Les Agenais avaient de la chance cette semaine. Grâce au thêatre du jour de Pierre Debauche, ils ont pu assister au « Roi Lear », puissamment interprété par J.C. Drouot. Shakespeare venait chez nous avec sa formidable leçon de vie sur le pouvoir : On ne peut pas rester Roi quand on l’a été et qu’on ne l’est plus. Fascinant ce roi d’Angleterre, qui partage son royaume ….sauf une garde de 100 chevaliers qu’il se fera arracher un par un par ses filles héritières qui ne veulent pas lui laisser la moindre once de pouvoir. Du pouvoir total au dénuement total, tout sera pris à Lear y compris sa lucidité quand il sombre dans la folie, y compris sa fille cadette qui, elle, lui a gardé son amour filial, quand elle est assassinée, y compris la vie quand la peine et le chagrin font exploser son vieux cœur.
Fascinant ce XVIème siècle de Shakespeare qui ressemble tant au nôtre : Siècle des grandes ruptures : Réforme protestante, Renaissance Humaniste, siècle des grandes inventions et d’abord celle de l’imprimerie qui permet une diffusion universelle des idées, siècle enfin de l’essor de la philosophie politique : Machiavel et ses concepts-clés, le Prince, le conseiller du prince, le peuple…..Merci à Pierre Debauche et aux siens pour nous avoir offert cette intensité dramatique et cette leçon de sagesse…
Car il m’est paru bien actuel ce Roi Lear et je ne pouvais m’empêcher de croiser dans mes pensées les réflexions que cette pièce m’inspirait avec l’affaire Cahuzac. Même route brutale du pouvoir d’Etat à la fin de la vie politique, même aveuglement à durer, par tous les moyens même les plus bas, lorsque tout commande de partir. Qu’est ce donc que ce pouvoir qui rend aveugle et auquel on s’accroche au-delà de toute raison ? Il est à mon avis de salubrité publique de débattre sur cette question du désir de pouvoir pour refonder le plus solidement possible notre démocratie représentative au XXIème siècle. Elle en a bien besoin. Car elle est bousculée dans son essence même par la technocratie, par les intérêts particuliers ainsi que par une opinion publique toujours plus participative.
Qu’est ce qui fait courir les candidats vers le pouvoir? Et pourquoi ceux qui l’ont un jour ce pouvoir, sont-ils si lents à le quitter ? That is the question ! Pour prendre des accents shakespeariens…..
Pour la majorité de nos concitoyens, s’il y a tant de candidats, la réponse est simple : «C’est que la soupe est bonne !» combien de fois ai-je entendu cette réflexion chez mes amis comme chez mes adversaires? Je vais vous surprendre : Oui, la soupe est bonne,…mais pas tant que cela. La loi plafonne les indemnités des élus, leur véritable salaire, (tous cumuls consolidés) à 1,5 fois l’indemnité parlementaire de base (soit 8500 €/mois). C’est un salaire important, cela compte donc dans la motivation des candidats. Pas d’hypocrisie, mesdames et messieurs mes collègues, s’il vous plait. Mais une fois cette vérité affirmée, nous avons le droit de dire que beaucoup de cadres supérieurs dans l’industrie, de médecins, de professions libérales sont à ce niveau de rémunération.. et tant mieux ! Et si on regarde maintenant vers les maires ruraux ou les adjoints des grandes villes qui se crèvent littéralement pour 1000€/mois, alors déjà la soupe est moins bonne et, si, enfin, on veut bien avoir une pensée pour la base de la pyramide des élus (les conseillers municipaux, soit 600 000 en France, 1 élu pour 100 habitants), alors là, il n’y a plus de soupe du tout, aucune indemnité, service gratuit….
L’argument de la qualité de la soupe n’épuise donc pas tout? Alors, toujours la même majorité de l’opinion publique accepte-t-elle de compléter la motivation de la soupe par celui de la gratification sociale. Les candidats courent après les honneurs, le regard social, la respectabilité sociale attachée à la fonction. Là encore, c’est vrai. Je ressens un bonheur simple quand une vieille dame ou un groupe de jeunes me saluent dans le rue d’un « Bonjour, Monsieur le Maire » qu’il soit gentil ou facétieux. Y-a-t-il un risque de prendre la grosse tête ? Oui, surtout après des élections victorieuses….mais la vie politique, sa rudesse, l’agressivité et l’ingratitude de nombre de nos concitoyens, la vision très dégradée de la vie politique de la majorité d’entre eux ont vite fait de vous ramener au ras des marguerites. Les élus actuels sont moins protégés et moins respectés que leurs prédécesseurs. Attention, à ne pas aller trop loin sur ce chemin, sinon leur capacité à agir comme représentants de la volonté générale serait atteinte.
