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Hommage poignant de François FILLON à la mémoire de Philippe Séguin, ancien président de l'Assemblée nationale

Publication : 13/01/2010  |  00:00  |  Auteur : Jean Dionis

Hommage à la mémoire de Philippe Séguin, ancien président de l'Assemblée nationale

M. François Fillon, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, une voix chaude au timbre brûlé s’est éteinte : dans ses éclats et ses soupirs, elle nous parlait toujours de la France. À pas lents, une silhouette imposante s’éloigne, laissant dans son sillage un parfum de Gitane et de combats pour la République.

Le jeudi 7 janvier, Philippe Séguin nous a quittés.

Pour moi, il n’y a pas d’honneur plus cruel que celui qui me porte aujourd’hui à célébrer sa mémoire. Et, pourtant, en ces heures si tristes, je me souviens de ses yeux malicieux, de ses fulgurances intellectuelles, de sa gravité perfectionniste, de ses colères grondantes, qui pouvaient être suivies d’un rire éclatant. Je me souviens d’un homme inclassable et frondeur, imposant à des salles parfois hostiles un silence tendu par l’intelligence de ses mots et par la noblesse de ses idéaux.

Je me souviens de l’autorité rayonnante avec laquelle Philippe Séguin orchestrait nos débats.

Arbitre de nos différends, il ne fut ni l’homme de la droite ni celui de la gauche, mais l’homme de la République. Son goût du pluralisme éclairait sa passion de l’unité nationale, parce qu’il n’y a pas un peuple de gauche contre un peuple de droite, il n’y a que le peuple français, capable, dans son unité, de toutes les grandeurs.

Je veux me souvenir de l’éloquence de Philippe Séguin. Il croyait au pouvoir du verbe qui conduit l’action.

Respectueux de l’intelligence dont est capable tout un chacun pour peu qu’on la sollicite, il cherchait à inspirer l’estime du fait politique et la dignité du débat républicain. L’intensité de ses engagements ne se confondit jamais avec le mépris de l’adversaire politique.

Philippe Séguin fut toujours digne et loyal dans la controverse.

