DÉBAT SUR L’IDENTITÉ NATIONALE
discours de Jean Dionis
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Au moment de prendre la parole au nom des députés du Nouveau Centre, je tiens à saluer l’occasion qui nous est offerte de débattre enfin pleinement, dans cet hémicycle, de la question de l’identité nationale.
Ce débat, d’aucuns ont tenté, exercice paradoxal dans une démocratie, d’en contester l’opportunité. Le Gouvernement aurait des visées électoralistes ?
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ah oui !
M. Jean Dionis du Séjour. La belle affaire ! Citez-moi un seul gouvernement qui n’en ait jamais eues !
La majorité voudrait donner des gages à la partie la plus à droite de son électorat ? Et alors ? Nous, centristes, avons toujours préféré qu’elle se retrouve dans un vote républicain plutôt que dans un vote extrême !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !
M. Jean Dionis du Séjour. Sur le fond, nous nous réjouissons de cette opportunité de débattre, car, à nos yeux, le sujet est essentiel. L’enjeu, c’est de définir ce qu’est la France aujourd’hui, à l’heure où la mondialisation et les différences parfois criantes de niveaux de vie conduisent à un métissage accéléré des populations comme de leurs cultures. Se poser la question de son identité, c’est s’interroger sur son rapport à l’altérité, c’est chercher ce qui aujourd’hui nous distingue, nous Français, mais aussi ce qui nous rassemble, c’est savoir qui nous sommes pour mieux porter notre message dans le monde.
Dès lors que l’on évoque la nation, on oppose traditionnellement, un modèle germanique, la Heimat, théorisé par Fichte, reposant sur des critères objectifs et tournés vers le passé, tel le partage d’une histoire et de racines communes, à une conception française, héritée des Lumières, où la nation aurait, cette fois, une dimension politique, voire strictement « contractualiste », où elle serait, selon les mots d’Ernest Renan, « un plébiscite de chaque jour » appuyé sur le partage d’une volonté de vivre ensemble. Cette opposition est toujours vivante dans le droit actuel de la République fédérale allemande, avec le droit du sang, et notre droit républicain, avec le droit du sol.
Oui, nous avons fondé notre République sur des valeurs autour desquelles tous ici, quelles que soient nos sensibilités, nous nous retrouvons. Elles constituent bien le socle de notre identité et sont, en quelque sorte, le règlement de copropriété de la maison France, ces fameux droits et devoirs. Ces valeurs, ce sont le fameux triptyque républicain, liberté, égalité, fraternité, mais aussi, depuis plus d’un siècle, celle, tout aussi fondamentale de la laïcité. Pour autant, faut-il renvoyer dos à dos l’histoire et ces valeurs ? Peut-on même séparer, dès lors que nous nous interrogeons sur ce que nous sommes, ces valeurs qui fondent l’universalité du message républicain de l’histoire de notre pays ? Notre conception de la laïcité elle-même aurait-elle pu surgir d’une pensée autre que chrétienne, la première à exiger de « rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César ce qui appartient à César » et qui pose ainsi dans ses fondements mêmes la séparation entre pouvoirs temporels et spirituels ?
Oui, l’identité française, c’est tout à la fois un héritage fait de symboles, de repères culturels, historiques et une volonté de vivre ensemble, un projet politique. Oui, la France, c’est au sens fort, notre patrie, « la terre de nos pères », la mémoire de nos morts. Et dans un même temps et dans un même élan, la France, c’est aussi l’exigence et le rêve républicain.
Il n’est pas d’identité nationale solide qui ne s’appuie sur ses deux jambes : patriotique et faisant mémoire du passé, d’une part, politique et tournée vers l’avenir, d’autre part. Faire abstraction de tout héritage patriotique, c’est faire le choix de s’enfermer dans une vision froide et désincarnée de la nation qui, tôt ou tard, ne recueillerait plus l’adhésion des Français. À l’inverse, il n’est pas de nation ouverte et intégrant avec succès les étrangers qui viennent vers elle qui ne soit pas assise sur un projet politique vivant. Et la vie ne connaît pas l’immobilité. Qui pourrait donc imaginer que notre identité nationale se trouve figée une fois pour toutes ? Le faire, ce serait d’abord et avant tout, commettre une faute historique.
Je m’en tiendrai à un seul exemple, longuement développé par Fernand Braudel dans son magnifique ouvrage L’identité de la France. Braudel montre ainsi combien l’exode rural accéléré qu’a connu notre pays après la dernière guerre a été à l’origine d’un bouleversement profond, durable et structurel pour notre identité nationale. Dans la France de 1940, ce sont les paysans et leur culture qui déterminent largement l’identité de la France. Aujourd’hui, la France, c’est majoritairement une nation d’employés du secteur tertiaire, avec leur culture propre et leur psychologie, qui s’interroge sur ce qu’elle est. Être fidèles à notre identité, c’est respecter et faire vivre, sans verser dans l’outrance, notre héritage symbolique, patriotique et historique. C’est à ce titre qu’il nous faut respecter notre hymne et notre drapeau, notre histoire et notre culture, mais aussi, et peut être surtout, notre langue.
Je voudrais insister sur ce point. La querelle linguistique que connaît, à l’heure actuelle, la Belgique n’est, à ce titre, pas anodine. Elle est même fondamentalement politique. La langue française n’est pas seulement le magnifique support de grandes œuvres littéraires ou encore notre langue maternelle, c’est le vecteur d’une vision du monde unique et identitaire. Nous avons donc le devoir de faire vivre notre langue dans ce monde du XXIe siècle et de l’internet, mais aussi, c’est vrai, de redonner sa place à l’histoire dans les programmes scolaires sans verser dans les errements simplistes et parfois caricaturaux que nous avons connus par le passé.
