Vacances : la route des amis.

Je l’avoue. J’étais en manque d’inspiration et d’envie pour ces vacances 2015.

Un nouveau voyage à l’étranger ? Nous avions eu la chance d’en avoir fait plusieurs, de très beaux ces temps-ci, notamment  en Inde et en Crète.

Profiter de notre maison familiale à Agen ? certes, certes, l’été, la vallée de Garonne est en beauté. Mais, ce n’est pas vraiment l’idéal pour un élu local qui cherche à « oublier » ses chantiers et projets…. Et point de petits-enfants à l’horizon pour y développer une future vocation de moniteur de vélo, canoë, voire de natation en Garonne…..

« Et si nous prenions la route pour aller voir nos amis ? ».

C’est ma femme qui eu la bonne idée. Celle d’appeler nos amis, nos bons amis, nos vieux amis et cousins, celles et ceux de plus de trente ans de souvenirs partagés, de Centrale à Paris, de rugby, d’aumônerie, de nos cousinages d’adolescents…mes deux sœurs, aussi, que je vois rarement. Bref des femmes et des hommes de notre bel âge avec qui nous avons été très proches pendant quelques années, avec qui nous avons fait l’effort de rester en contact pendant vingt ans, trente ans, mais avec qui aussi le temps a fait son irrésistible ouvrage de distanciation.

Me voilà lancé dans les coups de fil : « Allo, c’est Jean, Marie-Agnès (ma femme – ndlr :-)) et moi avons eu l’idée de venir vous voir deux  ou trois jours. Possible ?, pas possible ? ». L’accueil est toujours hospitalier. Cela nous touche plus que prévu.

Petit à petit, en fonction des contraintes de calendrier des uns et des autres, une route se dessine : Nous irons d’abord chez Olivier et Cécile dans le Golfe du Morbihan, puis chez Louis et Pascal sur l’Ile de Groix,  Geneviève et Frédéric à la Baule, Anne et Rémy à Breuillet près de Royan, Isabelle et Thierry en Côtes de Bourg au début de l’Estuaire de la Gironde pour terminer chez mes beaux-parents à Bidart.

Et nous voila partis pour cette route des amis et cette escapade de 1500 km. Cette route nous a amenés retrouver des gens connus en terre inconnue pour nous. Je n’avais jamais mis les pieds en Bretagne Sud sur ce superbe Golfe du Morbihan, encore moins à l’Ile de Groix. Plus surprenant, alors que Royan (Saint-Palais-sur-mer, soyons précis) fut, pendant mon enfance, ma deuxième patrie, jamais nous n’avions trouvé le temps de musarder en Côtes de Bourg.  Bref, cette douce audace, cette gentille rupture avec nos habitudes nous fit nous aventurer sur des chemins absolument improbables pour nous deux.

Nous nous primes au jeu et à l’ambiance « on the road » de notre périple : « Puisque nous allons en terres inconnues, pourquoi ne pas faire étape à Saintes la gallo-romane ou à Lorient où, Béotiens de l’histoire de notre pays, nous découvrîmes, abasourdis, que Lorient fut d’abord l’Orient, la ville nouvelle de la Compagnie des Indes, bras armé de l’expansion coloniale française au XVIIIème siècle…. ? »

Bref, nous roulions retrouver nos amis et nous découvrions les splendeurs de régions de France auxquelles nous avions renoncées.

Et les amis et les cousins ? Entre deux étapes, roulant vers une nouvelle destination tout le long de cette « route des amis », nous sommes toujours posés les mêmes questions : « que sont-ils devenus ? Quand les avons-nous vus pour la dernière fois ? Ont-ils bien vieilli ? ».

Ont-ils bien vieilli ? Cette question nous a travaillés. C’est une question de vinificateur qui sait que le vin peut se bonifier avec le temps qui permet de riches échanges entre son environnement extérieur (le fût de chêne qui le contient, par exemple) et le vin lui-même.

Tiens, voilà qui est intéressant, ce vieillissement qui n’est pas qu’usure, dérèglement et dysfonctionnement, mais qui est aussi harmonie croissante avec son environnement extérieur.

Cette réflexion ne m’a pas quitté pendant tout notre chemin de l’amitié durable. Nous avons retrouvé amis, cousins, sœurs  qui, comme nous, faisaient ce qu’ils pouvaient  « pour réparer des ans l’irréparable outrage » : gym, vélo, régimes plus ou moins assidus. Ce n’était pas la partie la plus intéressante de nos retrouvailles.

Non, ce qui était précieux, c’était la « vinification » des tempéraments, des comportements, des âmes et des esprits. Bref des efforts faits dans la durée pour s’adapter à un environnement local, familial et professionnel en mutation permanente.

Comme le vin ne se bonifie pas automatiquement, nous avons vu des échecs et de la souffrance humaine et parfois, de très beaux parcours de vie qui permettent cette chimie complexe qu’est un vieillissement heureux.

Bien sûr, pendant les longs kilomètres de notre façade Atlantique, nous parlions aussi de nos soirées, de ces retrouvailles. Nous parlions de ces amis retrouvés après si longtemps et bien sûr en parlant des autres, nous ne parlions que de nous-mêmes et nous passions sans cesse d’un « ont-ils-bien vieilli ? » à découvert à un «avons-nous bien vieilli ?» suggéré… ;

Au final, ce chemin, cette route fut une route heureuse. L’amitié durable est une valeur sûre qui permet beaucoup de tendresse et d’humour par rapport aux duretés de la vie. Elle ouvre aussi la possibilité d’un vieillissement « vinificateur » où les personnalités se bonifient en prenant le meilleur des cultures dans lesquelles elles vivent.

Bien sûr, nous chantonnions la chanson de Patrick Bruel : « Rendez-vous dans 10 ans » :

On s'était dit rendez-vous dans 10 ans 
Même jour, même heure, même pomme 
On verra quand on aura 30 ans 
Sur les marches de la place des Grands Hommes 

Le jour est venu et moi aussi 
Mais j' veux pas être le premier. 
Si on avait plus rien à se dire et si et si... 

Elle nous avait vaccinés, à l’avance, sur l’émotion et aussi la vacuité dont sont chargées ces rencontres. Mais, même vaccinés, elle a été pour nous une bien belle route « des vacances ».

Essayez…..