Méditons la vigilance à laquelle il nous invite dans ses Mémoires : « Contre les émotions instantanées sur lesquelles joue la médiacratie, le discours cherche à réintroduire le temps long de l’argumentation raisonnée. Contre la réduction des hommes au statut de consommateur par la sondocratie, il cherche à s’adresser au citoyen. Contre le conformisme propre à la tyrannie cathodique, il cherche à réintroduire la contradiction. » Je crois, mesdames et messieurs les députés, à la modernité d’une pensée et d’un style qui honorent notre démocratie, et, plus encore, la condition humaine.
J’ai en mémoire son discours sur le traité de Maastricht, qui fut un coup de tonnerre dans le ciel si tranquille de l’establishment.
Et j’entends encore ce discours si bienveillant, en hommage à Pierre Bérégovoy : « Préservons le mystère du geste qui brisa cette vie. Conservons pour nous-mêmes la méditation qu’il nous impose sur la part d’ombre, les épreuves et les espoirs trompés qui jalonnent la vie d’un homme public, sur les exigences terribles et l’engagement entier qu’appelle parfois le service de la Nation. »
Je souhaite, avec vous, me souvenir de Philippe Séguin chaleureux, prévenant avec les plus modestes et touché par les blessés de la vie. Intransigeant aussi, comme il l’était avec lui-même. Ombrageux et fier, mais encore pudique, insatisfait et hanté, hanté par les épopées qui soulevèrent la France, hanté par la mort de son père, l’aspirant Robert Séguin, tombé au combat en 1944.
L’annonce du décès de Philippe Séguin a soulevé une vague d’émotion et de louanges. Toute la classe politique, tous les Français, ont été touchés. Que ce flot d’éloges converge ainsi vers un homme qui n’a que peu exercé le pouvoir exécutif n’est que plus saisissant encore.
C’est la marque des hommes libres, ceux dont le rayonnement transcende le prestige des fonctions. C’est le destin de ceux, qui, comme Pierre Mendès France, ont moins recherché les titres que le pouvoir intellectuel et moral. Philippe Séguin incarne une certaine idée de la politique, faite d’intégrité et de vision. Indifférent aux modes, étranger aux familiarités et aux paillettes qui abaissent le crédit des hommes publics, il opposait à la société du spectacle la culture et le sens de l’histoire.
La République fut le fil de sa vie. Contre les féodalités, il exigeait l’État, dont l’autorité est fondée sur la rigueur de sa gestion. Contre les inégalités sociales et les communautarismes, il en appelait à l’école des hussards. Contre le sectarisme, la laïcité. Contre le cynisme économique, le gaullisme social qui allie les forces de la liberté et celles de la solidarité. Contre le conservatisme, le goût de la modernité industrielle que lui transmit Georges Pompidou, dont il fut le collaborateur. Contre les corporatismes, l’intérêt général. Contre les divisions, l’unité nationale.
Philippe Séguin n’est pas un républicain de circonstance ; il n’était pas un patriote de hasard. « La nation française, écrivait-il, ce n’est pas un clan, ce n’est pas une race, ce n’est pas une tribu... La nation, c’est ce par quoi on accède à cette dignité suprême des hommes libres qu’on appelle la citoyenneté. » L’idéal du citoyen souverain, conscient de son rôle et responsable de son vote, est à la source de sa haute conception de la République et de la démocratie.
C’est pour défendre cet idéal qu’il mena sa charge contre le traité de Maastricht. Seul ou presque contre tous, Philippe Séguin décida de dire « non ». Non au conformisme de la pensée unique. Non à la mécanique technocratique. Non à la domination d’une banque indépendante des pouvoirs. Non à la petite Europe. Non à la standardisation des souverainetés nationales.
Il y a, dans cette révolte solitaire, une part du caractère français et du tempérament gaullien. « Nous voulons l’Europe, mais debout ! », disait-il.
Il voyait les choses en grand, non pour assouvir un nationalisme étroit, mais parce qu’il voulait une autre Europe. Que l’on fût d’accord ou non avec son combat, personne ne resta indifférent au dynamisme de ses arguments lors du référendum de 1992. Avec le temps, plusieurs de ses intuitions se révèlent justes, et, si je milite, avec vous, pour une Europe politique, c’est parce que j’ai la conviction que l’aventure européenne n’a de sens que si ses responsables sont aux commandes.
La nécessité du politique, je la retrouve aussi dans son analyse de la mondialisation, analyse à bien des égards prémonitoire. Avant beaucoup d’autres, il dressa un réquisitoire lucide sur ses dérives. Il le fit sans démagogie, parce que la mondialisation est, pensait-il, un fait qui nous impose d’adapter notre modèle économique et notre pacte social, mais son réquisitoire fut sans concession, parce qu’il n’acceptait pas l’idée que la mondialisation nous prive de notre capacité d’agir.
Le pouvoir d’agir, là était l’obsession de Philippe Séguin, qui ne fut pas seulement un homme de pensée. On le présente parfois comme un nostalgique de nos grandeurs anciennes, un défenseur poignant d’une France qui aurait donné son congé au monde.