Et les convictions dans tout cela ? La soupe, les honneurs, soit…..mais, j’affirme que c’est le petit bout de la lorgnette si l’on veut comprendre l’énergie que les élus mettent à accomplir leurs mandats. Changer la Vie, changer la Ville…. Il y a cette noble ambition dans le cœur de beaucoup d’entre nous. Est-elle folle ? Et devons-nous proclamer avec l’Ecclésiaste : "Vanité des vanités, tout est vanité." J’ai la faiblesse de penser que cette ambition d’améliorer la vie, et la Ville peut être raisonnable, si nous ne perdons pas de vue que nous ne sommes que des maillons d’une longue chaîne qui nous unit à nos pères et à nos enfants. Mais aujourd’hui, il nous faut défendre bec et ongles cette idée de progrès humain, social, scientifique, car elle, aussi, est attaquée de toutes parts. Et je suis fier que cette volonté de changement positif soit partagée très majoritairement par la communauté des élus quelque soit leur sensibilité politique. Souvent les élus veulent faite œuvre utile pour leurs pays, pour leur territoire, leur ville. Et c’est beau et légitime comme motivation. Encore faut-il vacciner cette motivation contre l’obstination au-delà du raisonnable. Un jour, il faut partir, laisser les outils – complètement - à d’autres qui continueront la tâche. Difficile pour le Roi Lear et pour tant d’entre nous….
Reste un dernier moteur dans le « carburant » vital des élus : le désir de rendre service. Par pitié, ne riez pas, ne vous moquez pas ! Ou vous serez tombé bien bas dans cette affreuse maladie du siècle qu’est le cynisme. L’archétype de cette attitude est celle du Christ lavant les pieds de ses disciples le Jeudi saint. Ecoutons le Christ à cet instant précis : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur ; et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait » (Evangile selon Saint Jean). Et bien oui, cette volonté de servir, de rendre service à nos concitoyens est bien, elle aussi, au cœur de nombre d’entre nous.
La soupe, nom commun de l’Argent, les honneurs, mais aussi la volonté de changer la vie et le désir de rendre service, voilà, je crois, le tissu, la trame des motivations des candidats et des élus. Bien sûr, comme je l’écrivais dans une chronique précédente, les élus sont divers et la communauté élective – encore une fois 600 000 personnes en France – est hétérogène et le rôle premier du citoyen est d’élire, c'est-à-dire de choisir, ou - dit brutalement - de trier….mais le tissu de base me semble bien fait des fils de ces quatre motivations essentielles. Et, à bien le regarder, il mérite notre sympathie fraternelle.
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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire
1 an après sa nomination
Vous avez dit normal ?
Aujourd’hui, de nombreux français s’interrogent! Y-a-t-il encore un pilote dans l’avion France ?
Hollande et son gouvernement sont-ils vraiment à la hauteur de la
situation ? A tel point que de nombreux spécialistes s’interrogent aujourd’hui publiquement de savoir si Hollande pourra aller jusqu’au bout de son mandat?
est-ce la normalité cette situation ?
noblesse de servir
Le courage de la vérité est sûrement nécessaire ... et peut-être payant .... à long terme malgré les pressions médiatiques et l'air du temps.
"Billet du roi Lear"
Réflexions lucides et sages, très bonnes à lire ou relire. Merci
Servir ou se servir du peuple
Merci Mr le Maire pour ce billet qui me permet de réagir sur l'attitude de certains élus car tout le monde n'est pas aussi clair quant au comportement à adopter en tant qu'élu du peuple français.
Personnellement je suis très étonner qu'il a fallu un temps de réflexion à Mr Cahuzac pour se retirer de l'assemblée nationale, pourquoi ne l'a t-il pas fait de lui-même instantanément sachant qu'il avait menti délibérément au président.