Être fidèles à notre identité, c’est aussi, sous peine d’une régression nationaliste aux relents maurrassiens bien peu sympathiques, faire vivre notre projet politique dans toute son originalité. Oui, faire vivre soixante-trois millions de personnes dans une société de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, c’est notre véritable défi. Chacun peut mesurer la distance qui demeure entre la réalité de notre pays et l’objectif républicain. Ne nous trompons pas, c’est cette distance qui menace directement la cohésion sociale de notre pays, et donc notre identité, que ce soit pour les jeunes Français issus de l’immigration dans nos banlieues ou pour les habitants oubliés de la France des territoires ruraux.
Mais, être fidèles à notre identité, mes amis, c’est également ne pas vouloir imposer à nos concitoyens « d’être français, un point c’est tout ». À ce titre, il y a un véritable piège à confondre identité nationale et identités personnelles. Il n’y a pas d’identité française qui ne se définirait pas par rapport à une identité européenne commune – la grande absente de nos débats pour le moment – dans ce que la France a de singulier et de ce qu’elle a en partage avec ses nations sœurs européennes.
Là aussi, il y a bien une identité européenne qui repose sur des faits objectifs. Cette identité est le bien commun de l’ensemble des pays ayant en partage d’avoir pris part, depuis vingt siècles, à une même séquence historique marquée notamment par l’Empire romain, le christianisme, le Moyen Âge, la Renaissance, la Réforme et les Lumières, puis, au XXe siècle, par le naufrage de deux guerres mondiales. Cette réflexion, mes amis, est centrale pour définir les frontières de l’Europe et pour penser justement la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Mais l’Europe, aujourd’hui et depuis cinquante ans, c’est aussi un projet politique auquel nous sommes, nous les centristes, génétiquement attachés. Il n’y a pas aujourd’hui de projet politique français, de rêve français et donc d’identité nationale française qui n’intègre pas le projet politique européen. C’est un projet politique porté sans doute par une part d’idéalisme kantien qui ambitionne désormais de délivrer un message au monde et qui contribue, lui aussi, à l’évolution de nos identités nationales respectives.
Pas plus qu’il n’y a d’identité française sans référence à l’Europe, il n’y a de rêve français qui n’ait pas une dimension universelle et qui n’ambitionnerait pas de relever les grands défis de ce monde, qu’ils soient climatiques ou qu’ils touchent à la faim dans le monde. Charles de Gaulle écrivait à ce sujet : « Il y a entre la grandeur de la France et la liberté dans le monde un pacte vingt fois séculaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Eh bien, nous, centristes, nous nous retrouverons pleinement dans cette ambition française ! C’est en cela aussi qu’il nous appartient de faire vivre notre identité à la surface du globe et qu’il nous appartient, par exemple, d’y soutenir avec force et d’y faire vivre la francophonie, ses peuples et ses institutions.
Encore une fois, notre langue est bien l’un des vecteurs privilégiés de notre vision du monde et l’on ne peut penser défendre les valeurs qui fondent le message universel de la France si l’on ne défend pas, dans le même temps, l’usage du français lui-même.
Mais il faut également, dans la ligne de la reconnaissance des langues régionales par notre Constitution, rénover notre discours républicain pour clarifier la place qu’il laisse aux communautés de tout ordre qui composent la nation. En ce sens, un certain discours anti-communautariste, d’un républicanisme exaspéré, est aujourd’hui, à plus d’un titre, à bout de souffle dans le pays de plus en plus brassé et métissé qu’est la France d’aujourd’hui. À l’heure où internet refaçonne les relations sociales en offrant une nouvelle vie aux communautés de tout ordre, reconnaissons enfin et calmement que chacun d’entre nous porte en lui plusieurs identités qui ont chacune le droit à l’expression.
Voilà pour les fondements de philosophie politique qui sont les nôtres en matière d’identité nationale. Il nous revient maintenant de les intégrer dans notre pratique politique contemporaine pour faire vivre l’exigence républicaine, le rêve français et européen. C’est à nous de trouver les mille et une initiatives qui replaceront la réalité vécue quotidiennement par nos concitoyens à la hauteur de notre ambition nationale.
Permettez-moi de citer quelques-unes de ces mille et une initiatives. Plus de dix ans après la fin du service national – et je suis heureux que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et le groupe de l’Union pour un mouvement populaire aient cité cette initiative –, oui, nous avons besoin d’une grande réforme proposant à notre jeunesse, garçons et filles, le don du temps dans une grande initiative de service civique national. C’est pourquoi nous, centristes, apportons aussi tout notre soutien aux initiatives prises en ce sens par le haut-commissaire Martin Hirsch, afin de mettre, enfin, en place ce nouveau service civique.
De la même manière, je l’ai déjà souligné, mais permettez-moi d’y revenir, la promotion de la langue française, à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays, est un enjeu majeur. Où est, aujourd’hui, l’ambition de la France dans l’alphabétisation des immigrés ? Où est l’ambition de la France pour la francophonie ? Nous proposons, nous centristes, au Parlement d’agir fortement dans ce domaine.
Il nous appartient maintenant, loi après loi, de mettre en cohérence notre discours républicain, notre rêve français et la réalité quotidienne. Le lien entre la nation et les citoyens n’est pas un acquis. C’est un travail permanent que de le faire vivre !
(Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
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