Toute l’action de Philippe Séguin s’inscrit en faux contre ces clichés. Partout où il fut en responsabilité, il entreprit, transforma, réforma.
À Épinal, il fut un maire exceptionnel qui redessina le visage de sa ville.
Ministre des affaires sociales et de l’emploi, il noua des relations confiantes avec les partenaires sociaux et n’hésita pas à mettre un terme à l’autorisation administrative de licenciement. Soucieux de dire et d’agir pour la vérité, il engagea une politique résolue de maîtrise des comptes sociaux.
Président de votre assemblée, il n’eut de cesse de revaloriser ses droits et d’actualiser son règlement. Il restera comme l’un de vos présidents parmi les plus brillants et les plus respectés.
Premier président de la Cour des comptes, il donna à l’institution de la rue Cambon une vigueur inégalée. Il la modernisa, lui garantit son indépendance et lui offrit en partage son autorité et son charisme.
Cette foi en la politique, ce refus du fatalisme qui est l’antichambre du déclin, cette conception du progrès humain qui ne se perd pas dans la course au profit, cette synthèse entre l’efficacité économique et la justice sociale, tous ces principes qui étaient chers à Philippe Séguin, retrouvent leur actualité et fondent son héritage.
Je ne sais pas si, un jour, Philippe Séguin eut véritablement le souhait d’exercer le pouvoir exécutif, mais il ne fit rien pour l’obtenir par des compromis. Dès lors, il fera davantage campagne pour les autres que pour lui-même. Et il les mena d’ailleurs souvent au succès.
Son problème ne fut jamais les Français, mais les partis, les coteries, les arrangements, et, lorsque je parle d’arrangements, j’évoque ces pactes intimes que l’on noue avec sa conscience et ses propres tourments.
Avec ceux qui, comme moi, ont regretté de n’avoir pas vu Philippe Séguin assumer de plus hautes fonctions encore, me reviennent les mots de Camus : « Le héros est celui qui fait non ce qu’il veut, mais ce qu’il peut. » Lui, l’enfant de Tunis, le pupille de la Nation, lui qui gravit tous les échelons de la République, fut le héros d’une vie qui ne lui promettait rien mais qu’il dressa de toutes ses forces vers ses rêves.
Que reste-t-il du séguinisme, s’interrogent certains observateurs ? S’il est une question qui doit faire sourire Philippe, c’est bien celle-ci ! Lui qui prit le malin plaisir de décourager ceux qui voulaient enfermer sa liberté dans un courant où ses pensées seraient froidement administrées. Lui qui se défiait des idéologies et des maîtres à penser qui ignorent le poids des circonstances de l’histoire.
Il n’y a pas de séguinisme de parti, il y a Philippe Séguin ! Philippe Séguin incarnant l’idéal républicain et la gloire du politique. Philippe Séguin dont la trajectoire lumineuse peut inspirer chacun d’entre nous. Philippe Séguin, solitaire et pourtant populaire, comme le furent Gambetta, Clemenceau, et tous les lions de la République.
Si le séguinisme existe, il faut en chercher l’essence au sein du peuple français lui-même, ce peuple épris de liberté, de fierté, de grandeur, à qui il donna sa voix, ce peuple, qui, de Valmy au Vercors, trouva toujours la force de se soulever pour la justice et pour son honneur.
« Puisque tout recommence toujours, écrivait le général de Gaulle, ce que j’ai fait sera, tôt ou tard, une source d’ardeur nouvelle, après que j’aurai disparu. »
Philippe Séguin fut un rugissement, un jaillissement du gaullisme. Et le gaullisme est éternel autant que l’est l’esprit de révolte. Le gaullisme, c’est la flamme qui éclaire les peuples que l’on méprise et que l’on bâillonne. C’est la flamme de la liberté. C’est celle de l’indépendance nationale. Cette flamme, qui inspirait Philippe Séguin, ne s’éteindra jamais.
La France qu’il aimait nous oblige. Elle nous oblige au courage de l’action. Elle nous oblige au rassemblement national lorsque l’essentiel est en jeu. Elle nous oblige au goût de la vérité plutôt qu’à celui des illusions, au choix de la droiture plutôt qu’à celui de l’esquive.
Mesdames et messieurs les députés, Philippe Séguin se voulut acteur d’une épopée, mais il dut, comme chacun d’entre nous, se résoudre à agir avec son époque.
Il y avait en lui une part de Cyrano de Bergerac. Empruntant sa tirade ultime, je vois Philippe se disputer avec ses vieux ennemis, le mensonge, les compromis, les préjugés, les lâchetés : « Je sais bien qu’à la fin, dit Cyrano, vous me mettrez à bas. N’importe : je me bats ! […] Il y a quelque chose que sans un pli, sans une tache, j’emporte malgré vous, et c’est... mon panache. »
Hier, la cérémonie aux Invalides est venue clore une vie, en la ressuscitant parmi les grandes figures de notre histoire.
Philippe Séguin nous a quittés, mais son souvenir ne nous quittera jamais.
J’adresse à Béatrice son épouse, à sa famille, un témoignage d’affection, et je veux dire à ses enfants, Catherine, Anne-Laure, Pierre et Patrick, qu’ils peuvent être fiers de porter son nom.
M. le président Bernard Accoyer

