Jean-Marie Le Pen, cofondateur du Rassemblement national, est décédé le mardi 7 janvier.
Je reprends volontiers l’expression de François Bayrou, à savoir qu’il a été une des « personnalités de la Vᵉ République », ce qui n’enlève rien à la réalité de ses prises de position racistes et antisémites que nous avons combattues et que nous continuerons à combattre chez ses successeurs.
Le gouvernement a, bien sûr, eu raison de condamner les manifestations de liesse complètement indécentes qui ont eu lieu dans plusieurs villes françaises.
À nous, cependant, d’avoir les yeux ouverts sur une réalité historique, celle du vote populaire pour le Front national, puis pour le Rassemblement national. Regardons, pour en prendre la mesure, le vote du premier tour de l’élection présidentielle — le premier tour étant celui de l’adhésion aux convictions :
- 1974 : Jean-Marie Le Pen : 0,75 %
- 1988 : Jean-Marie Le Pen : 14,4 %
- 1995 : Jean-Marie Le Pen : 15 %
- 2002 : Jean-Marie Le Pen : 16,86 % (qualifié pour le second tour)
- 2007 : Jean-Marie Le Pen : 10,44 %
- 2012 : Marine Le Pen : 17,9 %
- 2017 : Marine Le Pen : 21,3 % (qualifiée pour le second tour)
- 2022 : Marine Le Pen : 23,15 % (qualifiée pour le second tour)
Le simple rappel de cette évolution, sur près de 50 ans de notre vie politique française, nous confronte à une réalité brutale : celle de la progression du vote populaire en faveur des candidats et des propositions de l’extrême droite.
Oui, « la marée monte », pour reprendre l’expression de Marine Le Pen, et, plus que jamais, il importe de fonder et d’enraciner nos convictions face à ce mouvement de fond d’une partie croissante de l’opinion publique.
Je suis clairement et durablement contre le Rassemblement national pour deux raisons fondamentales :
1. Je suis opposé au programme xénophobe de ce parti.
2. Je suis opposé à la vision strictement nationaliste et antieuropéenne de ce même parti.
Il faut étayer ces deux oppositions fondamentales :
1. L’extrême droite fait de l’immigration la cause centrale des problèmes auxquels doit faire face notre pays et déploie en la matière un programme xénophobe, en rupture avec la tradition républicaine française, autour du concept de préférence nationale : remise en cause des modalités du droit de séjour, restrictions du regroupement familial et de l’accès à la nationalité française, entrave au droit aux allocations familiales et à l’aide médicale de l’État, interdiction d’accès à des postes stratégiques pour des binationaux, remise en cause du droit du sol...
N’en jetez plus ! L’étranger est clairement le bouc émissaire de toutes nos difficultés.
C’est mensonger, comme le prouvent des dizaines d’études et d’ouvrages économiques. C’est, pour moi, inacceptable.
2. Le RN propose de contester la participation financière de la France à l’Union européenne ainsi que l’application de certains traités européens. Il propose, en remplacement de la construction européenne actuelle, le concept flou d’Europe des Nations. En réalité, le RN s’en tient à une position strictement nationaliste. Je ne crois pas une seconde à ce projet nostalgique et passéiste pour la France du XXIᵉ siècle.
Je veux la poursuite de la construction européenne et son approfondissement dans tous les domaines (défense, environnement…). Je veux pour la France un rôle de capitaine dans l’Union européenne, et surtout pas celui d’un grincheux marginalisé dans cette Union. Les grands défis de notre siècle ne peuvent être relevés qu’à l’échelle européenne : défense, environnement, immigration, indépendance énergétique... Ne pas vouloir une Europe forte et unie c’est vouloir d’un monde ou les intérêts des Français ne seront pas entendus.
Deuxième ligne d’opposition frontale avec le RN.
Une fois reposées ces lignes de résistance et d’opposition, il nous reste à analyser les raisons profondes de la progression du RN, rappelées ci-dessous. Cette progression n’est pas seulement le résultat d’une adhésion croissante aux idées du RN.
Elle résulte aussi – et il faut le reconnaître clairement – de l’échec et du déni de l’échec de certaines de nos politiques publiques, le sentiment d’abandon (services publics, déserts médicaux, injustices ressenties ou encore le sentiment d’insécurité).
A titre d’exemple, je suis en opposition complète avec le programme xénophobe du RN. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’être lucides et actifs en matière d’immigration. Seuls 7,6 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) données à des clandestins sont exécutées. C’est inacceptable, quelles que soient les difficultés à les mettre en œuvre. Le refus, humiliant pour la France, de l’Algérie de récupérer l’influenceur algérien Doualemn interdit de séjour en France montre le travail brûlant d’actualité qu’il reste à faire dans ce domaine.
À nous, donc, de faire le difficile travail de fermeté et d’autorité pour faire respecter nos politiques républicaines légitimes en la matière.
Enfin, il nous faudra faire un travail sur les identités multiples qui nous construisent. Le RN veut nous enfermer dans une identité unique, française. Il a tort, bien sûr. Je suis Agenais, et Agen est ma petite patrie. Je suis aussi Lot-et-Garonnais, Aquitain et, bien sûr, Français, jusqu’au bout des ongles. Enfin, je suis de plus en plus Européen. Je revendique ces identités multiples et je sais, avec Amin Maalouf, que les identités deviennent meurtrières lorsqu’elles sont uniques et exclusives (il faut lire Les Identités meurtrières).
Voilà le travail de fond, de réflexion, qu’il nous faut mener pour résister à la poussée de l’extrême droite dans notre pays.
Je suis à votre disposition pour dialoguer – respectueusement – sur ce sujet qui nous engage tous.
@+,
Jean Dionis, maire d’Agen