cela commence par les petites choses et je ne suis pas prêt d’oublier la conversation que nous avons eue dans mon bureau de Maire . « Ne baissez pas les bras, Monsieur le Maire, surtout sur les petites choses » me dit le Grand Rabbin de France. Toutes ces petites demandes qui parfois nous submergent, notamment vous les Maires : sécurité, stationnement, propreté, conflits de voisinage…déterminent, selon les réponses qu’elles obtiennent, notre capacité à vivre ensemble ou…notre incapacité radicale à nous supporter, ouvrant grand la porte à la haine folle envers toutes celles et ceux qui seront nos boucs émissaires.

La lutte contre l’indifférence, c’est enfin la capacité à réagir, à dire « non » aux plus puissants.

Et mercredi soir, Haïm Korsia nous a donné une sacrée leçon d’histoire en nous rappelant comment les nazis au sommet de leur puissance en 1941, avaient dû arrêter leur programme d’assassinats de masse d'adultes handicapés physiques et mentaux, le programme « Aktion T4 » (plus de 70 000 morts) parce que les évêques allemands, pourtant d'abord bien peu critiques envers le régime nazi lors de la signature du concordat du 20 juillet 1933, puis s’en tenant à certaines réserves quant au respect des termes de cet accord au travers de l'encyclique Mit brennender Sorge du pape Pie XI en 1937, émettent la première protestation publique connaissant un large écho, notamment avec le sermon prononcé le 3 août 1941 par l’évêque de Munster Mgr Clemens August von Galen.

Et Haïm Korsia de conclure : « lorsque certains en Allemagne, au risque de leur vie, ne sont pas restés indifférents même les nazis au sommet de leur puissance ont reculé. Par contre, lorsque tous se sont tus, nous savons ce qu’il en est advenu ».

Rester solidaire avec son voisin, son prochain, ne pas sombrer dans l’indifférence et pour se vacciner contre…le travail de mémoire. Haïm Korsia nous a rappelé, avec malice, que Simone Veil préférait l’expression « travail » de mémoire à celle plus contrainte de « devoir » de mémoire et de transmission.

Se rappeler toujours comment le plus grand nombre a pu sombrer en Allemagne, comme en France…

Se rappeler toujours comment une poignée de femmes et d’hommes ont résisté…

Pour cette leçon de vie, merci, Monsieur le Grand Rabbin de France. Merci, Haïm.

Agen s’honore de vous compter parmi ses amis.