Madame, monsieur le Premier ministre,
monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement,
mes chers collègues (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent),
En septembre 1944, dans les combats pour la libération de la France, le quatrième régiment de tirailleurs tunisiens monte la côte de Ferrières, en Franche-Comté. L’aspirant Robert Séguin, vingt-trois ans, est arrêté par les balles allemandes. Il laisse à Tunis un fils de seize mois, né le 21 avril 1943, à l’intention de qui il a griffonné sur un carnet ces quelques mots qui seront son testament : « Adieu mon fils, sois un homme loyal, honnête et droit ».
Cette ligne de conduite, Philippe Séguin l’a suivie, fidèlement. Pupille de la Nation, il a rempli ses devoirs.
Le 2 avril 1993, élu au fauteuil que j’occupe aujourd’hui, il dédie l’honneur de cette élection à ce père qui, « à l’appel du général de Gaulle, tomba à l’entrée d’un petit village du Doubs ».
Dans cet hémicycle retentit encore l’écho de sa voix, à la fois chaleureuse et grave, comme lui. Jeune député des Vosges, il n’avait pas attendu longtemps avant de prendre la parole. Sa première question au Gouvernement, le 10 mai 1978, portait déjà sur l’emploi, au moment où les difficultés de l’industrie textile frappaient durement son département. Et déjà, son premier discours, le 27 juin 1978, visait à défendre les moyens en personnel de la Cour des Comptes. Protéger le pouvoir d’achat des salariés tout en contrôlant scrupuleusement l’usage des deniers publics, c’était il y a presque trente-deux ans, mais force est de constater que ces deux exigences sont restées pour lui primordiales tout au long d’une carrière hors du commun.
Orateur d’exception, Philippe Séguin se fait vite remarquer par un irremplaçable mélange de conviction et d’ouverture. Conviction d’un jeune gaulliste qui a le sens de la formule et qui possède au plus haut degré l’art de pourfendre l’adversaire. Conviction d’un député actif qui se révèle pleinement dans la farouche opposition qui l’anime après l’alternance de 1981. Mais ouverture d’esprit, sens de l’écoute, indépendance d’un vrai républicain pour qui l’adversaire n’est pas l’ennemi et qui sait reconnaître l’argument juste, y compris lorsqu’il vient d’en face.
Philippe Séguin orateur, c’est ce député qui, le 17 septembre 1981, se déclare favorable à l’abolition de la peine de mort, osant même parler contre la question préalable défendue par la droite. Comme il le rappelle alors à tous ses collègues, « le respect de la vie et le souci de la paix sociale sont des préoccupations dont on peut bien admettre sans déchoir qu’elles sont partagées ».
Chez lui, la conscience prime la consigne. En 1986, nommé ministre des affaires sociales et de l’emploi au sein d’un gouvernement qui présente une alternative libérale, il cultive le dialogue avec les partenaires sociaux. En 1992, fidèle à ses convictions et croyant devoir choisir entre l’Europe de Maastricht et la nation, il se fait le héraut d’une France qui veut dire « non » au fédéralisme.
Pour autant, Philippe Séguin n’était pas de ceux qui se laissent enfermer dans un nationalisme étroit et sans vision. Sa circonscription d’Épinal, où il était fier d’avoir été « adopté » par les Vosgiens, formait le centre d’un vaste polygone qui excédait largement les frontières nationales : Tunis, sa ville natale ; Draguignan où il avait grandi avec sa mère institutrice dont la perte récente l’a si profondément affecté ; Aix-en-Provence où cet enfant de la méritocratie républicaine poursuit ses études ; Paris où le jeune énarque commence à servir nos institutions ; mais aussi la Polynésie où il fait son stage en 1968, Montréal où il a enseigné et Genève où il a représenté notre pays au sein du Bureau international du travail.
« Ma France n’appartient pas qu’aux seuls Français », déclarait-il en 1995. Cet homme de culture comprenait intimement la complexité du monde musulman et la subtilité des liens qui unissent depuis longtemps les deux rivages de la Méditerranée, mais ce Méditerranéen viscéral regardait aussi par-delà l’Atlantique. Il savait la valeur de l’amitié franco-américaine, tout en défendant l’exception française avec ferveur. Philippe Séguin n’oubliait pas non plus nos cousins d’Amérique, ce Québec qu’à l’exemple de son illustre modèle il aurait voulu libre, suscitant parfois quelques remous dans le monde feutré de la diplomatie. Et c’est d’ailleurs sur ces « arpents de neige » de la Nouvelle-France, quand il ressentit le besoin de prendre du recul et de se consacrer aux travaux de l’esprit, qu’il trouva une forme de sérénité en tant que chercheur-invité auprès de l’Université du Québec à Montréal.
Philippe Séguin professeur de géopolitique, c’était le praticien qui devenait théoricien, l’homme d’expérience qui transmettait, non un savoir abstrait, mais une certaine idée de la France et du monde, telle qu’il la retirait d’une vie d’engagement et de combat.
Une idée d’autant moins abstraite qu’elle s’enracinait profondément dans l’histoire, cette autre discipline qu’il aimait au plus haut point et dans laquelle il s’illustra avec brio. Comment oublier que cet authentique républicain, rompant avec la tradition héritière de Victor Hugo, entreprit de réhabiliter la mémoire de Napoléon III, substituant au personnage caricatural de Badinguet la vision d’un empereur moderniste et soucieux du bien commun qui équipa et enrichit la France. Comment ignorer que, président de l’Assemblée, il publia la « saga » des 240 hommes d’État qui de Jean-Sylvain Bailly à lui-même, avaient présidé les assemblées françaises ? Du serment du Jeu de Paume à la Ve République courait pour lui le fil rouge de la conscience démocratique ; les ruptures n’effrayaient pas Philippe Séguin, et pourtant ce qui dominait chez lui restait le sentiment d’une grande continuité historique dépassant les accidents et les individualités. C’est pourquoi aussi, devenu Premier président de la Cour des comptes, il sut donner tout son lustre au bicentenaire de cette grande institution de la République où il était entré à vingt-sept ans et dont il défendit jusqu’au bout les prérogatives.
Mû par une haute idée du service public, Philippe Séguin s’est montré un réformateur dans l’âme, partout où il a exercé des responsabilités. Il l’a prouvé comme député, multipliant les rapports et les propositions de loi ; il l’a prouvé comme ministre, réfutant l’immobilisme en même temps que le dogmatisme ; il l’a prouvé avec éclat en tant que président de l’Assemblée nationale, de 1993 à 1997, puisque nous lui devons des changements aussi profonds que la session unique de neuf mois ou les séances d’initiative parlementaire. Réformer, pour lui, constituait l’exercice noble entre tous qui permet de sauvegarder l’autorité de l’État et de maintenir le pacte social. Comme il le déclara lui-même, « la réforme est indissociable de la pédagogie et du rassemblement qui sont au cœur de la politique ».
Tel fut Philippe Séguin, un homme libre, courageux, aimé des Français autant qu’il a aimé la France, une personnalité exceptionnelle de la Ve République, respectée par l’ensemble du monde politique.
D’un bloc il était, d’un bloc il est tombé. Cette grande voix s’est tue nous laissant à notre tour orphelins – oui, orphelins – d’un grand homme d’État qui aura tout donné à la République. Philippe Séguin n’est plus. Par une dernière foucade, il s’est retiré sur l’autre rive et déjà il nous manque. Son éloquence, son intelligence, sa culture, sa hauteur de vue, son courroux salutaire, c’est tout cela que nous avons perdu, et aussi quelque chose de plus : l’homme attachant et passionné, dont les colères ne faisaient qu’exprimer l’intransigeance avec laquelle il s’était donné mission de défendre la France et de faire vivre les valeurs de la République.
Aujourd’hui, en me penchant sur tout ce qui a fait la vie pleine et dévouée de Philippe Séguin, je me dis que notre ancien collègue qui lisait tant, qui citait volontiers les grands auteurs, a dû souvent méditer « If », le poème de Kipling.
Oui, Philippe Séguin, tu as su « rester digne en étant populaire » et « rester peuple en conseillant les rois », « rêver, mais sans laisser le rêve être ton maître, penser sans n’être qu’un penseur » ; tu as pu « être dur sans jamais être en rage », « rencontrer Triomphe après Défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front ».
Oui, comme le voulait le jeune aspirant tombé en 1944, tu as été « loyal, honnête et droit ».
Parce que son père ne l’avait pas reçue, Philippe Séguin a toujours refusé la Légion d’honneur, mais je veux dire à sa famille, à son épouse Béatrice, à ses enfants Catherine, Patrick, Pierre et Anne-Laure, à ses petits-enfants ainsi qu’à ses amis, à ses compagnons, à tous ceux qui ont été ses collaborateurs, l’estime que tous ici nous lui portons. Au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, je leur présente mes condoléances attristées.
En un temps où il semble parfois de bon ton de dénigrer la politique, la vie de Philippe Séguin montre à tous, par l’exemple, la noblesse de l’action publique et la grandeur de l’engagement civique.
Il le disait lui-même: « Ma France est un idéal qui s’adresse à tous les Hommes de bonne volonté, un idéal qui se décline dans la magnifique devise de la République. »
Telle était la passion de Philippe Séguin pour la France.

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